En effet, comment ne pas ressentir du dépit et de la colère quand on voit aujourd’hui le MEDEF et la CGPME, au pied du mur, renier leurs propres engagements plutôt que de laisser aboutir une réforme pourtant socialement et juridiquement indispensable ? Comment accepter que ces organisations soient relayées en cela, ici même, par la majorité parlementaire ?
Refuser l’instauration des commissions paritaires territoriales, c’est exclure purement et simplement les salariés des TPE de toute démocratie sociale. C’est aussi méconnaître la position commune d’avril 2008, la loi du 20 août 2008 et l’avis du Conseil d’État du 29 avril 2010.
Permettez-moi de revenir brièvement sur le cheminement du projet de loi que nous examinons, car il est très symptomatique du climat social qui règne actuellement en France.
Comme M. le ministre vient de le rappeler, la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail répondait à un double objectif : renforcer l’effectivité de la représentativité en faisant de l’entreprise la base de celle-ci et mesurer l’audience des organisations syndicales, cette dernière faisant partie des nouveaux critères sur lesquels se fonde la représentativité.
Toutefois, la loi de 2008 s’appuie sur l’audience enregistrée lors des élections des institutions représentatives du personnel. En ce sens, elle ne s’applique que dans les entreprises de plus de onze salariés, ces élections n’ayant pas cours dans les autres.
Or, comme l’a rappelé M. le rapporteur, les salariés des TPE représentent aujourd’hui plus de 4 millions de personnes, soit environ 20 % des salariés du secteur privé, sachant que cette proportion est bien plus élevée dans certaines branches. Ces femmes et ces hommes sont donc privés de toute représentativité syndicale et la mesure de l’audience des syndicats est inexistante dans leurs entreprises.
C’est la raison pour laquelle avait été prévue, dans la loi de 2008, une clause de revoyure, qui devait permettre d’étendre cette « démocratie sociale » aux TPE. Cette clause stipulait que les partenaires sociaux devaient se mettre d’accord sur le sujet, au plus tard le 30 juin 2009.
Or, après un constat d’échec, l’UPA et quatre organisations syndicales de salariés ont rédigé une lettre commune, le 20 janvier 2010, expliquant leur position et leur mécontentement devant l’attitude irresponsable du MEDEF et de la CGPME.
Dans cette lettre, les cinq signataires reconnaissent que, pour des raisons matérielles, la représentation collective des salariés des TPE ne peut pas se faire comme dans une entreprise plus grande et retiennent l’idée de commissions paritaires régionales.
Cette position a d’ailleurs été confortée par le Conseil d’État, lequel estime, dans l’avis qu’il a rendu le 29 avril 2010, que le principe de participation contenu dans le préambule de la Constitution de 1946 et le principe d’égalité entre les citoyens exigent que les travailleurs des entreprises de moins de onze salariés soient inclus dans la mesure de l’audience syndicale, le législateur ayant fait de celle-ci l’un des critères permettant d’apprécier la représentativité des organisations syndicales.
Le Conseil d’État a ainsi rappelé au Gouvernement qu’il devait aller au bout de la réforme, sous peine de maintenir une violation manifeste de notre système juridique.
Le Gouvernement a donc, à la hâte, déposé un texte sur les bureaux des deux assemblées parlementaires pour tenter de satisfaire, au moins a minima et de manière formelle, à cette obligation.
En effet, à la lecture du projet de loi, il est clair que des deux objectifs affichés – la représentativité des personnels et la mesure de l’audience des syndicats –, il n’a conservé que le second pour emporter l’adhésion des employeurs. Et encore, je regrette vivement que cette audience se mesure sur la base des sigles syndicaux, et non sur celle des listes de personnes, mais nous reviendrons sans doute ultérieurement sur cette question.
Cette façon de procéder ne favorisera pas la participation des salariés et contribuera à affaiblir les syndicats. Pour établir une comparaison avec d’autres élections, cela reviendrait à demander à l’ensemble de nos concitoyennes et concitoyens de voter pour un parti politique, celui-ci désignant ensuite, et ce tout à fait unilatéralement, les personnes à même de parler en leur nom...
Raphaël Hadas-Lebel, ancien président de la section sociale du Conseil d’État, disait à propos du texte précédant la loi de 2008 qu’il n’était qu’« une étape sur un long parcours ». Malheureusement, la loi de 2008 risque, en vérité, d’être et de rester plutôt comme un point final à une réforme pourtant inachevée sur la représentativité de tous les salariés et de toutes les salariées de notre pays et sur la mesure de l’audience syndicale. En effet, tout nous porte à croire que cette réforme n’aura pas lieu ou qu’elle aura une portée si faible que rien ne changera...
En effet, à mesure que la perspective de la mise en place des commissions paritaires régionales s’approchait, il s’est développé, chez certaines organisations patronales, une angoisse viscérale et une envie irrépressible de revenir en arrière, quitte à renier totalement les engagements pris par le passé.
À la suite de diverses déclarations parues dans la presse, le MEDEF et la CGPME ont ainsi clairement fait savoir qu’ils feraient tout pour empêcher que ces commissions paritaires voient le jour.