Intervention de Louis Mermaz

Réunion du 3 février 2011 à 21h30
Immigration intégration et nationalité — Article 11

Photo de Louis MermazLouis Mermaz :

Cet article concerne l’appel suspensif du parquet.

Il est proposé de donner davantage de temps au ministère public pour contester des décisions de remise en liberté ou de maintien en zone d’attente prononcées par le juge des libertés et de la détention. L’article 11 porte ainsi de quatre heures à six heures le délai dont dispose le parquet pour demander un appel suspensif de la décision de remise en liberté par le juge des libertés et de la détention.

Cette prolongation est valable tant pour le maintien en zone d’attente prévu par l’article 11 qu’en matière de placement en rétention administrative ; nous le verrons lors de l’examen de l’article 44.

Concrètement, une telle procédure, qui est ancienne, consistait à limiter les décisions des juges ayant pour effet de remettre les étrangers en liberté.

À nos yeux, rien ne justifie que le délai imparti au ministère public pour former un appel suspensif auprès du président de la cour d’appel contre une décision de refus de maintien en zone d’attente prise par un juge des libertés et de la détention soit porté à six heures, contre quatre actuellement. En réalité, il s’agit, une nouvelle fois, d’une volonté de mettre ce dernier magistrat sous contrôle et de limiter ses prérogatives !

Ce n’est pas étonnant. Comme nous l’avons déjà souligné à plusieurs reprises, le présent projet de loi est imprégné d’un esprit de défiance à l’égard du juge judiciaire, accusé d’être laxiste, de relâcher trop souvent les étrangers et d’empêcher le Gouvernement d’atteindre ses objectifs chiffrés d’expulsion. Voilà donc une nouvelle manifestation de défiance vis-à-vis du juge judiciaire et une tentative de réduire l’indépendance du juge, en général !

L’effet suspensif n’a d’effectivité que dans un sens, celui permettant le maintien en rétention de l’étranger, dont les garanties une fois de plus sont affaiblies.

L’article 11 renforcera encore une disposition déjà fortement défavorable aux droits de l’étranger, puisque le caractère suspensif de l’appel est réservé exclusivement au procureur, sans que l’étranger puisse user, via son avocat, d’une disposition symétrique en cas de décision qui lui serait défavorable, c'est-à-dire la prolongation de sa détention. Pourtant, l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance mettant fin à son maintien en zone d’attente peut voir cette ordonnance faire l’objet d’un appel suspensif de la part du procureur de la République. C’est dire à quel point il n’y a pas égalité des armes.

C’est contraire à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui exige, notamment, l’égalité des armes entre parties, l’égalité des parties en termes de moyens de recours. Or en faisant passer de quatre à six heures le délai au cours duquel le procureur peut demander l’effet suspensif, vous aggravez encore cette inégalité qui porte atteinte au principe même d’un procès équitable.

On peut faire beaucoup de reproches à l’Europe, mais force est de reconnaître que, en matière de droit de l’homme, elle est souvent en avance sur la France.

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