En matière fiscale, pareillement, on peut distinguer l’autonomie mesurée par vos instruments, monsieur le ministre, et l’autonomie telle qu’elle est vécue par les collectivités. Or les dotations représentant 90 % des ressources des départements et des régions, ceux-ci considèrent qu’ils sont désormais sous tutelle de l’État central : c’est lui qui, dorénavant, fixera le niveau de leurs dépenses. Du reste, nous saisirons de nouveau le Conseil constitutionnel sur ce point.
Si, comme cela est possible, le Conseil constitutionnel devait ne pas retenir cette argumentation purement fiscale, il serait légitime d’adjoindre à cette dernière le renforcement des pouvoirs du préfet dans les départements, qui accentue la recentralisation.
C’est cette conjonction de la perte d’autonomie fiscale et du renforcement des pouvoirs du préfet qui permet d’affirmer que, décidément, la France ne sera plus décentralisée, que les collectivités ne seront plus autonomes et ne s’administreront plus librement.
Par ailleurs, les projets proposés conduisent tout droit à la suppression des départements. Certes, ils sont formellement maintenus, mais, comme le dit M. Copé, qui en l’occurrence vend la mèche, il ne s’agit que d’une étape. Cela va d’ailleurs dans le sens de ce que le comité Balladur proposait, c'est-à-dire une France à l’architecture territoriale simplifiée, ne comportant plus que les communautés de communes et les régions.
M. Fillon, quant à lui, évoquait dès 2002 le futur conseiller territorial, regrettant qu’il n’ait pas été créé plut tôt et précisant que cela « aurait assuré la coordination des politiques de ces deux échelons en attendant leur fusion ».
Devant une telle concordance dans l’analyse faite par des personnalités aussi éminentes – l’actuel Premier ministre, un ancien Premier ministre, le président du principal groupe de la majorité à l’Assemblée nationale : excusez du peu ! – il ne peut plus être question de présomptions ou de procès d’intention : les textes prévoient effectivement une simplification administrative, mais pas seulement par rapprochement des régions et des départements ; il s’agit bien, à terme, de supprimer un niveau administratif, sans pour autant que cette volonté, dont la matérialisation nécessiterait une révision constitutionnelle, ait été expressément formulée dans le présent texte, contrairement à ce que réclamaient, dans l’optique d’une réalisation immédiate, M. Balladur ou M. Attali.
Peut-on censurer une disposition virtuelle ? Oui, si les présomptions d’une évolution sont certaines. C’est malheureusement bien le cas, s’agissant des départements, comme je crois l’avoir démontré.
Un second motif d’inconstitutionnalité tient à la disparition de la clause générale de compétence, fondement de la liberté des collectivités territoriales.
Le conseil général est compétent « pour régler les affaires d’intérêt départemental ». Certes, cette formule n’a eu d’existence juridique qu’à partir de 1982.