Intervention de Éric Woerth

Réunion du 8 juin 2010 à 15h00
Démocratie sociale — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Éric Woerth, ministre :

Comment pourrait-on concevoir que certains salariés participent à la mesure de la représentativité des syndicats qui négocient les accords dans les entreprises de plus de onze salariés et pas d’autres ? Pour illustrer mon propos, je ferai, mesdames, messieurs les sénateurs, une comparaison à laquelle vous serez sensibles : ce serait comme si les habitants des villes de moins de 5 000 habitants, par exemple, n’avaient pas le droit de voter aux élections nationales. J’imagine qu’une telle restriction fondée sur la taille serait contestée !

Aujourd’hui, des règles transitoires s’appliquent, faute, pour le moment, de pouvoir mesurer pleinement l’audience des syndicats de salariés sur le plan national, et ce jusqu’en 2013.

Les arrêtés qui dresseront, en 2013, la liste des syndicats représentatifs dans les branches et au niveau national interprofessionnel doivent donc reposer impérativement sur des critères de mesure d’audience qui prennent en compte tous les salariés du pays.

Le Conseil d’État l’a d’ailleurs écrit très clairement : il serait inconcevable d’avoir deux catégories de salariés, ceux dont la voix peut être prise en compte et les autres ! Si aucune mesure de l’audience ne visait aussi les salariés des TPE avant 2013, cette situation pourrait être contraire aux principes constitutionnels de participation et d’égalité et conduire à rendre inconstitutionnelle toute réforme.

Notre responsabilité est de préserver la réforme de la représentativité ; nous y tenons et nous sommes nombreux, me semble-t-il, à le souhaiter.

Il nous faut donc adopter dès maintenant une loi pour organiser une consultation électorale avant le début de l’année 2013, dresser les listes électorales avant la fin de l’année qui précède celle de la consultation et passer les marchés publics afférents. Vous le voyez, tout cela demande une certaine organisation.

La réforme que je vous présente aujourd’hui est simple, pragmatique et fait confiance à la négociation collective.

En premier lieu, le texte prévoit d’organiser la mesure de l’audience des syndicats de salariés auprès des salariés des TPE.

Comme il est de la responsabilité des pouvoirs publics de le faire, l’État organisera donc un scrutin auprès des 4 millions de salariés concernés des TPE tous les quatre ans, à partir de l’automne 2012.

Nous avons souhaité que ce scrutin soit le plus souple et le plus simple possible, afin de ne pas créer de charge supplémentaire pour les TPE. C’est pourquoi nous avons prévu qu’il aurait lieu par vote électronique et par correspondance. Non seulement ces modalités ne créent aucune contrainte nouvelle pour les entreprises, mais encore elles élargissent les possibilités qu’ont les salariés d’exprimer désormais leur opinion.

Grâce à cette réforme, tous les syndicats qui peuvent présenter des candidats au premier tour des élections professionnelles auront la possibilité de mesurer leur audience auprès des salariés des TPE.

Il s’agit d’une consultation sur des sigles syndicaux. Le Gouvernement a retenu cette modalité, car il refusait de créer une quelconque instance de représentation du personnel. Or élire des candidats sur des noms et non pas sur des sigles aurait immanquablement conduit ceux-ci à siéger dans une instance. Or nous n’avons pas voulu rendre obligatoires de telles instances.

Dès lors que nous pourrons mesurer le poids électoral de chaque syndicat, ainsi que les résultats électoraux issus des élections professionnelles, nous serons en mesure d’évaluer son audience au sein des branches ainsi qu’au niveau interprofessionnel.

La commission des affaires sociales a souhaité que le Haut Conseil du dialogue social, créé par la loi du 20 août 2008 – sur proposition du rapporteur Alain Gournac, me semble-t-il –, puisse être informé des modalités d’organisation de cette consultation, une initiative que le Gouvernement salue.

Le secteur agricole dispose déjà d’un instrument de mesure de la représentativité grâce aux élections organisées dans les chambres d’agriculture. Les partenaires sociaux du secteur agricole nous ont fait part de leur attachement à ce système et nous les avons entendus : ainsi, les élections aux chambres d’agriculture seront pleinement prises en compte. Aucune autre consultation électorale ne sera donc nécessaire pour mesurer la représentativité des syndicats dans les secteurs agricoles concernés.

En deuxième lieu, le projet de loi renvoie à la négociation collective la possibilité de constituer des commissions paritaires pour les salariés des très petites entreprises. Cette disposition a suscité de nombreuses discussions.

Les signataires de la lettre du 20 janvier 2010 que j’ai évoqués tout à l’heure ont demandé la mise en place de commissions paritaires régionales. Par ailleurs, des discussions sont en cours entre les partenaires sociaux sur les institutions représentatives du personnel. Le projet de loi renvoie donc aux partenaires sociaux le soin d’aborder ces questions et prévoit un bilan à ce sujet.

Des commissions paritaires existent déjà, je le précise, depuis la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social pour de nombreuses entreprises, et même depuis 2001 pour l’artisanat. Elles ont toujours été instituées par la négociation collective – peut-être y en a-t-il dans certains de vos départements ! – et n’existent que si les partenaires sociaux le souhaitent. Leur création est donc purement facultative, la loi ne prévoyant aucune obligation.

Avec ce projet de loi, les partenaires sociaux auront la possibilité de créer des commissions paritaires pour les très petites entreprises. Cependant, le texte restreint précisément les attributions de ces commissions au suivi de l’application des accords collectifs, ce qui est bien naturel, et ne vise rien de plus que la prise en compte des résultats de la mesure de l’audience pour désigner les représentants des salariés au sein de ces commissions.

Encore une fois, je tiens à être très clair : non, ces commissions n’ont pas le pouvoir de négocier ou de créer des taxes ou obligations de toute nature ; non, leurs représentants ne pourront pas contrôler les entreprises, cette précision ayant été ajoutée sur l’initiative de votre rapporteur, Alain Gournac. Nous voulons donc dissiper toute inquiétude sur ce sujet : le projet de loi est clair et net. Inutile d’alimenter tel ou tel fantasme !

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi ne fait que renvoyer à des discussions entre les acteurs sociaux. Trois organisations patronales – l’UPA, l’UNAPL et la FNSEA –, qui regroupent à elles seules la majorité des très petites entreprises adhérant à des organisations professionnelles, soutiennent ce projet de loi, et nous l’ont écrit.

En troisième et dernier lieu, le projet de loi reporte de deux ans au plus les élections prud’homales.

En effet, les élections prévues par ce projet de loi auront lieu en 2013 et coïncideraient ainsi avec les élections prud’homales, prévues la même année. Or, les organisations syndicales risquent d’obtenir des résultats différents à ces deux scrutins, ce qui pourrait donner matière à discussions en matière de représentativité.

Ce report nous permet aussi de prendre le temps de réfléchir sur l’organisation des élections prud’homales. Le 25 mai 2010, donc récemment, Jacky Richard m’a remis son rapport sur l’avenir des élections prud’homales, rapport au demeurant bien fait, dans lequel des préconisations sont formulées. Nous prendrons le temps d’étudier, avec les partenaires sociaux, les pistes qu’il propose et nous nous engagerons, ou pas, dans la voie d’une simplification des élections prud’homales.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi témoigne de notre engagement pour faire aboutir une réforme majeure qui modernise notre démocratie sociale, car la démocratie sociale, comme la démocratie politique, a besoin d’élections.

Parce que nous croyons à une société qui privilégie le dialogue par rapport à l’affrontement, nous sommes convaincus que renforcer la légitimité syndicale permettra de transformer la qualité et la responsabilité du dialogue social.

Parce que nous pensons qu’il faut créer toutes les conditions pour que les acteurs eux-mêmes trouvent entre eux, sur le terrain, les solutions les plus adaptées et que nous prenons nos responsabilités pour bâtir les réformes solides et durables dont notre pays a besoin, nous considérons que ce projet de loi est absolument indispensable. Je fais confiance à la Haute Assemblée pour ouvrir ce chemin !

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