Intervention de Bariza Khiari

Réunion du 11 mai 2011 à 21h30
Immigration intégration et nationalité — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici parvenus à l’étape finale de l’examen de ce texte qui nous a occupés par intermittence pendant cinq longs mois.

Cela ne vous surprendra pas, le texte de la commission mixte paritaire ne nous satisfait nullement puisqu’il confirme les reculs du droit des étrangers que nous avions condamnés et constitue une atteinte aux valeurs que nous défendons.

Ce recul se manifeste de trois manières : une considérable régression du droit ; une négation des valeurs humanistes de notre République ; enfin, une réelle détérioration de la situation et de l’image des étrangers.

Pour se convaincre qu’il y a bien régression du droit, il suffit de relire les articles 30 et 37, qui allongent le délai d’intervention du juge des libertés et de la détention. Le Sénat avait proposé un compromis tendant à porter à quatre jours, au lieu des quarante-huit heures actuelles, le délai d’intervention du juge des libertés et de la détention qui statue sur la légalité d’un placement en rétention. Nous estimions que quatre jours constituaient déjà une durée bien trop longue pour être conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Avec cinq jours, à l’évidence, c’est encore bien pire !

Depuis la décision du 9 janvier 1980, le Conseil constitutionnel a, avec constance, considéré que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ».

Allonger la durée d’intervention du juge ne saurait constituer un respect de cette exigence. Pis, si l’allongement lui-même constitue déjà une entorse sérieuse, lorsque l’on observe la manière dont se déroulent ces procédures, on constate que ce recul peut être encore plus net. Dans la majorité des cas, la décision préfectorale de placement en rétention intervient après une période de garde à vue. Ce n’est donc pas pour une durée de cinq jours que les étrangers sont privés de recours devant un juge de siège, mais bien pendant six ou sept jours.

Vous le savez, mes chers collègues, le Conseil constitutionnel a déjà statué sur les périodes de sept jours. Quel intérêt voyez-vous à ce que son avis soit à nouveau sollicité sur ce point ? Faut-il en déduire que votre texte relève strictement de la communication politique ?

Le Conseil constitutionnel tient à ce que le délai soit le plus court possible. En la matière, les faits parlent d’eux-mêmes : quarante-huit heures, c’est plus court que cinq jours ; a fortiori, en allongeant la durée maximale de rétention de trente-deux à quarante-cinq jours, vous organisez un nouveau recul du droit des personnes.

Il est peu probable que le Conseil constitutionnel valide deux reculs simultanés portant une telle atteinte à la liberté, droit sacré s’il en est, garanti par notre Constitution.

La jurisprudence montre que le délai de quarante-huit heures a acquis un statut quasi constitutionnel. Ainsi, dans une décision du 20 janvier 1981, le Conseil constitutionnel avait estimé qu’au-delà de quarante-huit heures, « l’intervention d’un magistrat du siège pour autoriser la prolongation de la garde à vue est nécessaire, conformément aux dispositions de l’article 66 de la Constitution ». On ne saurait être plus clair ! Si la rétention n’est pas une garde à vue au sens strict, elle n’en constitue pas moins une privation de liberté. À ce titre, il y a fort à parier que la jurisprudence du Conseil s’appliquera.

Vous avez eu recours à deux arguments pour appuyer cet allongement. Le premier est clairement affirmé à la page 249 du rapport n° 2814 de la commission des lois de l’Assemblée nationale : le juge des libertés et de la détention est un empêcheur d’expulser en rond parce qu’il a le malheur de vouloir faire respecter l’état de droit. Voilà qui est parfaitement explicite !

Nous doutons que le Conseil constitutionnel sera sensible à une proposition qui affiche clairement la volonté de contourner l’état de droit au nom de l’efficacité de la politique migratoire.

La majorité estime par ailleurs que les procédures actuelles sont trop enchevêtrées et que cela nuit à la bonne administration de la justice, qui est un objectif à valeur constitutionnelle.

