Notre pays est la lanterne rouge de l’Europe dans la plupart des indices de santé au travail. Par exemple, les ouvriers continuent à vivre moins longtemps que les cadres, et dans des conditions sanitaires et médicales moins favorables que celles des autres catégories socioprofessionnelles.
Le groupe CRC-SPG n’entend donc pas nier qu’il existe aujourd’hui un besoin criant de réformer la médecine du travail. Je l’ai dit tout à l’heure, le nombre de personnes atteintes de maladies professionnelles augmente et la pénurie de médecins du travail est connue depuis longtemps.
Les vingt dernières années ont été marquées à la fois par des crises médicales majeures, causées par les conditions de travail – je pense notamment à la contamination par l’amiante – et par une diminution constante des effectifs de médecins du travail ; à cet égard, je partage les inquiétudes qu’a exprimées M. Godefroy. Dans le même temps, la responsabilité des pouvoirs publics a été engagée du fait de leur carence fautive dans la prise de mesures de prévention des risques liés à l’exposition des travailleurs aux poussières d’amiante. Bref, tout est à reconstruire.
À notre sens, cette reconstruction doit être menée en concertation avec les partenaires sociaux, et non contre eux, comme cela se passe aujourd’hui, même si, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, la majorité des organisations syndicales souhaitent que soit adoptée la petite partie qui sera mise aux voix aujourd'hui.
Réformer la médecine du travail dans un sens favorable aux salariés était donc un projet ambitieux, puisque tout ou presque était à repenser.
Nous n’étions pas hostiles à la création d’un corps de médecins du travail sous la tutelle de la sécurité sociale, que certains ont proposée à Mme Dini. Cependant, en cette matière comme s'agissant des conséquences sociales de l’inaptitude, la proposition de loi n’est pas assez ambitieuse. Pire, tant par la manière dont elle définit les missions de la médecine du travail que par l’organisation qu’elle prévoit, la proposition de loi tend à créer le trouble et à renforcer la prédominance des employeurs sur les représentants des salariés, au détriment de la santé de ces derniers.
Je regrette par exemple que, en contradiction avec les dispositions de la directive européenne du 12 juin 1989 sur la sécurité et la santé des travailleurs au travail, la présente proposition instaure une confusion entre les compétences des médecins du travail et celles de l’employeur. Les activités d’aide à l’employeur pour la gestion de la santé et de la sécurité au travail relèveront ainsi de la responsabilité de l’employeur, tandis que la surveillance de la santé des travailleurs reviendra aux médecins du travail.
Tout cela nous conduit à nous interroger, monsieur le ministre. À qui revient, au final, la mission, capitale pour les salariés, d’assurer la prévention, c’est-à-dire d’éviter que l’activité professionnelle ait une conséquence sur la santé physique ou psychique des salariés ? S’il revient aux équipes pluridisciplinaires d’apporter des réponses médicales, les employeurs ne peuvent se détourner de ce sujet ; ils ne peuvent se contenter de gérer les risques, ils doivent en prendre conscience et s’efforcer, par tous les moyens, notamment par des modifications des conditions et des modes d’organisation du travail, d’éviter que ces risques se réalisent.
Toutefois, en confiant à la présidence des services de santé au travail, SST, qui échoit automatiquement au représentant du patronat, la charge de définir les priorités de ces services, vous transférez l’essentiel des missions actuellement confiées aux médecins du travail aux directeurs et présidents des SST, tout en déresponsabilisant les employeurs.
Lors de l’examen de cette proposition de loi en première lecture, certains de nos collègues appartenant à la majorité ont justifié cette disposition en soutenant, comme Mme Payet vient de le faire, que, le financement de la médecine du travail étant à la charge des patrons, il n’était pas illogique qu’ils président les SST. Cependant, raisonner ainsi revient à oublier que, si les employeurs financent la médecine du travail, c’est parce que c’est le travail lui-même qui porte atteinte à la santé des travailleurs. On ne peut se prévaloir d’un mode d’organisation du travail qui affecte, blesse et parfois tue les salariés pour justifier la prépondérance patronale !
Nous considérons de même que la faculté donnée aux employeurs de nommer des salariés pour « s’occuper », en lieu et place du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, CHSCT, des questions de santé et de prévention, constitue un recul démocratique sans précédent et une mesure inquiétante. En effet, contrairement aux membres du CHSCT, ces salariés ne seront pas protégés et seront donc vulnérables face aux décisions arbitraires de l’employeur. Peu formés, non protégés et ne disposant pas des mêmes prérogatives que les CHSCT, on voit mal comment ils pourraient être vraiment utiles en matière de préservation de la santé des salariés.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre l’article 1er.