Intervention de Jean-Claude Merceron

Réunion du 12 octobre 2011 à 14h30
Débat sur la réforme portuaire

Photo de Jean-Claude MerceronJean-Claude Merceron :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la tenue de ce débat sur le bilan de l’application de la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire est concomitante de la publication du rapport de l’OCDE sur les ports de l’axe de la Seine, c'est-à-dire ceux de Rouen, du Havre et de Caen.

La commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire a eu raison de créer un groupe de travail sur la réforme portuaire de 2008, présidé par Charles Revet. Je tiens à remercier tout particulièrement notre collègue de l’esprit de convivialité qui a toujours prévalu au sein du groupe de travail et à souligner publiquement sa compétence, ainsi que celle de nos collaborateurs.

La loi de 2008 a bien pour objet de relancer l’activité des ports autonomes français, de moderniser la manutention portuaire et de renouer le dialogue social. Alors que 90 % des échanges mondiaux de marchandises se font par voie maritime, la France, qui était voilà trente ans la cinquième puissance maritime mondiale, n’occupe plus aujourd'hui que le trentième rang.

Le contexte de la mondialisation et du développement durable est donc favorable à l’essor des activités portuaires. Nos voisins belges, néerlandais et même allemands l’ont compris depuis longtemps ! Ils se sont adaptés et restructurés et ont réussi à gagner des parts de marché. Leurs ports irriguent aujourd’hui l’ensemble du territoire européen, grâce à des infrastructures portuaires et multimodales efficaces : hubs, fret ferroviaire et fluvial, plateformes logistiques…

C’est ainsi qu’Anvers est le premier port d’arrivée de conteneurs à destination de la France ! On ne peut vraiment pas être très fier de cette situation ! En effet, la France fait pâle figure : elle sous-exploite son potentiel et sous-investit, à tel point que près de la moitié des conteneurs qui lui sont destinés transitent par des ports d’autres pays européens. Les parts de marché des ports français ont été divisées par deux entre 1989 et 2006. Pourtant, avec quatre façades maritimes, le plus long linéaire côtier d’Europe, les importantes réserves foncières de ses ports, la France dispose d’atouts exceptionnels !

Comme le soulignait avec optimisme notre collègue Charles Revet, « il n’y a pas de fatalité au déclassement des ports français ».

D’ailleurs, au cours des visites que nous avons effectuées dans le cadre des travaux de la mission d’information, je suis moi-même passé du découragement à l’espoir. D’abord impressionné par le retard de nos ports, j’ai été ensuite rassuré de voir que tous nos interlocuteurs étaient conscients du caractère indispensable de la réforme et d’une évolution forte de la gouvernance portuaire pour la relance des ports maritimes français.

Cette mission d’information a permis de cibler un certain nombre de causes du décrochage des ports français. Je pense notamment aux carences de l’État stratège, à l’insuffisant ancrage territorial des ports et au manque de fiabilité des infrastructures. Il serait facile de multiplier les critiques, mais je préfère me tourner désormais vers l’avenir, pour examiner les conditions de la renaissance des ports français.

Le premier des impératifs consiste à raccorder les ports maritimes aux réseaux ferrés, fluviaux et routiers : le combat de la mer se gagne en effet à terre ! Pour atteindre cet objectif primordial, il faut tout d’abord déployer des investissements substantiels en vue d’assurer la desserte de l’hinterland, c’est-à-dire de relier chacun des ports aux axes de fret ferroviaire ou fluvial existants. Les ports maritimes seraient donc des hubs internationaux permettant ensuite d’irriguer la France et l’Europe. Or la réalisation d’un tel investissement pour relier les ports aux réseaux de fret ne semble pas être la priorité de l’État, qui, dans le schéma national des infrastructures de transport, n’y consacre même pas 2 % des moyens.

En outre, il faut que les chambres de commerce, les collectivités concernées ou les ports eux-mêmes réalisent des études en vue de connaître les marchés de l’arrière-pays, de définir les infrastructures multimodales et les compétences permettant de créer des clusters autour de l’activité logistique.

Ainsi, Marseille pourrait devenir la façade maritime de Lyon et irriguer l’Espagne et l’Italie depuis Arles, tandis que Le Havre et Caen deviendraient celle de la région parisienne. En tant que Ligérien, je tiens à rappeler l’importance du port de Nantes-Saint-Nazaire, en particulier celle du terminal méthanier de Montoir-de-Bretagne, le plus important d’Europe. Ce port de la façade atlantique doit redéployer ses activités dans le cadre du partenariat européen de l’arc atlantique.

Mais tout cela ne sera possible que si les ports sont reliés aux métropoles par des réseaux fluviaux et ferroviaires fiables. L’existence d’infrastructures multimodales sur le continent et leur connexion avec les ports est donc pour moi la première des priorités.

À l’heure où, précisément, il s’agit de déployer des projets susceptibles de relancer l’économie afin de créer des emplois et de développer durablement notre territoire, il est plus que temps de passer à l’action, par exemple en réalisant des plateformes multimodales sur des chantiers terrestres, tel celui du canal Seine-Nord Europe. La réforme prochaine de Voies navigables de France apportera, je l’espère, l’efficacité requise pour mener un projet de cette envergure.

En outre, il faut saluer la proposition de la mission d’information visant à une décentralisation de la gestion des grands ports maritimes et à la mise en œuvre d’une nécessaire logique « entrepreneuriale », qui doit accompagner la nouvelle gouvernance. Cela signifie que les collectivités territoriales doivent agir en investisseurs, chercher de nouveaux marchés pour augmenter les volumes de transit et, surtout, soutenir les investissements des ports pour adapter leur offre à une forte croissance du trafic.

Cela nécessite une nouvelle approche, commerciale, une démarche coopérative avec d’autres ports internationaux, et donc de nouvelles compétences.

Naturellement, il est normal que les collectivités ou les ports puissent récupérer les fruits de leurs investissements et de leurs efforts. Mais cela demande une autonomie accrue, or l’État freine aujourd’hui. En effet, il sur-administre les collectivités et les grandes infrastructures, il promet des financements qui n’arrivent pas, alors que les gestionnaires des ports ont besoin de souplesse, de déréglementation – à tout le moins de règles dérogatoires – et de partenariats choisis : je pense à Voies navigables de France, à Réseau ferré de France ou bien encore aux chambres consulaires.

Le volontarisme affiché par nombre des acteurs que nous avons rencontrés mérite d’être soutenu, étant donné que, de toute manière, les ports français ne sauraient être dans une situation pire que celle qu’ils connaissent aujourd’hui.

Des partenariats choisis avec les services responsables d’infrastructures, mais aussi avec des centres de recherche, ne doivent en aucun cas être empêchés par la loi, ni trop encadrés par elle. Il faut donner de l’air aux initiatives, et surtout faire confiance aux acteurs, publics ou privés, qui souhaitent mettre leur énergie au service du développement du trafic portuaire de la France.

D’un point de vue social, on peut se féliciter de ce que la réforme ait permis la réunification de la chaîne de commandement de la manutention, sous l’égide des entreprises privées, même si l’on ne peut que déplorer que ce transfert se soit déroulé dans un climat social tendu. La concomitance de la réforme des retraites n’a pas été étrangère à la montée de ces tensions, qui ont écorné un peu plus encore l’image déjà peu reluisante des ports français et nui à leur économie.

Cependant, une fois encore, rien n’est irréversible, pourvu que le développement des ports continue à faire l’objet d’un dialogue social franc et respectueux de chacune des parties, notamment lorsqu’il s’agira de favoriser la concurrence dans les activités de manutention portuaire. J’appelle à la mise en œuvre la plus rapide possible de cette concurrence, afin que le volet social et le volet économique de la réforme se déploient harmonieusement.

En conclusion, si nous sommes d’accord sur ces points fondamentaux, notamment sur la quinzaine de propositions contenues dans le rapport d’information, il faudra très vite passer à l’action, par le biais de l’élaboration d’une proposition de loi qui, je l’espère, pourra être votée dans les plus brefs délais et dans le même esprit de lucidité et de consensus que celui qui a guidé les travaux de notre mission d’information.

Les enjeux économiques et sociaux que recouvre le développement structurel de nos ports maritimes et fluviaux sont tels qu’il ne faudra pas manquer ce rendez-vous. Cela relève de notre responsabilité à tous.

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