Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 13 décembre 2004 à 9h30
Loi de finances pour 2005 — Justice

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Monsieur le garde des sceaux, je souhaite vous interroger sur les frais de justice. Mais, au préalable, j'aimerais obtenir des précisions.

En effet, monsieur le garde des sceaux, vous avez fait tout à l'heure quelques déclarations sur les partenariats public-privé qui m'ont énormément surpris.

Premièrement, vous avez dit que cette procédure allait « permettre une ouverture à la concurrence ». Franchement, je ne vois pas comment on peut plaider une telle cause, puisqu'il s'agit en l'occurrence de marchés globaux, pour lesquels on choisit en même temps le concepteur, le constructeur, l'entreprise qui assume l'exploitation, la gestion, la maintenance et l'entretien et, comme vous l'avez vous-même rappelé, le banquier !

Allez dire aux architectes que cette procédure élargit la concurrence ! En fait, seuls quelques grands groupes pourront répondre à l'appel d'offres et choisiront leur architecte. Allez dire aux petites et moyennes entreprises et aux artisans du bâtiment que cela élargit la concurrence ! C'est totalement faux ! En réalité, il s'agit d'un processus de concentration de la décision et de la réalisation. Je me demande comment vous pouvez défendre un tel point de vue !

Deuxièmement, vous dites que cette procédure permettra de gagner du temps. Nous verrons ! D'ailleurs, monsieur le garde des sceaux, vous avez certainement lu avec intérêt ce qu'en ont dit le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, cette procédure extrêmement complexe, dont les conditions de mise en oeuvre sont très particulières, risque d'entraîner un important contentieux auquel il faudra être attentif.

Vous avez également dit que vous prévoyiez de ne pas consacrer un seul centime aux PPP en 2005. Or la loi qui a permis de mettre en oeuvre ce dispositif, et dont vous êtes à l'initiative, monsieur le garde des sceaux, date de 2002. Trois ans plus tard, on ne dépense donc toujours rien ! Je ne suis pas sûr que l'on gagne ainsi de l'argent par rapport aux marchés classiques.

En revanche, il est clair que cette procédure permet de construire à crédit. Nous verrons combien elle aura coûté dans dix, vingt, trente ou quarante ans ! Et bien malin celui qui peut dire aujourd'hui qu'elle sera moins coûteuse pour la collectivité publique ! En réalité, je crains que ce ne soit tout le contraire.

Beaucoup de questions restent donc en suspens.

J'en viens à ma question sur les frais de justice, qui sera bien sûr abrégée, d'autant que vous y avez déjà répondu tout à l'heure, monsieur le garde des sceaux.

La loi organique relative aux lois de finances implique qu'à compter du 1er janvier 2006 les frais de justice soient globalisés dans des enveloppes fermées ; cela suscite beaucoup de questions.

Bien sûr, les frais de justice sont importants et ils ne cessent d'augmenter, ce qui est un vrai sujet de préoccupation.

Vous avez dit tout à l'heure, monsieur le garde des sceaux, que vous alliez veiller à rationaliser les rapports entre les partenaires concernés, en ce qui concerne les analyses génétiques, les réquisitions d'opérateurs de téléphonie mobile, et autres procédés d'enquête, et ce afin de faire des économies.

Vous avez ajouté que, le cas échéant, vous feriez en sorte que le ministère de l'intérieur paie les frais que votre ministère ne pourrait plus assumer. Pour ce qui est du budget de l'Etat, de toute façon, il faut toujours payer !

Je veux insister sur le fait que nombre de magistrats sont inquiets car, selon les propos d'un président de tribunal interrogé dans un quotidien national, « cette réforme pourrait avoir des conséquences sur l'indépendance des magistrats ».

On peut craindre, en effet, que l'on empêche à l'avenir les juges de traiter certains dossiers, jugés trop coûteux. Quant aux parquets, ils risquent de privilégier les voies de poursuite les moins onéreuses, telles que l'ordonnance pénale, qui ne requiert pas d'expertise psychologique, ou le « plaider-coupable ».

Monsieur le garde des sceaux, pouvez-vous rassurer les magistrats qui expriment ces craintes ?

Pour conclure, je souhaite évoquer un rapport un peu bizarre, voire un peu comique : le dernier rapport non publié de la cour d'appel de Lyon, qui est pourtant publié par extraits dans le quotidien Le Monde du 30 novembre 2004. Tant qu'à faire, monsieur le garde des sceaux, vous pourriez peut-être publier ce rapport non publié, mais néanmoins public !

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