On appartient ou non à la nation, quelle que soit la façon dont s’est faite cette appartenance. Il ne devrait pas y avoir de retour possible en arrière.
La réponse judiciaire sanctionnant des délits ou des crimes, les plus monstrueux soient-ils, doit être la même pour tous les Français, quelle que soit la date d’acquisition de la nationalité, ainsi que pour les étrangers présents sur le territoire. L’égalité exige qu’on ne fasse pas de différence entre les Français ni entre les Français et les étrangers en matière pénale.
J’ajoute que la déchéance de la nationalité est gravement connotée depuis que le pouvoir de Vichy – époque où, je dois le rappeler, la République, par la volonté de certains, s’est sabordée – a déchu des centaines de milliers, voire des millions de Français de leur nationalité, dont un groupe entier de Français de religion juive, avec les conséquences que l’on sait pour beaucoup d’entre eux.
La République se serait honorée et s’honorerait en bannissant la déchéance de la nationalité de son dispositif législatif. Tel n’est pas votre avis ni peut-être celui de la majorité des Français.
Reste que, jusqu’à aujourd’hui, il existait un consensus selon lequel la déchéance de la nationalité était réservée aux atteintes aux intérêts essentiels de l’État, c’est-à-dire en cas de trahison, d’espionnage, de terrorisme, ce qui est plus conforme à la Déclaration des droits de l’homme et aux accords internationaux. C’est ainsi que cette sanction a été rarement appliquée.
Le précédent gouvernement, qui n’était pas si éloigné de celui-ci, puisque le remaniement n’a pas été de nature à modifier sa composition, semblait de cet avis. Il aura donc fallu l’intervention du chef de l’État à Grenoble pour que soit introduite une extension plus ou moins précise de la déchéance de la nationalité.
Vous le savez, le Président de la République dit beaucoup de choses, mais on peut quelquefois regretter que le Gouvernement ne s’empare pas de certains de ses propos. Lorsqu’il parle de « moraliser le capitalisme », par exemple – voyez d’ailleurs ce qui se passe aujourd’hui –, ou lorsqu’il évoque le fait qu’il n’est pas hostile au droit de vote des étrangers aux élections locales, on aurait aimé que le Gouvernement se précipite sur cette occasion pour prévoir des dispositifs législatifs. Or rien ne se passe ! En fait, il y a les propos d’affichage et les propos d’affiche, qui seuls font l’objet de projets de loi.
Ainsi, vous avez décidé d’accepter d’étendre la déchéance de la nationalité aux meurtriers de dépositaires de l’autorité publique, dont le rapport cite la liste. Je me demande d’ailleurs si celle-ci est exhaustive. Il est difficile de le savoir.
La commission, sans doute pour éviter des difficultés inhérentes à cette vaste entreprise, a limité les possibilités de déchéance de la nationalité ou plutôt a défini de façon plus restrictive les personnes dépositaires de l’autorité publique en retenant les magistrats, les gendarmes, les fonctionnaires de la police nationale, les fonctionnaires de la police municipale, les agents des douanes et les personnels de l’administration pénitentiaire.
La commission veut ainsi nous faire comprendre qu’elle n’est pas totalement d’accord avec la liste très exhaustive des personnes dépositaires de l’autorité publique. Hélas ! elle crée un autre problème : pourquoi ne retenir que ces six catégories de fonctionnaires ? Les pompiers, les médecins hospitaliers, les professeurs, les élus ne sont-ils pas, eux aussi, dignes d’être dépositaires de l’autorité publique ?
Vous voyez bien que la volonté affichée du Président de la République de réprimer ou de stigmatiser les personnes issues de l’immigration ou sa conception de l’État – selon laquelle il y aurait peut-être de bons Français et de moins bons, je ne sais – ne résiste pas à un examen des règles fondamentales de notre droit : l’égalité entre les Français, l’égalité de tous devant la justice.
Je souhaite que la déchéance de la nationalité disparaisse totalement de notre législation. À défaut, cette condamnation doit uniquement sanctionner la trahison à l’égard de la République.