Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m'exprime ici au nom de M. Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances, qui vous prie de bien vouloir excuser son absence.
Alors que le présent projet de loi vise à privatiser Gaz de France, il serait paradoxal de ne pas accorder ce droit aux collectivités territoriales pour leurs SEM, sociétés d'économie mixte, concessionnaires de la distribution de gaz.
L'article 23 de la loi du 8 avril 1946, dont les dispositions régissent ces SEM, avait pour objet d'instaurer une exception au principe de nationalisation de la distribution du gaz. Dès lors, il serait incohérent que l'exception survive à la règle !
De plus, ces SEM sont particulièrement menacées par les évolutions actuelles du marché de l'énergie. Dans un marché libéralisé, ces sociétés de petite taille pourraient, en effet, éprouver des difficultés face à des concurrents plus importants, d'autant que, si elles sont presque certaines de perdre des clients, elles ne pourront pas en gagner, leur champ d'action étant limité au territoire des collectivités détenant des parts dans leur capital.
Il importe donc de corriger cette anomalie, en leur offrant la possibilité d'être privatisées et de devenir des sociétés anonymes. C'est tout le sens de cet amendement.
Si vous m'y autorisez, monsieur le président, j'aurais souhaité apporter, à titre personnel, quelques éléments sur cette question.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite replacer l'article 6 du projet de loi dans un contexte plus global.
Le texte que nous examinons traite d'une question centrale, à savoir la possibilité, pour le grand acteur du secteur du gaz qu'est Gaz de France, de construire un projet industriel. À ce titre, permettez-moi de citer, monsieur le ministre, votre collègue M. Breton, qui s'exprimait mardi dernier lors de la réunion conjointe des commissions des affaires économiques et des finances : « Il s'agit de donner les moyens à Gaz de France de s'agrandir, à un moment où les concentrations s'accélèrent (...) et de lui donner les moyens d'aller de l'avant. »
Or ce texte, s'il traite le cas de la société la plus grande, n'envisage pas, dans sa rédaction actuelle, la situation des distributeurs non nationalisés. Certes, le plus grand d'entre eux est cent fois plus petit que Gaz de France. Au demeurant, ils sont les grands - ou les petits ! - oubliés de ce projet de loi.
Je voudrais souligner ici le travail de réflexion sur l'avenir de ces sociétés locales de distribution gazière qui a été conduit depuis de longs mois en collaboration avec la Direction de la demande et des marchés énergétiques, la DIDEME, et la Direction générale des collectivités locales. Cette dernière s'inquiète au sujet de ses participations dans des sociétés désormais soumises aux fortes fluctuations des marchés.
Comme vous le savez, un amendement similaire a été défendu à l'Assemblée nationale. Il a été retiré, au double motif que la concertation n'avait pas été menée avec les DNN et qu'il était opportun de laisser trancher le Sénat, représentant des collectivités locales.
Sur le premier point, une réunion technique a permis de constater que les DNN sont traversés par les mêmes lignes de clivage que celles qui sont présentes au sein de nos assemblées. Dès lors, il nous faut prendre nos responsabilités !
Sur le second point, je vous ferai observer, mes chers collègues, que l'un des enjeux de l'amendement soumis à votre vote est justement le respect du principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales, si cher à la Haute Assemblée. Dès lors que le projet de loi relatif au secteur de l'énergie autorise la privatisation de Gaz de France, il serait logique de permettre aux sociétés locales de distribution de se transformer en sociétés anonymes.
On me dit que cet amendement n'est rédigé que pour Strasbourg et Bordeaux. Mais il n'est pas anormal que les élus de ces deux villes soient à l'origine de l'amendement initial déposé à l'Assemblée nationale sur ce sujet. En effet, sur les vingt DNN, seules deux sociétés sont purement gazières, celles de Strasbourg et de Bordeaux. Les régies ne sont pas concernées par l'amendement, et les sociétés de distribution duales ou purement électriques ne sont pas confrontées à la même spécificité.
Nous devons admettre l'existence d'une spécificité gazière. Les différences entre l'électricité et le gaz, mes chers collègues, sont en effet nombreuses. Deux spécificités principales doivent être soulignées : d'une part, il n'existe pas de péréquation tarifaire pour la vente de gaz et, d'autre part, il n'y a pas non plus de tarif préférentiel de cession du gaz par les producteurs. Le territoire national ne comptant d'ailleurs aucun producteur, les sociétés de distribution sont totalement exposées au prix mondial du gaz. Il s'agit d'un risque considérable, bien plus important que celui auquel sont confrontées les sociétés d'électricité ou les sociétés mixtes.
Si Gaz de France s'inquiète de son avenir dans un contexte mondial de concentration et de course à la taille, le cas des petites sociétés paraît encore plus préoccupant.
On me dit, par ailleurs, que plusieurs DNN se satisfont de leur situation actuelle et qu'ils ne veulent pas être contraints de changer. Mais l'adoption de l'amendement n° 54, permettez-moi de le souligner, mes chers collègues, n'emporterait aucune obligation, puisque son objet est simplement d'offrir des options et une liberté d'évolution pour les DNN qui souhaiteraient nouer des alliances.
L'immobilisme est-il la réponse ? Sûrement pas, bien sûr ! Les DNN, et tout spécialement les sociétés gazières, sont fortement déstabilisés. L'amendement de la commission des finances vise donc à remédier à cette situation.
La possibilité d'adosser une société locale de distribution gazière à un grand industriel du gaz permettrait aux DNN de faire face aux problèmes essentiels que sont les approvisionnements en gaz - ils s'effectuent sur le marché mondial, je le rappelle -, la vente à des clients industriels, la mise au point de nouveaux produits et les services destinés au grand public. Au-delà de la fourniture, même l'activité de réseau y gagnera, par l'apport de nouvelles techniques de conception, d'exploitation ou de surveillance des réseaux, et par l'introduction de nouveaux outils.
L'adossement à un industriel permettrait aussi de garantir l'accès à des formations, car, on le sait, les portes de Gaz de France sont désormais fermées. Or la formation est une garantie de sécurité des réseaux.
Si je ne craignais de dépasser mon temps de parole, monsieur le président, je répondrais volontiers aux critiques que j'ai pu entendre à propos du projet industriel strasbourgeois. Non, la motivation de la Ville de Strasbourg n'est pas de renflouer ses caisses, qui n'en ont pas besoin ; oui, la cession des parts de la Ville correspond à une véritable vision industrielle ; oui, l'amendement sera sans conséquence sur le statut du personnel, qui est celui des industries électriques et gazières, statut conforté par les lois du 3 janvier 2003 et du 9 août 2004. Au contraire, c'est l'immobilisme qui conduira sans nul doute à des coûts sociaux.
Telles sont, mes chers collègues, les raisons essentielles - il en existe d'autres ! - pour lesquelles je vous demande de bien vouloir adopter cet amendement de la commission des finances.