Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, six mois après l’adoption en première lecture de la présente proposition de loi par le Sénat, nous arrivons au terme de son examen, puisque le Gouvernement et la commission souhaitent un vote conforme, ce que je regrette.
Même si ce texte a évolué, force est de constater qu’il soulève encore bien des inquiétudes. Je pense, principalement, à la question de la gouvernance. Nous avions permis une certaine avancée puisque nous avions adopté une administration par un conseil paritaire dont la présidence était assurée alternativement par un représentant des employeurs et par un représentant des salariés. Nous étions parvenus à un véritable paritarisme au sein du conseil d’administration, gage d’une plus grande indépendance des médecins. Ce fut en vain ! L’Assemblée nationale n’a pas souhaité nous suivre, et le texte qui nous est soumis aujourd’hui réserve la présidence du conseil aux représentants des employeurs.
Une telle régression est pour nous inacceptable : il n’est pas concevable que ce soit toujours le même syndicat qui occupe ce poste. Et je regrette profondément que la commission n’ait pas jugé opportun de revenir à la rédaction que nous avions adoptée en première lecture. Je reste convaincue que le président et le trésorier doivent être élus alternativement parmi les représentants des employeurs et parmi ceux des salariés. C’est pourquoi j’ai de nouveau déposé, avec plusieurs membres du groupe RDSE, un amendement en ce sens.
Je regrette également les conditions dans lesquelles cette supposée réforme de la médecine du travail a été menée. J’avoue avoir espéré, comme beaucoup d’entre nous dans cet hémicycle, que le Gouvernement prendrait le temps d’engager un vrai débat avec les organisations syndicales pour parvenir à une réforme ambitieuse qui réponde aux attentes des salariés et aux besoins des médecins du travail. Il n’en est rien.
Alors que les effectifs des médecins concernés s’effondrent et que le nombre de maladies professionnelles augmente, la nécessité d’une réforme de la médecine du travail, instituée en 1946, fait l’unanimité. Cette réforme est d’ailleurs urgente. Mais, monsieur le ministre, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation ! La présente proposition de loi n’est qu’un copier-coller des dispositions introduites par voie d’amendements dans le projet de loi portant réforme des retraites, au mépris de toute concertation, dispositions qui ont à l’époque été censurées par le Conseil constitutionnel, lequel les a considérées comme un cavalier législatif.
Il aurait pourtant été souhaitable d’aborder la question de la pénurie des médecins du travail. Voilà un an, un rapport avait déjà mis en exergue ce problème. En 2009, plus de 55 % des médecins du travail étaient âgés de plus de cinquante-cinq ans. Dans quatre ans, plus de 4 000 médecins auront atteint ou dépassé l’âge légal de départ à la retraite ; leur nombre s’élèvera à plus de 5 600 dans moins de dix ans. Au total, en 2020, la population des médecins du travail aura donc perdu 80 % de ses effectifs ! Vers qui les salariés pourront-ils se tourner ? Et gardons à l’esprit que chacun des 6 000 professionnels en exercice suivent en moyenne 3 500 salariés. Dans ces conditions, comment voulez-vous que les médecins du travail puissent remplir correctement leurs missions ?
La médecine du travail est donc en danger ! Et n’oublions pas que dix années sont nécessaires pour former un médecin et que moins de quatre-vingts étudiants en médecine optent chaque année pour la médecine du travail, spécialité qui souffre d’une mauvaise image. Le médecin du travail devrait être pérennisé et reconnu comme un expert qui a toute sa place dans le déploiement des politiques de santé publique.
Après l’avoir affirmé lors de la première lecture, je le répète aujourd'hui : le texte que nous examinons aurait dû être l’occasion de revaloriser ce métier tant décrié, de faire évoluer les mentalités, d’autant que la prévention en matière de santé au travail est un enjeu majeur. Il est primordial de continuer à améliorer les conditions de travail et la prévention des risques professionnels, à un moment où les maladies professionnelles et les risques psychosociaux ne cessent d’augmenter.
Si les troubles musculo-squelettiques constituent à l’heure actuelle la première cause de maladies professionnelles, la souffrance au travail se répand de plus en plus, comme nous le constatons malheureusement. Parfois, les tensions au travail aboutissent à des situations de souffrance psychique, de stress, de découragement, de conflit, de réels traumatismes.
Comme l’a fait remarquer Jacqueline Alquier, depuis quelques années, les suicides et les tentatives de suicide sur le lieu de travail font régulièrement la une de l’actualité. Près de 400 suicides par an seraient liés à l’activité professionnelle. C’est la raison pour laquelle les médecins du travail ont un rôle très important à jouer au niveau de la prévention et que leur indépendance est primordiale, même si leur position au sein de l’entreprise est compliquée puisqu’ils subissent parfois des pressions et ont souvent le sentiment de ne servir à rien.
La médecine du travail doit évoluer. Or la présente proposition de loi n’apporte pas la bonne réponse.
Pour toutes ces raisons, et comme en première lecture, la majorité des membres du RDSE voteront contre ce texte.