Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la Haute Assemblée est saisie ce jour, aux fins de ratification, de deux projets de loi.
Le premier porte sur l'accord de partenariat signé le 23 juin 2000 à Cotonou, pour une durée de vingt ans, entre, d'une part, les membres du groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et, d'autre part, la Communauté européenne et ses États membres.
Une révision intervenue en 2003 a prévu une période de transition de dix ans.
Le deuxième projet de loi concerne le cadre financier et ne peut être approuvé que si l'accord précédent est ratifié.
Comme vous l'avez fort pertinemment signalé, monsieur le secrétaire d'État, la révision de l'accord de Cotonou est plus particulièrement motivée par la volonté de la Communauté européenne d'arrêter des procédures, définies notamment à l'article 9, ayant pour objet de favoriser le développement d'un certain nombre de principes fondamentaux, tels que le respect des droits de l'homme, la promotion de la paix, la prévention et la résolution des conflits et la lutte contre les armes de destruction massive.
Il est donc proposé de subordonner le bénéfice des aides communautaires aux pays prêts à instaurer les principes démocratiques indispensables à tout État de droit et à assurer une bonne gestion des affaires publiques. Ce volet intéresse en premier lieu l'Afrique.
Mais il est également prévu de promouvoir le développement économique par le biais de nouvelles politiques de coopération qui doivent aboutir à la préparation, puis à la signature d'accords de partenariat économique régionaux. Ce volet est pour moi essentiel, car il intéresse avant tout la Caraïbe. Or, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, je ne vous ai pas entendus évoquer la Caraïbe.
Les APE sont des accords signés entre la Communauté européenne et des sous-ensembles regroupant un certain nombre de membres du groupe des États ACP, constitués en union douanière - j'insiste sur ce point -, et prévoyant l'introduction progressive, à partir de 2008, du libre-échange.
En d'autres termes, la modification de l'accord de Cotonou touche de plein fouet la France outre-mer et lève totalement les barrières douanières au profit non seulement des pays ACP, mais également d'autres États émergents, comme l'Inde, ainsi qu'au profit de la Chine et du Japon. Ces pays, déjà présents dans la zone, y interviennent de plus en plus.
Monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, je ne critique pas le volet de l'accord intéressant l'Afrique. Vos exposés respectifs ainsi que le rapport de la commission sont excellents. Pour ma part, je le répète, je m'attache plus particulièrement à la situation de la Caraïbe.
Or, quelle a été la position de la France au regard des modifications apportées à l'accord de Cotonou ?
La négociation sur ce dossier a été conduite uniquement entre la Communauté européenne et les pays ACP. La France a en quelque sorte donné un blanc-seing à l'Europe pour traiter le problème caribéen « à la manière européenne ».
Certes, la France est membre de la Communauté européenne, mais elle a oublié qu'elle se trouvait des deux côtés de la barrière, partie intégrante tant de l'Europe que de la Caraïbe, où elle est présente dans les Antilles et en Guyane.
Monsieur le secrétaire d'État, ces deux projets de loi sont extrêmement dangereux ; c'est la raison pour laquelle j'ai souhaité intervenir aujourd'hui. Je vous ai d'ailleurs adressé personnellement, ainsi qu'au Président de la République et à tous les membres du Gouvernement, le rapport que j'ai rédigé sur le sujet et dont les conclusions sont extrêmement préoccupantes pour le devenir de l'outre-mer.
Je veux le rappeler avec insistance, ces projets de loi intéressent les pays ACP et, partant, la Caraïbe. Or la Caraïbe, c'est bien sûr, entre autres, la Barbade, Trinité-et-Tobago, Saint-Kitts-et-Nevis, mais c'est aussi la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, donc la France.
Lors de l'examen de ces deux accords, la France a visiblement perdu de vue qu'elle représentait aussi la Caraïbe et qu'elle avait donc son mot à dire des deux côtés de l'Atlantique, tant au niveau européen qu'au niveau caribéen.
À mon sens, tout accord de coopération dans la Caraïbe ne peut être envisagé sans qu'en soient mesurées les conséquences pour nos trois régions. Hélas ! cet aspect n'apparaît nullement dans les deux textes.
Monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, encore une fois, si j'approuve les propos que vous avez tenus, je dois dire que vous ne m'avez pas parlé de ce qui m'intéresse et de ce qui intéresse la France, à savoir le devenir de la Caraïbe.
Nos régions de cette zone du monde souffrent chacune d'un isolement par rapport aux autres. Il faut le savoir, le prix du billet est exactement le même pour se rendre de Pointe-à-Pitre à Cayenne ou à Paris.
Et pourtant, les États de la Caraïbe, parmi lesquels la Barbade, Trinité-et-Tobago, Saint-Kitts-et-Nevis, la Jamaïque, confrontés à un éparpillement géographique et à des difficultés institutionnelles, ont réussi à constituer une force d'intervention pour défendre leurs intérêts, au travers d'organismes tels que le CARICOM, la Communauté des Caraïbes, et le CARIFORUM, le Forum des Caraïbes, ou au travers de la Convention de Lomé. Ce sont ces organismes qui signent et qui vont signer avec l'Europe les accords dits APE, et ce en dehors de la présence de la France.
En effet, monsieur le secrétaire d'État, la France, les Antilles françaises et la Guyane ne siègent ni au CARICOM ni au CARIFORUM, même pas comme membres associés ! La France n'est plus membre de la Banque caribéenne de développement depuis 2000. Pis, elle a accepté que la Communauté européenne installe son siège à la Barbade et non en Guadeloupe, en Martinique ou en Guyane, qui sont pourtant des territoires européens !
De ce fait, on ne sait ce qui se passe dans la Caraïbe que par ce qu'en disent les chefs d'État concernés. En définitive, on n'a aucune connaissance de la réalité !
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous avons créé l'Association des États de la Caraïbe justement parce que nos trois exécutifs de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane se sont rendu compte qu'ils n'avaient aucune relation avec leurs voisins caribéens. Faute de liaison maritime ou aérienne, je suis contrainte de faire un détour jusqu'à Porto Rico si je souhaite me rendre à Trinité-et-Tobago !
L'Association des États de la Caraïbe a été créée par une convention signée de Miami jusqu'au Venezuela et ratifiée par le Parlement français. La France a approuvé un accord spécifiant qu'elle participait à cette association en tant que membre associé au titre de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane. Cela impliquait que, dans la zone caraïbe, sa représentation était légitimement assumée par ces trois régions.
Dans ces conditions, comment peut-on m'expliquer que la France puisse, à Cotonou, accepter de signer un accord sans même avoir consulté les départements d'outre-mer auxquels elle a donné une délégation pour la représenter ? En d'autres termes, cet accord a été signé sans aucune intervention de l'outre-mer français.
Par conséquent, il y a un vrai problème, que je veux soulever avec force : la France, absente des instances décisionnelles dans la zone Caraïbe, ne peut pas apprécier l'acuité des dysfonctionnements qui s'y produisent.
Pourtant, la coopération de la France avec l'ensemble de la zone est antérieure à celle de l'Europe. Par son histoire et sa géographie, elle y a joué incontestablement un rôle extrêmement important. Sa présence et ses interventions sont en outre très appréciées.
Mes chers collègues, souffrez que je vous rappelle un fait précis : lorsque Montserrat a subi une éruption volcanique, le Royaume-Uni a fourni un soutien matériel mais l'a envoyé à Antigue ; ce sont des avions français qui sont partis le chercher pour le transférer à Montserrat. Nous y assurons d'ailleurs encore une présence aujourd'hui puisque le volcan n'est toujours pas éteint.
La France occupe donc dans cette zone une place privilégiée. Je le répète, je ne comprends pas pourquoi nous n'avons pas été consultés lors de la préparation de ces accords.
Pour en venir maintenant au deuxième projet de loi portant sur le financement des aides communautaires, nous serions tentés de dire que ce protocole paraît intéressant, dans la mesure où il importe effectivement d'assurer le développement des pays souffrant d'un retard en la matière. Cela étant, le dispositif reste préoccupant, et je m'en explique.
La première modification prévue porte sur l'assouplissement des procédures d'éligibilité aux ressources du FED, et ce au détriment de l'outre-mer français puisque celui-ci est soumis aux contraintes de l'Europe, qui le pénalisent. Monsieur le secrétaire d'État, vous avez dit en filigrane, et cela figure dans le rapport, que l'Europe considère déjà que nous avons atteint notre parfait développement. Or, avec un taux de chômage oscillant entre 25 % et 30 %, il n'est pas très sérieux, me semble-t-il, d'avancer une telle affirmation !
Dans cette affaire, j'ai le sentiment que la vision européenne consiste à nous « rabaisser » au niveau de la vision de la Caraïbe.
Ainsi, la montée en puissance de l'Allemagne est l'un des éléments qui me préoccupent. En effet, notamment à Sainte-Lucie, les Allemands sont en train d'acheter toutes les terres, de construire des écoles, et c'est la Lufthansa qui assure aujourd'hui les vols touristiques dans cette zone !
La deuxième modification apportée est l'accélération des financements. Monsieur le secrétaire d'État, vous avez indiqué que la contribution de la France au FED s'élevait à 19, 55 %, mais vous avez oublié de préciser que l'Europe nous a imposé, par le biais de ce fonds, le programme INTERREG. Ainsi, certains États bénéficient du FED européen, mais aussi des dotations du FEDER provenant des collectivités régionales.
M. le président du conseil général de la Guadeloupe ici présent sera sûrement d'accord avec moi pour souligner l'importance, sur le terrain, des apports personnels de nos collectivités.
L'assouplissement des procédures s'applique aussi aux États non-membres du groupe ACP. En d'autres termes, dans le cadre des contrats APE, des pays comme la Chine ou le Japon vont bénéficier de l'assouplissement des procédures et de l'éligibilité au FED, alors qu'ils n'y participent pas, sous le prétexte qu'ils ont développé une coopération avec la Caraïbe !
De plus, ces deux projets de loi ne prennent pas en compte les différences entre l'outre-mer français et les autres États de la Caraïbe sur le plan de la fiscalité, du droit social ou des procédures.
S'agissant de la fiscalité, les États de la Caraïbe bénéficient d'une sorte de taxe douanière de protection, plus connue sous le nom de « negative list ». La fixation du taux de cette taxe est laissée à l'appréciation souveraine des dirigeants des pays concernés et l'Europe a décidé de proroger ce dispositif pendant douze ans. En d'autres termes, si un État de la Caraïbe ne souhaite pas l'importation d'une production française ou européenne locale, il peut lui imposer, dans le cadre des « negative list », une taxe de 100 %. Si nous voulons exporter de l'eau à Antigue, qui en manque, nous risquons de subir un tel niveau de taxation, tandis que le seul outil dont nous disposons est l'octroi de mer, dont le taux ne peut pas dépasser 20 % ! Bref, une production des États de la Caraïbe qui entre sur notre territoire ne peut être taxée qu'à 20 % au maximum, alors que nos exportations à destination de la Caraïbe pourront être taxées à 100 %.
Monsieur le secrétaire d'État, admettez que ce projet de loi n'est pas favorable à nos départements caribéens. Comment pouvons-nous parler de libre-échange et de développement quand, pour notre part, nous respectons des règles strictes en termes de niveau de salaire et de protection sociale, alors que les autres pays de la Caraïbe ne sont pas soumis aux mêmes contraintes. D'ailleurs, un certain nombre de ressortissants de ces pays viennent en Guadeloupe et en Martinique chercher la protection sociale qu'ils n'ont pas chez eux.
La France avait l'occasion de profiter de cet accord de Cotonou pour imposer sa vision humanitaire et pour conditionner l'aide de la Communauté européenne au respect des règles de protection des travailleurs dans cette zone.
