Elle monta effectivement sur l’échafaud le 3 novembre 1793, mais n’eut jamais l’occasion de s’exprimer, en citoyenne, à la tribune.
Deux siècles plus tard, mesurons le chemin parcouru ! Je suis fière de pouvoir m’exprimer, en qualité de présidente de la délégation aux droits des femmes, à la tribune de cette assemblée, qui compte maintenant 22, 4 % de sénatrices. Vous pouvez apprécier la marge de progrès !
Est-ce à dire que la partie est gagnée ? Non, car rien n’est jamais acquis, et nous devons sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier.
Qui ne connaît la figure de Pénélope, l’épouse d’Ulysse, qui défaisait la nuit le tissage qu’elle avait patiemment réalisé dans la journée, pour retarder l’échéance abhorrée où elle devrait se choisir, parmi les prétendants, un nouvel époux ?
J’ai l’impression que le Gouvernement est aujourd’hui dans la posture de Pénélope : d’une main, il propose de favoriser la place des femmes dans les conseils municipaux des petites communes, ainsi que dans les conseils communautaires, mais, de l’autre, il propose, pour l’élection des conseillers territoriaux, un mode de scrutin qui se traduira inévitablement par un recul de la place des femmes à l’échelon des régions, où la parité est pourtant devenue une réalité effective.
Et, contrairement à ce que certains ont été tentés d’affirmer, la progression des femmes dans les conseils municipaux des petites communes ne saurait en aucun cas compenser la régression de la place des femmes à l’échelon régional, encore moins la justifier.
Globalement, votre projet se traduira donc, monsieur le ministre, par une régression de la parité et ce triste constat est, vous le savez, très largement partagé.
Dès le 23 octobre 2009, Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l'Assemblée nationale, Mme Françoise Vilain notre homologue au Conseil économique, social et environnemental, et moi-même avons diffusé un communiqué de presse commun pour nous inquiéter d’un projet qui aura pour effet quasiment mécanique d’exclure les femmes des responsabilités départementales et régionales.
Les évaluations auxquelles a procédé l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, service du Premier ministre, montrent en effet que les scrutins uninominaux ne se prêtent pas à des dispositifs contraignants garantissant la parité et qu’ils conduisent toujours les partis politiques à sacrifier les femmes. Regardez les résultats des dernières élections cantonales : 12, 3 % de femmes élues !
Le dispositif que vous proposez, qui fait la part belle à ce type de scrutin, permettra peut-être une légère amélioration de la participation des femmes au niveau du département, mais cela se traduira inévitablement par une forte régression au niveau des conseils régionaux, alors que ceux-ci sont aujourd’hui parvenus, avec 47, 6 % de femmes, à une parité effective. Cette régression n’ira-t-elle pas jusqu’à remettre en question la parité des exécutifs régionaux, pourtant garantie par la loi de janvier 2007 ?
Plus grave encore : comment concilier ce retour en arrière avec le principe capital introduit dans la Constitution en 1999, grâce au gouvernement Jospin : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives » ?
Je n’évoquerai qu’en passant le caractère très particulier, au regard de notre tradition politique, du mode de scrutin à un tour que vous envisagez. Ceux, et ils sont nombreux, qui fréquentent le Palais du Luxembourg ont peut-être remarqué, dans l’un des couloirs du sous-sol, au cœur d’une exposition consacrée aux représentations de Marianne, cette belle affiche où la République piétine le scrutin à un tour avec cette légende : « Le scrutin majoritaire à deux tours écrasera la réaction. »