Or, d’une part, il n’est pas certain que porter atteinte aux droits de l’homme puisse servir de caution au respect d’un objectif à valeur constitutionnelle et, d’autre part, je cherche en quoi le recours au juge des libertés et de la détention dans un délai de quarante-huit heures a rendu la bonne administration de la justice impossible. Vous ne nous l’avez pas démontré, et j’aurais même plutôt tendance à croire, lorsque je considère votre premier argument, que vous avez prouvé le contraire. Le juge des libertés et de la détention applique correctement le droit en vigueur et met un terme à de nombreuses mesures d’expulsion.

Ce n’est donc pas la justice qui fonctionne mal, c’est votre politique migratoire qui est entravée. Il est impensable que la réalisation de 25 000 expulsions par an soit un objectif à valeur constitutionnelle.

Il est d’ailleurs à craindre, comme le soulignent les syndicats de magistrats, que l’allongement du délai d’intervention du juge des libertés et de la détention ne provoque un surcroît de procédures pour les juges administratifs, qui ne pourront y faire face à effectif constant. Les délais de jugement risquent alors de s’allonger. Je doute que l’on puisse parler de bonne administration de la justice quand les juges ne peuvent juger dans de bonnes conditions.

En conséquence, nous saisirons le Conseil constitutionnel sur ce point très précis pour avoir son avis. Nous ne pouvons, en l’occurrence, que regretter votre entêtement.

Régression des droits, aussi, au travers de l’article 73, qui s’inscrit pourtant en porte-à-faux par rapport à une jurisprudence récente de la Cour de justice de l’Union européenne que vient d’évoquer Mme Assassi. La Cour a été claire : la directive Retour vise à limiter au maximum les mesures coercitives de privation de liberté au titre d’un séjour irrégulier.

Vous affirmez vouloir transposer cette directive, mais vous en contredisez l’esprit au travers de l’article 73 : vous punissez de trois ans d’emprisonnement un étranger qui se soustrait à une OQTF, vous violez l’esprit de la directive Retour tel que l’interprète la Cour. On se serait attendu à une modification de cet article pour respecter sa jurisprudence ; au contraire, vous bravez la Cour : une fois encore, vous sortez de l’état de droit et faites plus de mal à la légalité de l’État qu’autre chose.

Le deuxième recul se manifeste dans la négation des valeurs de la République. Je pense notamment à l’article 17 ter qui consacre une atteinte aux droits des étrangers malades, foulant au pied la juste politique d’accueil de notre République. L’amendement de notre rapporteur, présenté comme un compromis, a été validé en commission mixte paritaire. Pourtant, nous nous sommes d’emblée élevés contre ce projet en présentant des arguments non contestables. Nous considérons non seulement que cela ne résout rien sur le fond, mais aussi que cela constitue une brimade supplémentaire sur la forme.

Vouloir remplacer la constatation de l’accessibilité effective des soins par celle de leur simple absence est une condamnation des étrangers. Les traitements sont toujours présents dans les hôpitaux riches des pays en développement ; cela ne signifie pas qu’ils soient disponibles... C’est une condamnation à mort pour beaucoup de ceux qui devront retourner dans leur pays d’origine : dans le monde, 60 % des individus qui vivent avec le VIH n’ont pas accès à un traitement et 25 % des morts par tuberculose pourraient être évitées. C’est aussi une condamnation à la clandestinité pour ceux qui resteront en France pour se faire soigner.

Il n’y a pas de tourisme médical. En moyenne, les étrangers malades demandant leur titre de séjour le font après six ans de présence sur notre territoire. Le tourisme médical est le fait des individus riches, pas celui des pauvres.

L’article 17 ter est également dangereux en termes de santé publique. Si les étrangers décident de rester en France pour se faire soigner malgré tout, ils basculent dans la précarité et la clandestinité. Ce faisant, ils renoncent à un traitement régulier, ils augmentent aussi les risques de contamination, de contagion, voire, dans certains cas, d’épidémie. Est-ce cela que nous souhaitons ?

À terme, c’est l’ensemble de la société qui risque d’être touché. Les conséquences seront alors autrement plus graves.

Les traitements contre certaines maladies sont un acte collectif de prévention : la société se protège ainsi. Si vous mettez à bas ces protections, vous nous faites courir un risque à tous.