Un semblant de justification ou, du moins, d'explication de la signature de ces deux accords se trouve dans le rapport, où il est écrit que les entreprises françaises bénéficient dans une large mesure des contrats mis en oeuvre dans le cadre du FED. Loin de moi l'idée d'appliquer à cet adjectif une connotation péjorative, mais les entreprises françaises dont il s'agit, ce sont des entreprises « métropolitaines » !
Si l'on veut vraiment promouvoir le développement de la Caraïbe et de l'outre-mer, si l'on veut sortir du système inadmissible de l'assistanat et du soutien, encore faut-il permettre à ces régions françaises de prendre toute leur place dans le bassin caribéen !
À l'heure actuelle, les infrastructures existent déjà : je veux parler de l'aéroport de Sainte-Lucie, qui a fait couler beaucoup d'encre, de ceux de la Barbade ou d'Antigue, où la présence française est très forte. Mais savez-vous que les touristes qui passent chez nous vont acheter les produits français dans d'autres zones de la Caraïbe parce qu'ils y sont meilleur marché ? C'est tout de même inadmissible ! Pour notre part, nous avons des infrastructures, des hôpitaux, qui sont très recherchés par les populations des autres pays...
Ces dossiers méritent d'être traités à fond !
Lorsque le Président de la République est venu chez nous et a soutenu le projet de zone franche, comme étant un élément fondamental de son programme pour l'outre-mer, nous avons applaudi. Mais, je vous le dis, vous ne créerez aucune zone franche sans mettre à plat, auparavant, le dossier Antilles-Guyane au sein du bassin caribéen et sans évoquer avec nous l'ensemble des différences qui existent dans cette zone.
Aujourd'hui, le dollar est bas et l'euro très fort. Dans ce contexte, je pense que la proposition faite par les élus, qui visait non pas à adopter une position d'affrontement par rapport à la Caraïbe mais à créer une zone de complémentarité économique, était à soutenir. Il s'agissait de dire à l'Europe que, dans le bassin caribéen, la France est forte et présente. Plutôt que de nous mélanger, créons une zone de complémentarité qui prenne en compte nos différences et nos propres avancées ! Ayons de véritables assistants de coopération en outre-mer et ne laissons pas faire n'importe quoi dans le cadre actuel !
Nous aurions pu comprendre que l'on fasse jouer le FED et le FEDER dans cette zone de complémentarité. Or, aujourd'hui, alors que nous avons encouragé notre jeunesse à suivre une formation poussée, l'Europe semble dire qu'elle va tout gérer !
Monsieur le secrétaire d'État, la création des régions ultrapériphériques, les RUP, émane de la volonté des élus locaux. Ceux-ci souhaitaient rappeler que l'Europe continentale n'est pas la seule et que l'Europe maritime existe aussi. À ce jour, l'Europe est incapable d'opérer une différence entre les RUP et les ACP. En outre, depuis 1986, la question de la délimitation des zones territoriales entre les îles de La Guadeloupe, de La Martinique, de Sainte-Lucie et d'Antigue n'est pas réglée, et il arrive encore que nos bateaux de pêche soient arraisonnés.
Je ne peux donc pas voter la ratification de cet accord alors qu'il subsiste trop de zones d'ombre et d'incohérences et que la France est en situation de faiblesse dans la zone caraïbe. Le sujet est trop grave pour les Domiens, qui ne cessent de réclamer, depuis des années, la mise à plat d'un véritable projet cohérent de développement pour l'outre-mer.
Certes, le volet concernant l'Afrique est excellent et remarquable. Mais vous avez oublié un élément fondamental, que je n'ai cessé de rappeler au Président de la République et au secrétaire d'État chargé de l'outre-mer : il n'y aura jamais de zone franche intéressante ni de positionnement de la France dans cette zone tant que nous continuerons à parler des ACP en se focalisant sur le « A », en oubliant le « C » et le « P ». Pour ma part, je défends le « C » !
Je ne pourrai jamais trahir mes convictions : la France doit pouvoir s'exprimer, penser et agir dans la zone caraïbe, et cela à travers les deux régions qui la représentent.