Avec l’article 8, nous sommes au début du processus qui vise à limiter le contrôle du juge judiciaire et que l’on retrouve notamment dans l’article 10.
Nous voici devant les premiers fondements du système de « purge des nullités » que vous souhaitez mettre en place s’agissant des étrangers. Cet article vise en effet à déclarer irrecevable d’office tout moyen d’irrégularité soulevé après la première audience, à moins que ladite irrégularité ne soit postérieure à l’audience. En d’autres termes, le vice de procédure n’est valable qu’en première audience et plus en seconde.
L’article 3 bis faisait des naturalisés des Français de seconde zone ; voici maintenant que l’article 8 fait des étrangers des justiciables de seconde zone !
Il est toujours intéressant de voir que vous appelez progrès et pragmatisme la violation des droits et le déni de justice. Chacun ses mots ! Les nôtres ont le mérite de réellement désigner la chose par son nom.
Pourtant, la rétention des étrangers est la seule procédure civile où il y ait privation de liberté. Aussi, la défense de leurs droits et les moyens qui doivent y être affectés mériteraient que l’on respecte tous les arguments qui peuvent être avancés par la défense au fur et à mesure de la procédure et non que l’on néglige leurs droits les plus élémentaires.
La prolongation du maintien en zone d’attente n’est qu’une faculté. Si cette dernière est choisie, l’étranger a le droit de pouvoir se défendre normalement.
Ces dispositions sont la preuve manifeste d’une défiance de ce gouvernement à l’égard des juges judiciaires qui, constatant qu’une irrégularité violant les droits de l’étranger aurait été commise, seraient toutefois dans l’obligation de feindre de ne pas la voir et de s’interdire de la constater pour ordonner la mise en liberté sur ce fondement.
Le juge ne saurait négliger quelque chose qui tombe sous le sens pour la seule raison que cette irrégularité n’aurait pas été invoquée dès le premier passage devant le juge.
Cette disposition néglige les conditions de travail des avocats, ce qui la rend d’autant plus cynique. Les avocats ayant connaissance de la procédure judiciaire très peu de temps avant les audiences, ils sont fréquemment conduits à soulever en appel des moyens de nullité : ils ne le font pas avant, et vous le savez fort bien !
Détaillons un peu cette procédure, pour que vous ne puissiez le nier. La première audience doit actuellement avoir lieu dans les quarante-huit heures. La personne placée en rétention est rarement en mesure de préparer efficacement sa défense, ne serait-ce qu’en raison de la barrière de la langue, d’une méconnaissance du droit et de conditions matérielles et psychologiques souvent difficiles.
Je doute que quiconque puisse déclarer que l’on prépare efficacement sa défense en rétention.
L’avocat prend souvent connaissance du dossier une heure avant l’audience. Il n’a donc pas réellement le temps de l’approfondir et d’obtenir des informations qui permettraient de détecter une erreur de procédure. C’est pourquoi cette disposition est particulièrement grave.
Pis, cet article va à contre-courant des règles fixées par le code de procédure civile et de la jurisprudence qui en découle. Pour vous en convaincre, relisez l’article 561, qui définit l’objet de l’appel : « L’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit ».
En d’autres termes, il est pour le moins surprenant qu’un deuxième jugement ne puisse remettre en cause le premier, de surcroît sur des éléments nouveaux.
Relisez également l’article 563 du code de procédure civile : « Pour justifier en appel les prétentions qu’elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves ».
Comment pouvez-vous revenir sur des dispositions aussi claires ?
Nous savons que beaucoup de procédures sont annulées pour irrégularités, notamment lors des arrestations. Assurément, ce texte facilitera la tâche de l’administration puisqu’il rendra les annulations pour vice de forme plus difficiles à obtenir. Or c’est bien souvent après coup que l’on s’aperçoit que les droits n’ont pas été notifiés ou que le contrôle du titre de séjour qui a provoqué l’arrestation n’était pas régulier.
Notre Constitution protège les personnes contre les abus de pouvoir. La seule justification que l’on peut trouver pour limiter un droit constitutionnel, c’est le cas où l’on tente de le concilier avec d’autres droits constitutionnellement protégés. Dans la situation présente, je ne vois pas quel droit constitutionnel est mis en avant pour justifier la limitation des droits de la défense et l’atteinte au droit à un procès équitable.
Louis Mermaz évoquait un texte contre les juges et les immigrés. Pour ma part, je parlerai d’un billard à trois bandes : c’est un texte contre les juges, contre les immigrés et contre les avocats.
Le Conseil constitutionnel, saisi sur ce point, risque fort de censurer cette disposition, dont notre groupe demande la suppression.