Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, contre toute attente, la majorité de l’Assemblée nationale a adopté un amendement modifiant sensiblement le dispositif de l’article 11 tel qu’il était proposé par le Gouvernement de telle sorte que les périmètres de référence des marchés d’intérêt national sont supprimés. Cet amendement, dont il semble qu’il ait été sollicité par un dirigeant du groupe allemand de grande distribution Metro, contredit donc le travail de concertation mené depuis 2008 par vous-même, monsieur le secrétaire d’État.
Cette concertation avait abouti à une proposition d’évolution de la réglementation des MIN qui recueillait l’assentiment d’un très large panel de professionnels du commerce des produits frais comme de l’agriculture, et qui semblait acceptable par la commission de Bruxelles, comme vous l’avez d’ailleurs souligné, monsieur le secrétaire d’État, lors des débats à l’Assemblée nationale.
Si elle était finalement retenue, la suppression des périmètres de référence des MIN aurait des conséquences désastreuses pour le service public de l’alimentation. Les grossistes et distributeurs du secteur agroalimentaire pourraient alors s’installer rapidement au sein des agglomérations sans autorisation préalable des pouvoirs publics, au titre du commerce de gros des produits frais, tout en échappant aux divers contrôles, notamment sanitaires.
Cette concurrence déloyale aurait pour effet d’affaiblir sensiblement les 1 300 PME du MIN de Rungis, ainsi que des dizaines d’autres dans les autres régions, et de menacer la pérennité des 26 000 emplois des MIN de France.
Les périmètres de protection des marchés d’intérêt national interdisent toute extension ou création d’activité destinée à la vente en gros à l’intérieur du périmètre pour les produits protégés. C’est en partie grâce à l’efficacité de ce dispositif mesure, destinée à protéger les MIN ainsi que les grossistes et producteurs qui y exercent leurs activités, que le marché de Rungis, le plus grand marché de frais au monde, est devenu un modèle dont l’organisation est exportée par ses dirigeants partout dans le monde.
Le MIN de Rungis dégage à lui seul près de huit milliards d’euros de chiffre d’affaires. Plus de 5 500 grossistes y emploient 12 000 salariés. Depuis plus de quarante ans, le marché de Rungis mène quotidiennement le combat de la qualité et de la fraîcheur de ses produits, dont 18 millions de consommateurs profitent tous les jours. Chaque matin, ce sont plus de 30 000 professionnels qui en franchissent les portes pour l’approvisionner, y faire leurs achats ou venir y travailler.
La suppression des périmètres de références des MIN reviendrait à ignorer la modernité de l’ensemble des MIN – pas seulement celui de Rungis – et à remettre en cause leurs actions en lien avec les collectivités territoriales
Avec leurs périmètres de référence, les MIN sont de puissants outils d’aménagement du territoire. Ils constituent un réservoir d’emplois qu’il faut protéger et représentent, pour nombre de nos agriculteurs, un outil essentiel de mise en marché des produits jusque sur les étalages des commerçants forains et sédentaires de nos centres-villes. Ils sont le seul outil dont l’État dispose pour suivre la formation des prix de détail des produits frais. Ils sont enfin un lieu de contrôles sanitaires et phytosanitaires essentiels à notre sécurité alimentaire.
Ce modèle a fait école dans le monde entier et notre ingénierie remporte de significatifs succès en l’exportant. Pourquoi fragiliser, menacer ce que l’on nous envie tant ?
Grâce à l’existence des périmètres de référence, la France dispose encore d’un circuit de distribution alimentaire de qualité, à côté de la grande distribution. Les MIN sont par définition des lieux de concurrence où se confrontent des offres diversifiées. Ce ne sont ni des « monopoles » ni des lieux de « privilège ».
Avant de conclure, je veux relever que les collectivités territoriales et les professionnels des MIN, forts des promesses sécurisantes de 2003, ont beaucoup investi pour moderniser ces marchés – comme à Rouen, Lomme, Grenoble ou Rungis –, pour participer à la relance économique et pour soutenir l’emploi. On ne doit donc pas changer pas les règles au milieu de la partie, faute de quoi il serait indécent d’accuser les élus locaux de trop dépenser après que l’État les a incités à investir dans ce secteur essentiel à notre économie et à notre vie quotidienne.
Avec l’amendement n° 40 rectifié, le groupe socialiste du Sénat ne demande rien d’autre que le rétablissement de la version initiale de l’article 11 du projet de loi, qui assouplissait, conformément aux exigences de la directive Services, les procédures d’autorisation en permettant l’installation d’un grossiste dans le périmètre de référence d’un marché d’intérêt national.
J’observe que plusieurs collègues de la majorité sénatoriale ont déposé un amendement analogue. Je souhaite, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, que vous entendiez ces voix qui s’élèvent depuis les travées de la majorité sénatoriale. La suppression des périmètres de référence des marchés d’intérêt national n’est pas acceptable.
La sécurité alimentaire, la défense de la production locale, la promotion des circuits courts ou la valorisation des déchets sont des domaines qui dépassent les clivages politiques. Une solution eurocompatible existe, dont vous vous en étiez fait le porte-drapeau, monsieur le secrétaire d'État : nous vous demandons simplement de l’appliquer. Il y va ni plus ni moins de la défense du service public de l’alimentation !