Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 11 mai 2011 à 21h30
Immigration intégration et nationalité — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire qui nous réunit aujourd’hui s’annonce fort peu satisfaisant.

J’ai déjà pu exprimer, mercredi 4 mai, lors de la réunion de cette commission mixte paritaire, le peu de bien que je pensais de ce texte, que j’ai eu l’occasion de combattre fermement en première et en deuxième lecture.

En effet, la version votée mercredi dernier en commission mixte paritaire par huit voix contre six est loin d’être un texte de compromis ; elle est significative du peu de cas que la majorité parlementaire fait des étrangers en France.

Je réaffirme qu’il s’agit d’une politique de méfiance, d’hostilité et de sanction dirigée contre les étrangers, qui sont stigmatisés et désignés comme les causes de nombreuses difficultés que le Gouvernement est incapable de résoudre.

Votre majorité s’applique, dans le même temps, à envoyer des messages, en matière d’immigration, qui se veulent contradictoires.

Alors que ce projet de loi nous a été présenté comme ayant notamment pour but de « renforcer l’immigration professionnelle », vous avez pourtant déclaré à la presse, monsieur le ministre, que vous souhaitiez faire en sorte de « restreindre l’immigration légale », donc l’immigration familiale et salariale.

Il faudrait savoir : souhaitez-vous restreindre ou renforcer l’immigration professionnelle ? Je me permets de vous poser la question.

Autre déclaration étonnante, émanant d’une parlementaire européenne UMP, que celle de Rachida Dati la semaine passée ! Elle aspire, en effet, à ce que « tous les étudiants étrangers repartent dans leur pays » une fois leurs études finies… Il s’agirait donc bien de supprimer les possibilités de passer du statut d’étudiant à celui de salarié, afin de restreindre l’immigration professionnelle.

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a, quant à elle, indiqué que la France avait besoin d’une immigration salariale afin de pourvoir aux emplois inoccupés pour lesquels des employeurs éprouvaient des difficultés de recrutement.

J’invite donc votre majorité à se mettre d’accord, monsieur le ministre, au moins au sein du Gouvernement, sur cette question de l’immigration qui vous pose visiblement de nombreuses difficultés et provoque des clivages.

Outre ces messages peu clairs adressés par la majorité, je souhaite dire quelques mots, avant d’aborder le fond du texte qui nous réunit, du climat de xénophobie et de la vague de racisme qui déferle en France. Force est malheureusement de le constater, plusieurs événements récents en sont révélateurs, ce qui ne fait d’ailleurs que réjouir les extrémistes.

J’aimerais tout d’abord rappeler que le Gouvernement doit apporter une solution digne et responsable à la question des migrants tunisiens arrivés nombreux en France et que vous vous appliquez aujourd'hui à chasser.

Vous avez en effet déployé une série de réponses particulièrement inadaptées, monsieur le ministre, et peu respectueuses des droits humains : la multiplication des interventions policières, des placements en garde à vue ou en centre de rétention – je me suis d'ailleurs rendue dans l’un de ces centres pour écouter ces migrants et essayer de les comprendre –, le blocage de la frontière franco-italienne et la réadmission de Tunisiens vers l’Italie, alors que nous savons qu’ils reviendront.

La France manque ainsi gravement à sa réputation de terre d’accueil et de libertés, et déroge aux principes qu’elle a toujours défendus.

Monsieur le ministre, la situation devient dramatique. Un jeune Afghan, aujourd'hui majeur mais mineur au moment de son arrivée en France deux ans auparavant, s’est suicidé voilà deux semaines à Paris, car il ne voulait pas repartir en Afghanistan.

Ensuite, je suis évidemment choquée par diverses manifestations de racisme qui prolifèrent ces derniers temps, qu’elles soient liées à l’affaire des « quotas de binationaux » dans le milieu du football, ou au procès, à Amiens, de trois policiers ayant proféré des paroles violemment antisémites et racistes.

J’ai de plus en plus la sensation que la xénophobie se banalise, et que chaque jour révèle sont lot de faits divers relatant des événements en lien avec le racisme.

C’est dans ce contexte, regrettable, que nous est présenté ce projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, aussi me semblait-il important de le rappeler.

J’ai déjà eu l’occasion de dénoncer et de combattre la plupart des mesures de ce texte. Je reviendrai aujourd’hui sur certaines dispositions qui, je l’espère, seront bientôt déclarées inconstitutionnelles.

Je continue évidemment à contester, comme je l’ai indiqué en commission mixte paritaire, le vote de l’odieux article 17 ter, dans sa rédaction issue du Sénat, qui porte fortement atteinte aux droits des étrangers malades. Le fait de requérir l’absence de traitement dans le pays d’origine pour être admis à séjourner en France est inhumain.

Certes, les traitements contre les pathologies les plus lourdes, par exemple le sida, existent dans de nombreux pays, mais ils sont tout simplement inaccessibles à un grand nombre de malades.

Je dénonce également l’inversion aberrante de l’intervention des juges concernant la rétention des étrangers en instance d’éloignement et le fait que ces derniers soient obligés d’attendre quatre jours avant d’être reçus par le juge des libertés et de la détention, s’ils n’ont pas déjà été expulsés !

Par ailleurs, je rappelle mon opposition au concept immonde de « mariage gris » qui apparaît dans ce texte et qui fait de l’étranger le seul membre du couple suspecté de tromperie auprès de son pauvre conjoint français. Cette disposition est d’ailleurs contraire au principe d’égalité. En outre, elle est révélatrice de la suspicion permanente qui entoure les étrangers, criminalisés jusque dans leur vie la plus intime.

Enfin, j’attire votre attention, monsieur le ministre, sur l’arrêt du 28 avril dernier de la Cour de justice de l’Union européenne sur la pénalisation du séjour irrégulier des étrangers. Aux termes de cet arrêt, « les États membres ne sauraient prévoir une peine privative de liberté pour le seul motif qu’un ressortissant d’un pays tiers continue, après qu’un ordre de quitter le territoire national lui a été notifié, de se trouver présent de manière irrégulière sur le territoire d’un État membre ».

Il semblerait, monsieur le ministre, que vous ne souhaitiez pas tirer les conséquences de cet arrêt émanant d’une juridiction supranationale, qui devrait pourtant s’appliquer à la France ! Peut-être le Gouvernement auquel vous appartenez, après avoir voulu suspendre les accords Schengen, aspire-t-il également à sortir de l’Union Européenne…

Dans cette attente, je ne vois pas pourquoi le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité n’a pas été mis en conformité avec les exigences de la Cour de justice de l’Union européenne. Je ne peux que vous conseiller de lire cet arrêt, monsieur le ministre. Vous comprendrez alors pourquoi nous l’invoquons aujourd'hui.

Le présent projet de loi, sous prétexte de transcrire des directives européennes, comporte in fine des dispositions contraires à la directive Retour.

Pour toutes ces raisons, les sénatrices et sénateurs écologistes s’opposent fermement à ce texte liberticide, qu’ils continueront de combattre. J’espère que nos collègues, notamment M. Courtois qui considère l’immigration « comme une chance », nous rejoindront pour prendre part à ce combat contre ce projet de loi injuste et inhumain.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion