Intervention de Louis Mermaz

Réunion du 3 février 2011 à 21h30
Immigration intégration et nationalité — Article 6

Photo de Louis MermazLouis Mermaz :

Nous assistons à un véritable ballet au banc du Gouvernement digne du Châtelet, probablement parce que les ministres veulent se passer et se repasser le mistigri. Nous ne savons pas qui nous verrons mardi… Nous finirons par voir tout le Gouvernement !

Le 17 février 2001, l’East Sea échoue sur les côtes varoises. Le Préfet crée la première zone d’attente ad hoc à proximité. Le tribunal administratif de Nice annule cet arrêté, cette zone d’attente ne pouvant pas exister puisque, d’après les lois en vigueur, elle devait être à proximité ou dans une gare ferroviaire, un port ou un aéroport. M. Sarkozy étant alors ministre de l’intérieur, la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité va tenir compte de ce que le Préfet s’était trouvé, à son corps défendant, dans l’illégalité pour prévoir que l’on pourrait désormais créer des zones d’attente à proximité des lieux de débarquements.

En janvier 2010, 123 Kurdes ayant échoué sur les rivages de Corse n'ont pas été placés en garde à vue mais ont été dirigés sur un gymnase, qui a donc fonctionné comme une zone d'attente de facto. Une fois ces personnes transférées dans des centres de rétention administrative sur le continent, trois juges des libertés et de la détention considèrent, appliquant les lois en vigueur, qu’elles ont été, de ce fait, privées illégalement de liberté.

L'article 6 vise donc à légaliser cette privation de liberté, dénoncée par les juges des libertés et de la détention, de personnes connaissant une situation similaire et crée des zones d'attente « sur mesure » pour que les préfets ne soient pas, à l’avenir, dans l’illégalité. Il se trouve que ces zones d’attente, dites ad hoc, vont compromettre l’exercice des droits des personnes retenues. Ces personnes ont en effet le droit d’avertir ou faire avertir le conseil de leur choix, leur consulat ou un membre de leur famille résidente en France, refuser d'être expatriées avant l'expiration du délai d'un jour franc, bénéficier de l'assistance d'un interprète et d'un médecin, communiquer avec leur conseil, quitter à tout moment la zone d'attente pour toute destination située hors de France. En effet, l'étranger placé en zone d'attente, un lieu privatif de liberté, est considéré comme n'étant pas présent sur le territoire français. Il ne bénéficie donc, au début, d’aucune des garanties de droit commun et peut ainsi être refoulé à tout moment.

En l'état actuel de la législation, les règles sont différentes selon que l'on se trouve en zone d'attente ou sur le territoire français.

En zone d'attente, deux cas sont possibles.

En cas de demande d'asile, les personnes peuvent être privées de liberté le temps de l'examen du caractère « manifestement infondé » de leur demande par le ministère de l'immigration, et cela peut prendre 26 jours. Si leur demande est rejetée, elles peuvent être renvoyées dans leur pays de provenance ou d’origine, sans pouvoir déposer une demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, sauf si elles déclenchent un recours suspensif dans le délai de 48 heures auprès du tribunal administratif du ressort.

L’adoption d’une telle disposition, en l’occurrence l'article 6 dont nous discutons, aura donc un impact négatif sur le respect du droit d’asile puisque l’on sait que la procédure d’asile à la frontière actuellement en vigueur dans les aéroports, les ports et les gares, est utilisée par l’administration comme un filtre. J’ai pu constater que quelqu’un qui arrive, par exemple à Roissy, et qui dit j’arrive parce que ma famille a été massacrée, parce que je suis persécuté mais ne prononce pas la formule « je demande à bénéficier du droit d’asile » peut se voir refuser ce même droit, sur le principe qu’on peut par là même considérer qu’il ne l’a pas demandé. Dans l’état où les personnes arrivent, vous voyez ce que cela peut avoir comme conséquence…

Dans le cas où les personnes en zone d’attente ne sollicitent pas l’asile, il peut leur être notifié un refus d'entrée exécutoire d'office sauf si la personne demande à bénéficier d'un jour franc – encore faut-il qu’elle comprenne ce que cela signifie – mais sans possibilité d'un recours suspensif. On sait de ce droit qu'il n'est ni systématique, ni effectif puisque c'est l'étranger qui doit exprimer clairement sa volonté de refuser d'être rapatrié avant l'expiration de ce jour franc. Trop souvent, on fait en sorte qu’il ne demande pas à bénéficier du jour franc.

En revanche, les personnes interpellées sur le territoire français et qui demandent l'asile sont dans une situation plus favorable. La demande se fait auprès de la préfecture, puis de l'OFPRA, qui examinera sur le fond leur demande d'asile sous le contrôle de la cour nationale du droit d'asile. Ces personnes sont admises à séjourner provisoirement, en étant logées dans un centre d'accueil pour demandeurs d'asile. Si elles sont sur le territoire sans titre de séjour et qu'elles sont arrêtées, il est possible de leur notifier une mesure d'éloignement pour séjour irrégulier qui lui, en revanche, peut faire l'objet d'un recours suspensif et urgent devant le tribunal administratif.

Tout lieu du territoire national devenant potentiellement une zone d'attente, cette nouvelle nature « provisoire et disséminée » des zones d'attente entravera ainsi toute possibilité de contrôle effectif et indépendant des associations, maintiendra les étrangers dans l'ignorance de leurs droits et ne leur permettra pas de faire appel à des personnes qui pourraient les aider.

Dans l'article 7 du projet, des dispositions sont prévues pour rendre encore plus difficile l’exercice du droit de ces personnes.

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