L'objectif du service public de l'énergie est de garantir l'approvisionnement en électricité et en gaz de nos concitoyens sur l'ensemble du territoire, dans le respect de l'intérêt général et de l'égalité des usagers.
C'est précisément cette conception de service public que vous faites voler en éclats avec ce projet de loi. L'article 6 y contribue amplement, en poursuivant le démantèlement des entreprises nationales historiques par la voie de la filialisation du réseau de distribution.
Il existe bien aujourd'hui quelques distributeurs non nationalisés dont l'existence fait que ni GDF ni EDF ne disposent d'un entier monopole de distribution. Mais leurs périmètres d'intervention étant limités, ils ne sont pas en situation de remettre en cause les aspects positifs du fonctionnement des opérateurs historiques, tels que les capacités d'investissement ou les économies d'échelle.
Et outre, les quelques précautions que vous prenez dans cet article ne sont pas sans entraîner des contradictions.
L'article 6 ne remet pas en cause les actuelles concessions, mais il ne prévoit rien, par exemple, en faveur du maintien du système de successeur obligé et sa contractualisation locale.
Autre exemple extrait du rapport de M. Poniatowski : « pour préserver le caractère intégré de l'entreprise et les droits des actionnaires, cet article définit, de manière non limitative, les pouvoirs de contrôle conférés aux dirigeants de l'entreprise et aux actionnaires [...] sur la filiale chargée du réseau de distribution ». Permettez-moi de relire la première partie de la phrase : « pour préserver le caractère intégré de l'entreprise et les droits des actionnaires » ! Voilà bien où le bât blesse ! Car comment serait-il possible de concilier les deux ? Comment rapprocher deux conceptions que tout oppose ?
Par ailleurs, quelles garanties serez-vous en mesure d'apporter à nos concitoyens en matière de sécurité lorsque la perspective de profits guidera les choix ? Nous connaissons la réponse !
L'activité de distribution de l'énergie exige des investissements lourds. Aussi bien EDF que GDF sont en mesure d'assumer ces investissements grâce à leur taille qui permet des économies d'échelle, à leur savoir-faire, à leurs choix de formation des salariés, des techniciens par une gestion sur le long terme.
C'est la fiabilité de leur réponse aux besoins du pays que vous remettez en cause, et par la privatisation, et en offrant le marché de l'énergie à des opérateurs nouveaux.
Comme l'a rappelé Michelle Demessine, EDF a su faire face aux immenses problèmes provoqués par la tempête de 1999. En revanche, une entreprise de distribution d'électricité, Électricité de Bordeaux, qui a aujourd'hui disparu, a été incapable d'assumer les coûts énormes qu'exigeait la remise en état de son réseau ! Cet exemple nous montre ce qui nous guette. Est-ce ce que vous voulez, monsieur le ministre ?
C'est dans ces conditions que vous allez « faire cadeau » à de nouvelles entités juridiques privatisées, en réalité aux actionnaires, de personnels, que vous n'avez d'ailleurs pas consultés, et d'actifs qui appartenaient jusqu'ici au pays.
Enfin, l'article 6 est complété par d'autres, dont l'article 9, qui met un terme au système de péréquation nationale en matière de gaz. Les nouveaux opérateurs privés pourront pratiquer des tarifs libres, sans souci de l'égalité de traitement entre les usagers. Ils devront simplement effectuer une péréquation dans leur zone de distribution. Autrement dit, les usagers raccordés à un même réseau paieront tous le même prix, mais des différences existeront selon leur lieu de résidence. C'est la remise en cause du principe républicain d'égalité des citoyens sur tout le territoire.
Ainsi, l'objectif de garantie de l'approvisionnement en énergie sur l'ensemble du territoire, dans le respect de l'intérêt général et de l'égalité des usagers, n'aurait tout simplement plus cours.