Intervention de Michelle Demessine

Réunion du 20 octobre 2006 à 10h00
Secteur de l'énergie — Articles additionnels après l'article 4

Photo de Michelle DemessineMichelle Demessine :

L'industrie du gaz naturel s'est développée depuis plus de quarante ans sur la base de contrats à long terme, qui lient producteurs, comme Sonatrach et Gazprom, et acheteurs, comme Gaz de France, ce qui permet un partage des risques et des intérêts économiques. Cet édifice, dont la solidité repose sur des accords d'État à État, a été le moteur du développement du secteur gazier européen.

Avec ce texte, c'est ce mécanisme qui sera mis à mal ! Le projet de loi prévoit, en effet, un système ouvert : les pays producteurs organiseraient un accès libre des ressources de leurs territoires, et le gaz, nécessairement abondant - comme par magie ! -, s'échangerait sur des marchés de court terme auprès desquels viendraient s'approvisionner tous les fournisseurs concurrents, pour le plus grand bénéfice des consommateurs.

Or l'ensemble de ce montage a été profondément perturbé par la révolution libérale opérée en Grande-Bretagne par Margaret Thatcher : le gaz de la mer du Nord a été massivement exploité pour la production d'électricité par la mise en place d'un marché spot qui le faisait apparaître comme nettement plus compétitif que le charbon. La destruction des mines, la mise au pas des mineurs, la suppression de nombreuses centrales thermiques classiques ont conduit la Grande-Bretagne à épuiser son gaz en une quinzaine d'années, ce qui a engendré une flambée du cours de cette ressource sur les marchés spot.

L'Europe a copié la Grande-Bretagne en instaurant un mécanisme de formation des tarifs du gaz fondé sur les prix des marchés spot et en mettant en cause les contrats à long terme. La flambée des cours du gaz britannique s'est alors propagée dans toute Europe.

On peut donc légitimement se demander dans quelle mesure ces marchés spot pourraient utilement supplanter les contrats à long terme et devenir la principale source d'approvisionnement européen en gaz. La Commission européenne elle-même revient sur ses premières opinions concernant les contrats à long terme et tend à nuancer ses préférences pour les marchés spot.

La raison principale tient au rôle crucial que jouent les contrats à long terme dans la sécurité d'approvisionnement, ce que ne pourront assurer les marchés spot.

On nous oppose que le groupe Suez, par son volume d'achat, bénéficierait de prix plus bas. Mais ces gains sont tout à fait hypothétiques, car Gaz de France est déjà un très gros acheteur sur les contrats à long terme ! En supposant que ce soit le cas, les usagers n'en auront même pas le bénéfice. Les deux présidents ont, en effet, promis aux actionnaires qu'ils bénéficieraient en priorité des économies incluses dans les « synergies ».

Comment prétendre alors à une amélioration de la sécurité d'approvisionnement et à une baisse des prix ? Tout au contraire, le groupe pourra jouer de ses possibilités d'écoulement de son gaz sur deux continents au détriment de l'Europe, ce qui provoquera une augmentation des prix. À supposer même que les prix d'achat soient améliorés par la fusion, ce que l'histoire des prix de l'énergie dément, le groupe n'aura strictement aucune obligation de faire profiter les consommateurs de cette baisse, dans un contexte de déréglementation.

Ce n'est pas la concurrence qui fait baisser les prix d'une énergie fournie en réseau comme l'électricité ou le gaz, ce sont les options retenues pour les énergies primaires. Les gains d'échelle résultent de l'intégration des systèmes de production, de transport et de distribution, l'optimisation des tarifs est rendue possible par le calcul économique à long terme et, pour le gaz, cela passe par des contrats à long terme scellés avec les pays producteurs.

À l'inverse, la libre concurrence fait la promotion des marchés boursiers de l'énergie. Or, ce qui s'est passé ces deux dernières années apporte la preuve que ceux-ci reflètent non pas les coûts, pas même les coûts de développement, mais le besoin marginal instantané, dont la valorisation est beaucoup plus élevée.

Le cercle vicieux, libéralisation-privatisation-hausse des prix, a commencé. À défaut d'une politique de service public à l'échelon européen, il faut que les pays gardent ou reprennent le contrôle de leur secteur énergétique, car ils ne pourront mettre en commun que ce qu'ils ont. C'est sur cette analyse qu'il est réaliste de construire une politique énergétique européenne. Elle passe par la négociation en commun à cet échelon, avec les pays producteurs, de contrats à long terme qui assureront la relève à partir de 2015, d'une part ; par la mise en place d'une politique commune d'investissement en grandes infrastructures de transport, d'autre part.

Une telle négociation rétablirait une véritable garantie d'achat à long terme pour les producteurs, une stabilité dans le temps, des moyens financiers et techniques à la hauteur des enjeux. En contrepartie, l'Europe assurerait sa sécurité d'approvisionnement et pourrait négocier des tarifs plus stables.

S'il y a un cercle vicieux de la libéralisation, il existe un cercle vertueux de la coopération, coopération-monopole public-propriété publique.

L'enjeu principal est de construire une Europe de l'énergie capable de satisfaire les objectifs de développement durable, tout en répondant à la crise énergétique qui s'annonce.

Le marché et les opérateurs privés ne prennent en considération que des impératifs de rentabilité financière. Cela conduit à des visions de court ou de moyen terme, alors que la crise énergétique et les impératifs de développement durable commandent de sécuriser les approvisionnements.

Il est donc essentiel, pour notre pays, pour l'Europe et pour la préservation de notre planète, que les contrats à long terme couvrent au minimum 95 % des besoins de chacun des fournisseurs de gaz naturel.

C'est pour toutes ces raisons, mes chers collègues, que je vous demande d'adopter cet amendement sur lequel le groupe CRC demande un scrutin public.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion