Dans ce schéma, ce sont les employeurs qui définiront les priorités d’intervention des services de santé au travail. Au travers des contrats d’objectifs et de moyens, et de leur adaptabilité aux réalités locales, tout semble fait en sorte d’éviter que les médecins du travail n’abordent pas les questions qui fâchent ! Cela est d’autant plus vrai que les directeurs des services de santé au travail, désignés par les employeurs, sont investis d’importantes prérogatives, notamment dans la définition des priorités d’action.
Ce texte contient ainsi en germe le risque que la médecine du travail se transforme en un service de santé publique au rabais, dirigé par des employeurs qui souhaitent seulement s’exonérer de leurs responsabilités en matière de santé au travail.
Le recours à des équipes pluridisciplinaires, qui constitue certainement une nécessité, ne doit pas s’accompagner d’une moindre indépendance des interventions en matière de santé au travail. Or ce texte ne garantit à aucun moment l’indépendance des membres de l’équipe pluridisciplinaire. Seule l’indépendance du médecin du travail est garantie, comme cela nous est rappelé fort utilement dans le texte même de la proposition de loi.
Comment, face à des directeurs de service nommés par le patronat, l’indépendance des professionnels de la santé placés sous leur autorité pourra-t-elle être garantie ?
Nous défendrons donc des amendements visant à garantir l’indépendance de l’ensemble des membres de l’équipe des services de santé au travail. Nous craignons en effet que cette proposition de loi, qui ne résout pas les problèmes de démographie médicale, n’ait pour conséquence le remplacement des médecins du travail par d’autres membres des services de santé qui, eux, ne seront pas indépendants.
Nous voyons bien, dans ce texte, que les injonctions du MEDEF ne sont pas loin !
Un autre point d’achoppement, qui est aussi la suite logique de cette mainmise patronale, concerne le risque de confusion entre la nécessaire prise en compte des risques professionnels par les employeurs et la prévention en matière de santé au travail par le médecin : la gestion des risques dépend exclusivement de l’employeur. C’est à lui de prendre les mesures qui s’imposent pour l’organisation de son activité, afin de prévenir la survenance d’accidents. Le médecin doit, quant à lui, l’alerter sur les menaces qui pèsent sur la santé des travailleurs. Il ne faut pas mélanger les rôles.
Enfin, ce texte n’apporte pas de solution à la question fondamentale de la pénurie de médecins du travail.
Plus de la moitié des médecins en activité sont âgés de plus de cinquante-cinq ans. Cela signifie que, dans trois ans, dans près des trois quarts des services de santé au travail, chaque médecin devra suivre en moyenne 3 300 salariés. Comment, dans ces conditions, un médecin peut-il remplir correctement ses missions ?
Vous considérez la désaffection dont souffre cette spécialité, et vous cherchez des solutions ailleurs : recours à des médecins non spécialistes, à des internes, à d’autres membres de l’équipe pluridisciplinaire, privatisation de certains services.
Il est à notre avis possible de s’y prendre autrement. En redonnant ses lettres de noblesse à cette profession, on pourrait enrayer ce mouvement de désaffection.
Ce qu’il aurait fallu, c’est une réforme qui s’attaque aux vrais obstacles à la prévention, et qui permette de renforcer les effectifs et les moyens de la médecine du travail.
Il est urgent que les employeurs prennent clairement conscience de leur responsabilité dans l’augmentation des maladies professionnelles, qu’elles soient physiques ou psychologiques. Malheureusement, votre proposition de loi ne va pas dans ce sens.
Elle ne résout aucun des problèmes fondamentaux auxquels la médecine du travail est confrontée, qu’il s’agisse de l’indépendance des services de santé au travail, de la meilleure prise en compte des nouveaux problèmes de santé au travail ou de la démographie médicale.
Nous défendrons des amendements ayant tous pour objet de responsabiliser les employeurs et de favoriser la reconnaissance de l’indépendance des services de santé au travail.
Ce qu’il faut, c’est rendre la médecine du travail plus à même d’aider les salariés, en raison, notamment, des nouvelles formes de maladies professionnelles, en renforçant l’indépendance des médecins et des équipes pour que cette discipline soit aussi plus attractive pour de jeunes médecins.
Les services de santé au travail ont pour mission exclusive, conformément à une disposition concernant les médecins au travail qui a été reprise, d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail. C’est cela qu’il faut garantir.
Comme souvent, nous sommes d’accord sur le constat. Mais nous sommes persuadés qu’il est impératif de préserver une médecine du travail indépendante, véritablement au service de la santé des millions de salariés de notre pays, ce que ne permet pas le texte que nous examinons aujourd'hui.