Et vous ne contribuez pas, contrairement à ce que vous pouvez penser, à améliorer le financement de la santé publique, bien au contraire. Lorsqu’on est privé de soins, de manière assez logique, la maladie empire. En conséquence, il faut in fine mobiliser des moyens plus lourds pour la traiter, qu’il s’agisse des traitements eux-mêmes ou des modes d’intervention. À titre d’exemple, il y aura plus souvent recours aux urgences, qui coûtent plus cher que les médecins de ville.

Enfin, le titre de séjour « vie privée et familiale » permet de travailler. Si l’on diminue le nombre de ses titulaires et que les étrangers décident de rester clandestinement en France, ils seront pris en charge par l’aide médicale d’État, qui repose sur la solidarité nationale. En conséquence, cela coûtera, là encore, plus cher à la collectivité. Il s’agit donc d’une erreur en termes de gestion de nos finances publiques. Si l’argument humanitaire ne vous convainc pas, vous auriez pu, pensions-nous, être sensibles à l’argument financier.

La troisième marque de recul tient à la détérioration de la situation des étrangers. Je pense ici en particulier à l’article 21 ter, qui entérine la création de la nouvelle catégorie juridique qu’est le « mariage gris ».

Monsieur le ministre, si nous n’avons pas contesté l’existence possible de quelques cas, nous n’avons eu de cesse de dénoncer l’asymétrie d’une peine qui ne frappera que l’étranger, le conjoint français étant supposé de bonne foi. Nous avons également critiqué son caractère peu pratique, le juge étant souvent en peine de prouver une dissimulation.

Plus encore, nous estimons que cet article constitue une énième manière de présenter sous un jour passablement défavorable la présence d’étrangers dans notre pays.

La France était un pays d’accueil, généreux et ouvert. Vous en faites, et je le regrette, un État-citadelle, replié sur lui-même et sur une identité que vous mythifiez. Notre pays se renie à coup de lois successives, sans que puisse être établi le bilan des précédentes.

Les valeurs humanistes sont niées, dans les lois comme dans les actes. Que dire en effet devant ces Tunisiens que l’on rafle au moment de la distribution des repas ? Est-ce là cette République pour laquelle le peuple français s’est battu en des temps plus sombres ? Est-ce là ce que les Résistants ont voulu défendre au prix de leur existence ?

Certes, la France n’a pas vocation à accueillir toutes les souffrances de la planète, mais elle doit en prendre sa juste part. Je reste, moi, admirative devant la générosité des Tunisiens, qui, malgré tous leurs problèmes, savent accueillir, nourrir et réconforter les Libyens qui fuient un pays en guerre, alors que nous, Européens, dans un continent si riche, nous nous déshumanisons, nous nous desséchons…

Les socialistes sont porteurs d’une alternative : nous aurons une politique migratoire non contestable sur le plan des droits de l’homme, pragmatique et humaniste. Nous saurons également faire face aux crises, aux situations de conflit et aux problèmes qui pourront se poser, en nous adaptant à chaque contexte. Nous savons, nous, faire la différence entre le structurel, qui relève de la politique de cadrage, et le conjoncturel, qui relève de l’adaptation pragmatique et humaine.

Nous avons, par le passé, pu faire face à des afflux plus massifs et nous ne nous en portons pas plus mal. Comment pouvons-nous tourner le dos à ceux qui ont peur et qui souffrent ?

Le Président de la République a prononcé cette phrase au soir du 8 mai 2007: « Je veux lancer un appel à tous ceux qui dans le monde croient aux valeurs de tolérance, de liberté, de démocratie et d’humanisme, à tous ceux qui sont persécutés par les tyrannies et par les dictatures, à tous les enfants et à toutes les femmes martyrisés dans le monde pour leur dire que la France sera à leurs côtés, qu’ils peuvent compter sur elle. »

Aujourd’hui, votre majorité veut bien que la France soit à leurs côtés, mais de loin, de très loin, de très très loin…

Nous ne voterons pas ce sixième texte idéologique et contreproductif, et nous ne manquerons pas de saisir le Conseil constitutionnel pour qu’il fasse respecter nos textes fondamentaux.

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