Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 13 décembre 2004 à 9h30
Loi de finances pour 2005 — Justice

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme cela a été dit à plusieurs reprises ce matin, la situation des prisons dans notre pays est préoccupante.

Quatre années se sont écoulées depuis que deux commissions d'enquête parlementaire ont rendu chacune un rapport dont le bilan était accablant, sans que l'on puisse constater de nettes améliorations dans nos prisons. Au contraire, la situation empire. On recensait, le 1er juillet 2004, 64 813 personnes en détention, le nombre de places disponibles étant de 49 595.

Les personnes en détention provisoire, dont des mineurs, représentent 34 % des détenus. Les étrangers représentent, quant à eux, 21 % des détenus. Je ne prends même pas en considération l'inflation grandissante des incarcérations de condamnés relevant de structures psychiatriques.

L'étude épidémiologique sur la santé mentale des détenus dont il a déjà été question a permis de révéler - ce que nous pressentions - que nombre d'entre eux sont victimes de maladies mentales parfois très graves et n'ont évidemment pas leur place en prison. Que comptez-vous faire, monsieur le garde des sceaux, pour diriger ces détenus vers des structures de soins adaptées à leurs pathologies ? Pourquoi ne pas mieux appliquer la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite « loi Kouchner », notamment la disposition autorisant que l'exécution de la peine puisse être suspendue dès lors que l'état de santé du détenu est incompatible avec son emprisonnement ?

En attendant les éventuelles mesures auxquelles vous avez fait allusion ce matin, quels moyens peuvent être accordés, dans l'urgence, aux médecins, aux personnels soignants, aux infirmiers, aux éducateurs, tous contraints à travailler dans des conditions très difficiles ?

Tous ces facteurs, notamment le maintien en prison de personnes qui n'y ont a priori pas leur place - personnes placées en détention provisoire ou détenus souffrant de maladies psychiatriques - favorisent pour une part le surpeuplement des établissements.

Mais ce surpeuplement est surtout la conséquence des politiques sécuritaires mises en oeuvre depuis un peu plus de deux ans, les solutions pénale et carcérale étant les plus visibles.

Ces choix ont été faits sans que soit repensée dans son ensemble la politique carcérale en France.

La seule mesure décidée a été la construction de 13 600 places de prison supplémentaires en cinq ans. A l'évidence, le nombre de détenus incarcérés va suivre le nombre de places créées. De fait, nous ne tarderons pas à connaître des taux d'occupation record comparables à ceux d'aujourd'hui.

Avec un taux d'occupation moyen de 130 %, les prisons sont à la limite de l'explosion.

Les mineurs souffrent, eux aussi de la surpopulation. C'est la raison pour laquelle l'administration pénitentiaire est obligée de leur réserver des cellules en secteur adultes. C'est particulièrement vrai pour les jeunes filles, même si elles bénéficient d'un régime spécial. Je m'associe au cri du coeur lancé par M. le rapporteur spécial !

Les installations sanitaires, quant à elles, sont vétustes ; l'hygiène des détenus n'est pas respectée. Les soins médicaux ne sont pas suffisamment assurés en raison du manque de personnel, mais aussi du trop grand nombre de détenus qui suivent - ou devraient suivre - un traitement.

Dans ces conditions, la prison ne joue évidemment plus son rôle d'éloignement des délinquants dans l'objectif de les réinsérer ; elle devient même une véritable machine à récidive.

Quelle est la réponse apportée à ce problème ? Plusieurs propositions ont été faites pour lutter contre la récidive, notamment l'instauration de peines plancher. Comment réduire la récidive en renvoyant les récidivistes en prison, alors que cette dernière est aujourd'hui impuissante en matière de réinsertion des détenus ?

Vos réponses sont inadaptées à certaines situations qui nécessitent des réponses sociales, médicales ou encore pénales mais non carcérales. Je pense notamment aux détenus à titre provisoire. De nombreux dispositifs sont à la disposition de la justice pour éviter de placer une personne en détention provisoire : c'est précisément ce à quoi vise le contrôle judiciaire.

Les crédits alloués à l'administration pénitentiaire sont bien trop insuffisants pour rendre dignes et humaines les conditions d'incarcération des détenus.

Dans ce domaine également, vous me répondrez que les crédits sont, cette année encore, en augmentation. Cependant, comme c'est le cas pour la protection judiciaire de la jeunesse, cette augmentation des crédits ne correspond qu'à la stricte application de la LOPJ.

Ces crédits supplémentaires ne permettent que la seule prise en charge de l'accroissement du nombre des personnes incarcérées. Ils ne permettent d'améliorer ni les conditions de vie des détenus ni les conditions de travail des personnels.

Monsieur le ministre, allez-vous enfin décider une réforme d'ensemble de la politique pénitentiaire de notre pays pour que les prisons ne soient plus, comme cela a été dit encore ce matin, une « humiliation pour la République » ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion