Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 13 décembre 2004 à 9h30
Loi de finances pour 2005 — Justice

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Monsieur le garde des sceaux, je souhaite vous interpeller sur la politique de la protection judiciaire de la jeunesse.

La philosophie, à laquelle je continue de croire, de l'ordonnance du 2 février 1945, texte depuis maintes fois modifié, donne la priorité à la mesure éducative par rapport à la sanction pénale. Les missions de la protection judiciaire de la jeunesse procèdent de cette philosophie : assurer la prise en charges des mineurs en danger, des mineurs délinquants et des jeunes majeurs en difficulté d'insertion sociale

Si le département joue un rôle exclusif en matière de protection des mineurs en danger, cette protection relève de la responsabilité de l'Etat dès lors qu'elle résulte d'une décision judiciaire. Malheureusement, nous ne pouvons que le constater, la PJJ ne dispose pas des moyens nécessaires pour mener à bien ses missions, dans toute leur acception, d'autant plus que, de création récente, les centres éducatifs fermés, les CEF, et, avant eux, les centres éducatifs renforcés, les CER, absorbent des crédits très importants, à mon sens plus nécessaires ailleurs.

Mais mon opinion personnelle, et négative, sur les centres éducatifs fermés n'est pas ici très importante. Au-delà, je souhaiterais qu'il soit procédé à une véritable évaluation tant des CER que des CEF aujourd'hui existants.

Onze CEF sont déjà en activité, et quatorze supplémentaires sont prévus très rapidement, comme vous l'avez indiqué, afin que chaque région soit dotée de son CEF. Chacun sait, ou peut savoir, que des problèmes, de la violence, des incidents, des accidents ont lieu au sein des CEF existants. Tout cela était prévisible, puisque d'autres centres fermés ont existé avant les CEF. C'est la raison pour laquelle la commission d'enquête sénatoriale sur la délinquance juvénile avait été mitigée quant à la création des CEF.

Monsieur le garde des sceaux, pourra-t-on rouvrir le débat sur ces dispositifs très coûteux que sont les CER et les CEF ?

Quoi qu'il en soit, les moyens de la PJJ sont insuffisants. Tout le monde sait qu'il faudrait revaloriser les professions et élargir un recrutement aujourd'hui difficile. En 2003, 50 % des crédits ont été gelés. Certes, les moyens apparaissent en augmentation dans le projet de budget pour 2005, mais cette augmentation n'est qu'une stricte application de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, et elle est, de ce fait, quelque peu artificielle.

Cette augmentation ne permet en réalité que la seule adaptation des services à la croissance régulière du nombre des dossiers confiés à la PJJ, mais elle ne permet pas de renverser la tendance, et n'est pas plus suffisante pour que la PJJ puisse remplir l'ensemble de ses missions.

Par ailleurs, le rôle de la PJJ, déjà affaibli par le manque de moyens financiers et humains, l'est encore plus depuis l'adoption de la loi relative aux libertés et responsabilités locales. En effet, l'article 59 de cette loi, qui permet une expérimentation sur cinq ans par les départements pour la mise en oeuvre des décisions prononcées par le juge dans le domaine de l'assistance éducative, remet en cause l'unité des compétences de la PJJ en matière d'assistance éducative et de traitement de la délinquance des mineurs. L'Etat devrait être le garant dans le domaine de la protection de l'enfance. Il est évident qu'avec cette loi de décentralisation l'intérêt porté à l'action éducative dépendra largement de l'engagement financier et du bon vouloir des conseils généraux.

Nous avons à maintes reprises dénoncé ce désengagement de l'Etat. Je constate que la Défenseure des enfants, outre un certain nombre de critiques formulées à l'égard des politiques départementales, a également exprimé une crainte à ce sujet. Je n'ose penser que c'est la raison pour laquelle on lui a supprimé 100 000 euros de son budget, et j'espère que l'on reviendra sur cette décision.

Il est pourtant évident qu'en voulant à tout prix instituer une frontière entre les départements et la PJJ, on ne rend que plus difficiles encore la coordination des services et la continuité de l'action éducative. C'est pourtant cette continuité qui permet la réinsertion de jeunes en grandes difficultés, quelle que soit d'ailleurs la position d'origine de ces jeunes.

Monsieur le garde des sceaux, comment comptez-vous assurer une égale protection de l'enfance en danger sur le territoire avec les lois de décentralisation ? Comment la PJJ peut-elle évoluer et être en capacité d'assumer ses missions essentielles sans les moyens suffisants ?

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