Intervention de Nicolas Alfonsi

Réunion du 13 décembre 2004 à 9h30
Loi de finances pour 2005 — Justice

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour la protection judiciaire de la jeunesse :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour rendre hommage à notre collègue Patrice Gélard, auquel je succède pour rapporter les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse. Chacun connaît la qualité des travaux que notre collègue a conduits, avec sa sagacité habituelle, et la grande pertinence de ses questions.

Au sein des crédits du ministère de la justice, 613 millions d'euros, soit 10, 8 %, seront consacrés à la protection judiciaire de la jeunesse. Cela représente une hausse de 4, 42 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2004.

Cette augmentation est centrée sur la création des centres éducatifs fermés et l'accompagnement éducatif des mineurs incarcérés. Par ailleurs, les créations d'emplois se poursuivent, mais à un rythme moindre, avec 107 emplois contre 234 l'année précédente.

En outre, pour la troisième année de mise en oeuvre de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, le taux d'exécution n'est que de 56, 3 % pour les dépenses ordinaires et de 52 % pour les créations d'emplois.

Or l'activité reste soutenue. En 2003, près de 185 000 mineurs ont fait l'objet d'une saisine des juridictions des mineurs, 57 % comme mineurs en danger et 43 % comme mineurs délinquants. Toutefois, pour la deuxième fois en dix ans, le nombre de mineurs mis en cause par les services de police et de gendarmerie diminue légèrement, de 0, 3 %.

La protection judiciaire de la jeunesse suit 150 000 mineurs et jeunes majeurs par an. Parmi eux, 76 % sont pris en charge par le secteur associatif. Les mineurs délinquants représentent environ 22 % du total des mineurs pris en charge.

Au-delà de ces observations, monsieur le garde des sceaux, on sait que la rapidité de la réponse pénale est essentielle pour prévenir la récidive. La loi d'orientation et de programmation pour la justice fixe au secteur public comme objectif ambitieux à l'horizon 2007 un délai de prise en charge des mesures pénales de 15 jours. Cet objectif est encore loin d'être atteint, puisque le délai était de 48, 5 jours en 2003. Monsieur le garde des sceaux, pensez-vous vraiment atteindre cet objectif, et comment ?

La prise en charge des mineurs délinquants dans des structures adaptées est également essentielle.

S'agissant des centres éducatifs fermés, la loi d'orientation et de programmation pour la justice prévoit d'en créer soixante. Or le taux d'occupation des onze centres existants était de 63 % en octobre 2004. L'objectif de soixante centres vous paraît-il donc toujours pertinent ? Un centre par région ne serait-il pas suffisant ? Pouvez-vous évaluer le nombre de jeunes susceptibles d'être concernés par un placement dans un tel centre ?

En outre, les jeunes filles précédemment hébergées dans le centre éducatif fermé de Lusigny, seule structure de ce type habilitée à accueillir des délinquantes, sont, depuis la fermeture de ce centre, réparties dans des centres pour garçons. Qu'est-il prévu pour elles ? Comment arriver à maintenir des liens avec la famille, en dépit de l'éloignement géographique?

Par ailleurs, sept établissements pénitentiaires pour mineurs doivent ouvrir à la fin de 2006. Le même problème d'éloignement géographique risque aussi de se poser pour les jeunes qui y seront incarcérés. Comment ces établissements s'articuleront-ils avec les quartiers pour mineurs des maisons d'arrêt ? Seront-ils uniquement des établissements pour peine ? Sinon, comment s'opéreront les transfèrements pendant la détention provisoire ?

Les centres éducatifs renforcés et les centres éducatifs fermés, c'est-à-dire les structures d'hébergement spécialisées pour les mineurs violents ou récidivistes, sont majoritairement gérés par des associations, et non par le secteur public. Cela vous paraît-il normal ? Quelle garantie de formation des équipes éducatives peut-on avoir ? Souvenons-nous des déboires du centre éducatif fermé de Lusigny, géré par une association amicale de rugby !

Cela m'amène à m'interroger, pour finir, sur l'adéquation du contrôle des associations habilitées.

En 2003, 36 contrôles pédagogiques ou financiers, concernant 43 structures, sur les 1 213 établissements et services gérés par 508 associations, ont été effectués, ainsi que six inspections. En outre, une évaluation a porté sur les quatre premiers centres éducatifs fermés. Pourtant, des dérives sont constatées : il faut évoquer ici de nouveau les dysfonctionnements constatés au centre éducatif fermé de jeunes filles de Lusigny, l'affaire du centre de réinsertion « Cheval pour tous » ou encore le décès d'un jeune lors d'un « séjour de rupture », en Zambie, l'an dernier.

De plus, le rapport de la Cour des comptes de juin 2004 sur l'exécution de la loi de finances pour 2003 souligne que le contrôle des budgets du secteur privé habilité ou subventionné de la protection judiciaire de la jeunesse n'est pas assuré. La hausse de 20 % des dépenses entre 2000 et 2003 a conduit la Cour à douter des « capacités des services de la protection judiciaire de la jeunesse pour assurer la tutelle des budgets souvent gérés par des associations ».

Quelles actions envisagez-vous pour remédier au problème, alors que la LOLF fait de la mesure de la performance et de la gestion optimale des crédits une priorité ?

A ces observations, permettez-moi d'en ajouter deux autres, qui ne sont pas de même nature.

Premièrement, on ne mesure pas suffisamment, dans la société civile, l'esprit de sacerdoce qui anime les éducateurs de prison, particulièrement ceux qui gèrent la protection judiciaire de la jeunesse. On ne mesure pas non plus leurs efforts, les difficultés qu'ils peuvent rencontrer, leur souci constant de faire en sorte que ces jeunes puissent le plus rapidement possible s'en sortir.

Deuxièmement, on sent bien qu'entre quinze et vingt ans nos jeunes vivent une période d'incertitude et de désarroi, dans une société civile elle-même en difficulté et un environnement social souvent misérable. Autant de difficultés qu'il nous faut surmonter tous ensemble si nous voulons rendre cette période la plus courte possible. Sachant que 50 % de ces jeunes délinquants ne récidivent pas au-delà de l'âge de vingt et un ans, notre effort doit également contribuer à réduire encore ce pourcentage.

Mes chers collègues, sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois vous invite à adopter les crédits du ministère de la justice consacrés à la protection judiciaire de la jeunesse.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion