Comme chacun sait, cette mention soulève l’ire des médecins du travail. Au mieux, elle est inutile, puisque l’indépendance des médecins du travail, comme celle de tous les autres médecins, est garantie par l’article 95 du code de déontologie.
Par ailleurs, n'oublions pas que le médecin du travail est un salarié protégé. On nous dit que cette mention doit être vue comme une manifestation explicite du fait que le directeur n’entravera pas les actions de santé au travail décidées par l'équipe en fonction de l’évolution des réalités de terrain, même si elles ne correspondent pas au programme d'action pluriannuel. Doit-on comprendre qu’il pourrait avoir des tentations contraires ?
À mon avis, cette polémique montre surtout à quel point la réforme de la médecine du travail est en elle-même mal conçue, ce qui nous renvoie au débat que nous avons eu sur l’article 25 quater.
Avec une telle réforme, l’organisation de la médecine du travail et les missions de prévention sont confiées directement non plus aux médecins du travail mais aux directeurs des organismes de santé au travail désignés par le président du conseil d'administration et investis d'importantes prérogatives, notamment quant à l’élaboration du projet de service et la définition des priorités d'action.
En fait, les médecins du travail sont dépossédés de leurs missions et de leurs attributions, pour n’avoir plus que des fonctions d'exécution. C’est pourquoi ils craignent pour leur indépendance.
Plutôt que d’inventer de prétendues nouvelles garanties, il vaudrait mieux appliquer correctement les règles actuellement prévues par le code du travail pour garantir effectivement l’indépendance des médecins du travail. Aujourd’hui, ce n'est malheureusement pas toujours le cas.
N’oublions pas que les médecins du travail subissent des pressions importantes de la part des employeurs. Je me souviens de témoignages de certains praticiens qui reconnaissaient, à l’époque des auditions de la mission d’information du Sénat sur l'amiante, que la médecine du travail avait largement failli en n’alertant pas suffisamment les autorités. Ils racontaient aussi que ceux qui s’étaient risqués à le faire avaient subi des pressions et rencontré de graves difficultés dans leur exercice quotidien et pour la suite de leur carrière.
Encore récemment, à l’occasion cette fois-ci des auditions de la mission d'information du Sénat sur le mal-être au travail, plusieurs de nos interlocuteurs ont expliqué comment un employeur mécontent des rapports d’un médecin du travail peut demander au service interentreprises que ce médecin soit remplacé par un autre et à quel point, quand le médecin est salarié de l'entreprise, il peut être l’objet de diverses manœuvres d'intimidation.
C’est pourquoi la mission d’information sur le mal-être au travail insistait sur la nécessité absolue de conforter l’indépendance des médecins du travail et sur l’urgence de revaloriser leur profession, notamment en mettant en place une gestion paritaire des SST, mais également en renforçant les prérogatives des médecins du travail, en valorisant leurs pratiques professionnelles grâce à des recommandations de bonnes pratiques, en améliorant la coordination des soins entre professionnels de santé, en améliorant la protection accordée aux membres de l’équipe pluridisciplinaire, ou encore en sensibilisant les employeurs et les salariés à la santé au travail.
Si, grâce au travail en commission, l’article sur le paritarisme a été voté à l’unanimité, on est bien loin du compte en ce qui concerne les prérogatives et le statut des médecins du travail. Voilà pourquoi l’article 25 undecies nous pose problème et voilà surtout pourquoi nous pensons qu’il faudrait absolument éviter de faire du directeur du service de santé au travail le garant de l’indépendance du médecin du travail.