Par un simple article et en quelques lignes, le Gouvernement entend modifier en profondeur l’activité de placement des demandeurs d’emploi. Nous ne pouvons qu’être scandalisés, tant par la méthode que par le contenu de cette réforme très néfaste.
Pour ce qui concerne la méthode, l’article 14 et les dispositions qu’il contient sont une nouvelle illustration de la transposition de la directive Services, à laquelle le Gouvernement se livre en catimini et par tranches. Mais, depuis quelques mois, les choses s’accélèrent et, désormais, le Gouvernement procède par des textes législatifs fourre-tout qui englobent, dans un seul article, voire dans un seul alinéa, des mesures de transposition qui sont restées en panne sur l’un des bureaux des assemblées.
Opacité, confusion, déni démocratique : on ne peut que déplorer que ces termes caractérisent la méthode privilégiée par ce gouvernement pour éviter d’avoir à se confronter à l’opinion publique et aux personnes concernées par les réformes. Le présent projet de loi relatif aux réseaux consulaires en constitue une parfaite illustration, puisqu’il contient un article 14 fourre-tout, qui, en quelques lignes, modifie en profondeur l’activité de placement des demandeurs d’emploi.
Cet article est passé quasiment inaperçu à l’Assemblée nationale et a pris de court tous les professionnels du secteur, en particulier les salariés de Pôle emploi. C’est la politique du fait accompli ! Mais, cette fois, elle n’a pas totalement réussi. Chacun est au courant de ces méthodes dorénavant et il est évident que, tant sur la forme que sur le fond, votre réforme n’était pas étrangère aux colères et aux revendications qui se sont exprimées le 8 juin dernier, à l’occasion du mouvement de grève national des personnels de Pôle emploi – je reviendrai sur cette question lors de la défense de notre amendement.
Sur le fond, l’article 14 procède à une libéralisation complète de l’activité de placement des demandeurs d’emploi, afin, prétendument, de mettre la France en conformité avec la directive Services. Comme nous l’avons déjà dit, la loi du 18 janvier 2005 avait étendu l’exercice de l’activité de placement aux organismes de droit privé. Ce faisant, elle avait déjà ouvert la boite de Pandore, mais certains garde-fous demeuraient.
Jusqu’à présent, l’activité de placement ne pouvait être exercée, aux côtés de l’Agence nationale pour l’emploi, que par les entreprises de travail temporaire et par les personnes morales de droit privé, à la double condition que ces dernières effectuent une déclaration préalable et exercent de manière exclusive cette activité quand celle-ci était accomplie à titre lucratif.
Or toutes ces limitations disparaissent avec l’article 14, qui vise à la marchandisation intégrale de l’activité en question et à l’organisation d’une confusion totale entre placement public et placement privé.
Il tend en effet à supprimer le chapitre III du titre II du livre III de la cinquième partie du code du travail, intitulé « Placement privé », pour ne laisser subsister que « la fourniture de services de placement », indifféremment servie par le public ou le privé.
En affirmant que « la fourniture de services de placement peut-être exercée à titre lucratif », il officialise la marchandisation du placement des demandeurs d’emploi. Une entreprise de travail temporaire pourra donc exercer cette activité de placement à titre lucratif, à côté de ses autres activités. On imagine la confusion totale des genres que ce texte de dérégulation va permettre.
Autre verrou qui saute : l’activité de placement pourra être exercée par n’importe quelle entreprise, et ce sans aucun contrôle de ses compétences – exit les réserves et précautions que contenait encore la loi Borloo de 2005. Avec ce texte, une entreprise de fabrication de soupe pourra se mettre demain à faire du placement de demandeurs d’emploi !
Il faut rappeler que le législateur avait, en 2005, conservé certaines restrictions destinées à limiter l’accès aux activités de placement aux seuls organismes ayant une connaissance véritable du marché du travail, ce qui semble bien la moindre des choses. Maintenant, cette condition ne paraît plus nécessaire, quitte à renoncer totalement à l’exigence de la qualité des opérateurs de placement.
Ces modifications seraient nécessaires en raison des exigences de la directive Services du 12 décembre 2006. Mais c’est faux ! Aux termes du quatorzième point du préambule de ce texte, « la présente directive ne s’applique pas aux services fournis par les agences de travail intérimaires. » Avec le présent projet de loi, la France va plus loin, et le Gouvernement ouvre totalement l’activité de placement pour offrir ce juteux marché à certains acteurs privés qui n’attendaient que cela.
Enfin, la loi Borloo de 2005 s’en prenait déjà aux acquis du Conseil national de la Résistance, en abrogeant les effets de l’ordonnance de 1945, qui confiait au public le monopole de placement des demandeurs d’emploi. Cinq ans plus tard, le projet de loi que nous examinons entend aller bien plus loin encore dans la libéralisation et la marchandisation de ce secteur.
Nous partageons tous la volonté de réduire le chômage, mais doit-on pour autant faire tout et n’importe quoi ?
Nous dénonçons donc avec vigueur cette dangereuse régression libérale qui ramène la France au xixe siècle en matière de placement des travailleuses et travailleurs.