Intervention de Dominique Perben

Réunion du 13 décembre 2004 à 9h30
Loi de finances pour 2005 — Justice

Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le rapporteur spécial, vous avez d'abord évoqué la mise en oeuvre de la LOLF et sa compatibilité avec la gestion des crédits de frais de justice.

S'agissant des frais de justice, nous nous heurtons à deux difficultés. D'une part, ils augmentent de façon très importante, en pourcentage, d'année en année. Ils ont progressé de 20 % entre 2002 et 2003 et leur croissance sera sans doute du même ordre entre 2003 et 2004.

Par ailleurs, nous passerons en crédits limitatifs à partir de 2006.

Comment sortir de cette double difficulté ? Comme je l'ai indiqué devant la commission des finances, il faut d'abord réaliser un travail de rationalisation s'articulant notamment autour des trois mesures suivantes.

Tout d'abord, il me paraît indispensable de sensibiliser les prescripteurs, c'est-à-dire les magistrats et les officiers de police judiciaire, en normalisant la chaîne de la dépense : engagements, ordonnancements, paiements.

Ensuite, il convient d'ouvrir une négociation tarifaire avec les principaux prestataires de services, les opérateurs de téléphonie mobile et les laboratoires d'analyses génétiques notamment. Nous avons engagé des discussions avec ces deux partenaires afin d'obtenir des tarifs raisonnables.

Il faudra aussi préciser la relation entre celui qui passe la commande et l'opérateur. En effet, plus la demande d'un officier de police judiciaire ou d'un magistrat est précise, en fonction de la nature du renseignement qu'il veut obtenir pour les besoins de son enquête, moins la dépense sera élevée.

Il y a donc un travail à faire de part et d'autre. D'un côté, les prestataires de services doivent faire un effort tarifaire et, de l'autre, ceux qui passent la commande doivent faire un travail de rationalisation.

Enfin, il faut redéfinir le périmètre des frais de justice. Nous avons engagé des discussions avec le ministère de l'intérieur sur la répartition de la dépense, ce qui ne réduit en rien le travail qui doit être fait sur le montant de la dépense.

En effet, certaines dépenses sont engagées de façon légitime, mais hors du contrôle des magistrats, qu'il s'agisse du parquet ou du juge d'instruction. La question est alors de savoir quel ministère doit payer. Aujourd'hui, c'est le ministère de la justice. Est-ce bien légitime dans le cas où un policier passe une commande sans avoir demandé le feu vert de l'institution judiciaire ?

Outre le travail de réduction et de précision de la dépense que nous avons engagé, il nous faudra avoir des systèmes des réserves. Notre objectif est en effet de déconcentrer les budgets sur les juridictions.

Nous devrons toutefois conserver des réserves ministérielles pour être capables de faire face à des enquêtes exceptionnelles dans le ressort d'une juridiction.

J'ajoute que la LOLF n'interdit pas de recourir aux décrets d'avances si, par malheur, telle année, surgissait une affaire très importante, suscitant des dépenses considérables.

Tel est l'axe de notre travail pour rendre compatibles la LOLF et les frais de justice.

Pour les créations d'emplois, le taux cumulé depuis trois ans est aujourd'hui de 52 %, pour un taux de référence de 60 %. Nous avons donc pris un léger retard, 8 %, sur le rythme global de créations d'emplois.

Je tiens à rappeler qu'en matière de créations d'emplois dans les services de l'Etat le projet de budget pour 2005 est très restrictif. Dans ce contexte, le ministère de la justice a obtenu plus du tiers des créations d'emplois, soit 1 100 sur un total de 3 000. Il est bien évident que nous devrons faire un effort en 2006 et en 2007, afin de nous remettre à niveau par rapport à la loi d'orientation et de programmation, en particulier dans les services judiciaires. J'y reviendrai à l'occasion de la réponse à une question que vous m'avez posée sur les greffes.

En ce qui concerne la maîtrise d'ouvrage privée et le partenariat public-privé, les opérations sont entrées dans leur phase concrète. Nous avons lancé une consultation en maîtrise d'ouvrage publique traditionnelle sur trois établissements - Bourg-en-Bresse, Rennes et Mont-de-Marsan - et une consultation en maîtrise d'ouvrage privée sur quatre établissements - Béziers, Lyon, Nancy et Roanne.

Le ministère de la justice et le ministère de l'économie et des finances ont réalisé des études conjointes sur le coût prévisionnel des opérations publiques-privées, c'est-à-dire la construction avec une location sur une durée relativement longue.

Une vraie comparaison ne sera possible que lorsque nous disposerons du résultat de ces deux appels d'offres. Il faudra toutefois veiller à actualiser les montants en cause, car 100 euros payés aujourd'hui ne valent pas 100 euros payés dans vingt ans.

J'ai souhaité que certaines opérations soient réalisées en maîtrise d'ouvrage publique classique afin que nous disposions d'un élément de comparaison pour l'avenir. En tout état de cause, ce dispositif nous rendra de grands services, monsieur le rapporteur spécial.

Nous connaissons tous les contraintes de la régulation budgétaire. Le ministère de la justice s'est engagé dans un très important programme de constructions. Soyons lucides et objectifs, ce programme aurait bien du mal à résister aux demandes de réduction de dépenses du ministère des finances. Mais, avec ce dispositif, nous avons la durée pour nous. Une de ses conséquences positives est de nous permettre d'engager l'ensemble du programme selon un calendrier tout à fait satisfaisant. Par rapport aux 13 200 places qui figurent dans la loi d'orientation et de programmation pour la justice, plus de 5 000 sont aujourd'hui lancées en termes de procédures de marché. Comme vous pouvez le constater, les choses avancent à un bon rythme.

Monsieur le rapporteur spécial, vous m'avez également interrogé sur les crédits de paiement.

Le ministère de la justice compte en effet parmi les plus importants constructeurs du secteur public, avec des chantiers de réhabilitation de palais de justice et de prisons, ainsi que de construction de nouveaux foyers pour la protection judiciaire de la jeunesse.

En 2002, les crédits de paiement étaient inférieurs à 200 millions d'euros et la Cour des comptes déplorait leur très faible consommation. En 2005, ils s'élèveront à 318 millions d'euros, soit une progression de l'ordre de 60 % par rapport à 2002, et nous les utilisons pleinement puisque, j'attire l'attention du Sénat sur ce chiffre, le taux de consommation attendu pour 2004 est supérieur à 90 %.

La comparaison de ces chiffres est importante. Elle montre que la mécanique de construction est bien lancée et que le ministère de la justice, contrairement à sa réputation en matière d'équipements, consomme désormais les crédits qui lui sont attribués.

Il est probable que les crédits de paiement monteront en puissance en 2006 et en 2007, puisque nous aborderons de plus en plus les phases de mises en chantiers des opérations que j'évoquais tout à l'heure.

Nous devrons donc nous montrer attentifs, dans les deux prochaines années, d'autant que, vous le savez, ce grand programme de construction se déroulera dans une conjoncture de hausse assez forte des prix dans le bâtiment. Dans les réponses aux appels d'offres, et je pense que les collectivités territoriales font le même constat, on observe une forte tension sur le marché. Il pourrait en résulter des conséquences assez lourdes à supporter pour les finances publiques.

J'en viens aux créations d'emplois de fonctionnaires dans les greffes. Nous avons déjà engagé des efforts importants pour la mise en place de nouveaux postes budgétaires de magistrats. Voilà deux ans, lorsque je me déplaçais dans les juridictions, j'observais régulièrement des vacances de postes de magistrats. Aujourd'hui, il apparaît que le point de tension réside dans les greffes.

Pourtant, en 2003 et en 2004, nous avons créé 400 postes budgétaires de greffiers. Nous avons en outre, en 2005, la perspective de 102 emplois supplémentaires, qui s'ajouteront aux 125 emplois d'adjoints administratifs et aux 20 emplois de secrétaires administratifs destinés à répondre aux besoins des services administratifs régionaux.

Il nous reste maintenant à consolider les créations de postes de fonctionnaires et de greffiers dans les années à venir.

Nous consentons un effort particulier en direction des greffes avec la mise en place de la nouvelle bonification indiciaire, en particulier pour les personnels qui assument des responsabilités particulières, entre autres dans les services administratifs régionaux.

Par ailleurs, il me paraît indispensable d'améliorer et de moderniser les méthodes de travail si nous voulons à la fois valoriser le travail des greffes et des services et améliorer la productivité.

A cet égard, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai souhaité réaliser un audit approfondi d'un tribunal de grande instance de taille moyenne, en l'occurrence celui de Thonon, portant non pas sur les procédures juridiques, mais sur les conditions et l'organisation du travail. Avec l'accord des chefs de la juridiction concernée, ce seront les méthodes de travail, pratiques, matérielles, parfois très élémentaires qui seront examinées : comment fait-on passer un document d'un service à un autre, comment transmet-on une information ? Il s'agit de choses toutes simples qui ne sont pas toujours prises en compte dans le fonctionnement d'un tribunal.

Il nous reste un effort à faire dans ce domaine. C'est par l'expérience, par une analyse pratique et précise que l'on pourra gagner du temps et rendre nos juridictions plus efficaces.

J'ajoute, mais vous le savez sans doute, que je dispose dorénavant de statistiques d'activités des juridictions, trimestre par trimestre. Ces statistiques, qui me parviennent dans un délai de l'ordre de quinze jours à partir de la fin du trimestre, me permettent, avec mes collaborateurs, de diagnostiquer l'apparition d'une éventuelle difficulté dans une juridiction, de réagir et d'y remédier en temps quasi réel.

Monsieur le rapporteur spécial, vous avez été un peu sévère en parlant des maisons de justice et du droit comme d'une « mode ».

J'ai demandé à l'Inspection générale des services judiciaires de se faire une opinion sur leur efficacité et sur les conditions de leur développement. On peut affirmer aujourd'hui qu'elles ont bien répondu à leur vocation première, qu'elles assurent effectivement une présence judiciaire de proximité et qu'elles ont donc été tout à fait bénéfiques.

Une bonne coordination est indispensable entre les maisons de justice et du droit et les conseils départementaux de l'accès au droit, les CDAD, coordination qui, il faut bien le reconnaître, n'existe pas toujours.

Il faut par ailleurs veiller à ce que l'implantation de ces maisons résulte d'un travail d'analyse approfondi, que les emplois de greffe correspondant à leur bon fonctionnement soient disponibles - cela n'a pas toujours été le cas - et que leur travail s'intègre bien dans le fonctionnement de la juridiction de rattachement.

J'en viens maintenant aux juridictions administratives, à propos desquelles je voudrais citer quelques chiffres.

Il est vrai que, dans de nombreux tribunaux administratifs ou cours administratives d'appel, les délais augmentent.

Le taux d'exécution des crédits des juridictions administratives inscrits dans la loi d'orientation et de programmation pour la justice est de 70 % ; il est donc plus élevé que la moyenne, qui, au-delà de trois ans d'exécution, vous le savez, devrait être de 60 %. En ce qui concerne les créations d'emplois, le taux d'exécution est de 50 %, légèrement au-dessous donc de cette même moyenne ; la différence correspond à 48 emplois. Bien sûr, et j'en suis d'accord, il nous faudra faire un effort pour essayer de rattraper ce retard dans les deux prochaines années.

Mais nous sommes confrontés à un autre phénomène : l'augmentation du contentieux, qui nous oblige à réfléchir de façon plus approfondie.

Je suis absolument convaincu que nous devons instaurer le plus vite possible, pour la fonction publique, un recours administratif préalable obligatoire. Depuis quelques mois en effet, en particulier sur les questions de retraite, les juridictions administratives sont saisies d'une multitude de recours rigoureusement identiques. Or la règle applicable est très vite connue et la jurisprudence fixée. Les administrations devraient tout de même en tirer les conséquences !

Je suis donc tout à fait décidé, en collaboration avec mon collègue chargé de la fonction publique, à créer ce recours administratif préalable obligatoire, qui évitera une perte de temps et d'argent pour tout le monde.

Il nous faudrait par ailleurs créer une procédure d'ordonnance simplifiée pour traiter rapidement les requêtes dont la solution est évidente parce que terriblement répétitive.

Si nous ne procédons pas à ces deux modernisations, nous passerons notre temps à courir après un contentieux répétitif en constante augmentation.

Pour ce qui est de l'expérimentation prévue dans la loi de décentralisation d'août 2004 et appliquée à la protection judiciaire de la jeunesse, les candidatures des départements sont en train de nous parvenir. D'ores et déjà, quatre départements se sont déclarés : Loiret, Yonne, Indre-et-Loire et Rhône ; peut-être d'autres s'ajouteront-ils à cette liste avant le 1er janvier prochain.

Je tiens à préciser que la mise au point des conventions qui seront signées entre l'Etat et chacun des départements fera l'objet d'une large concertation avec les acteurs concernés - juge des enfants, services sociaux compétents et protection judiciaire de la jeunesse -, de manière que cette expérience soit la plus enrichissante possible.

S'agissant des indicateurs de la LOLF, monsieur le rapporteur spécial, j'ai bien entendu vos suggestions et votre offre de collaboration et de coopération, que j'accepte bien volontiers. Assurément, nous devrons affiner nos critères au fur et à mesure de la mise en place du dispositif, et je suis tout prêt à y introduire, comme vous me le suggérez, des critères peut-être plus qualitatifs que ceux qui ont été jusqu'ici proposés. Les choses peuvent toujours être améliorées !

Enfin, vous m'avez interrogé sur le transfert éventuel à l'administration pénitentiaire des gardes et des escortes. Je serai très clair : je suis tout à fait ouvert à une telle évolution. Je l'ai dit et répété, je ne suis pas du tout hostile à ce que l'administration pénitentiaire reprenne pour partie les tâches de garde et d'escorte de détenus. Je considère cependant qu'une expérimentation préalable est nécessaire, car l'évolution des métiers de l'administration pénitentiaire qu'implique ce changement peut présenter certains risques ; je pense en particulier à l'innovation que sera, pour la pénitentiaire, le port d'arme sur la voie publique, donc à l'extérieur des établissements.

Cependant, cette expérimentation ne sera engagée que si les moyens nécessaires sont affectés au ministère de la justice. Or, jusqu'ici, il a été question avec le ministère de l'intérieur de transfert de charges, de transfert de tâches, mais pas de transfert de moyens. Alors, de deux choses l'une : ou bien, comme le disait Nicolas Sarkozy, les gardes et les escortes représentent 4 000 emplois indus pour la police et la gendarmerie, ou bien elles ne représentent pas de charge supplémentaire ; mais on ne peut pas dire que la même mission mobilise 4 000 emplois pour une administration et zéro emploi dès que c'est une autre qui doit l'assumer !

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