Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 2 novembre 2009 à 16h00
Organisation et régulation des transports ferroviaires et guidés — Article 2 bis A

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

Sur le fond, je l’ai dit et je le répète, cet article, issu de l’amendement déposé par le Gouvernement à l’Assemblée nationale et portant le numéro 119 rectifié – il a en effet dû être rectifié à la dernière seconde tant sa technicité est grande ! – ne constitue ni plus ni moins qu’une spoliation ! De quoi s’agit-il ?

Depuis la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, acte II de la décentralisation, le STIF est l’autorité organisatrice des transports franciliens. À ce titre, il finance, de manière directe ou indirecte, l’ensemble du matériel roulant en Île-de-France. Ces investissements se font grâce à deux actions complémentaires : d’une part, le versement par le STIF aux transporteurs d’une contribution annuelle qui couvre toutes les charges liées aux investissements ; d’autre part, le financement direct par le STIF de l’acquisition et de la rénovation de matériels roulants ferrés par le versement de subventions d’investissement aux transporteurs. Pour mener à bien cette démarche, le STIF s’est engagé, par le biais des contrats d’exploitation conclus avec la SNCF et la RATP pour la période 2008-2011, à investir pas moins de 2, 5 milliards d’euros !

C’est dans ce contexte de dynamisme et de volontarisme dont fait preuve le STIF pour réaliser à l’horizon 2016 le renouvellement et la rénovation de l’ensemble du matériel roulant ferré que, par le biais de cet amendement, le Gouvernement procède en fait au retour en pleine propriété à la RATP de l’ensemble du patrimoine public exceptionnel du STIF, pourtant très largement financé par les collectivités franciliennes ! Le texte tel qu’il nous est proposé est donc d’autant plus inacceptable qu’il constitue un détournement de patrimoine public.

Le second sujet sensible concerne la position dominante conférée à la RATP en matière de maîtrise d’ouvrage et de choix techniques sur les projets. Il est clair, là encore, que le texte dessaisit le STIF de l’ensemble de ses prérogatives de puissance publique au profit d’un opérateur technique, ce qui est absolument inacceptable pour les élus que nous sommes. Un tel schéma conduira inévitablement à un mélange des genres, à une confusion des responsabilités, à un renchérissement des coûts et à une perte de maîtrise des délais, et ce alors même que, dans le cadre du groupe de travail sur le financement des transports en Île-de-France présidé par M. Gilles Carrez, nous nous sommes collégialement efforcés d’agir en sens inverse, bien au-delà des clivages politiques. L’esprit du règlement européen relatif aux obligations de service public, dit « règlement OSP », qui doit entrer en vigueur le 3 décembre 2009 – il y a donc urgence, et vous en tirez argument pour justifier une méthode aussi cavalière, et le mot est faible ! –, n’est donc pas respecté par ce transfert de propriété.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cet article subreptice ne nous surprend pas. Nous ne pouvons nous empêcher d’établir un lien entre ce transfert de propriété et la volonté affirmée par le président de la RATP de dégager des bénéfices substantiels pour les mettre à la disposition de sa stratégie de développement.

Vous souhaitez faire de la Régie autonome des transports parisiens une entreprise du champ concurrentiel intervenant, notamment, sur les marchés internationaux. Nous n’acceptons pas que cette évolution se fasse par le détournement des finances publiques locales. Ce détournement n’est pas acceptable.

Enfin, comment être surpris alors que l’État refuse depuis dix-huit mois de valider le schéma directeur de la région d’Île-de-France, le SDRIF ? Le projet de métro automatique Arc Express – il a fait, quant à lui, l’objet d’une concertation – ne semble en effet pas convenir à l’État, celui-ci lui préférant le projet que M. Christian Blanc souhaite mettre en œuvre dans le cadre du projet de loi sur le Grand Paris. De quelle manière ce dernier serait-il réalisé ? Grâce à la création d’une « Société du Grand Paris » à travers laquelle l’État projette de reprendre le contrôle direct de l’organisation des transports. Par l’intermédiaire de cette superstructure supplémentaire, potentiellement compétente à l’échelle de tout le territoire francilien, non seulement le Gouvernement complexifie l’organisation des compétences entre les collectivités, mais en outre il les dessaisit de leur compétence « Transport » au profit d’un État tout-puissant qui décidera de l’avenir de quartiers entiers dans les villes desservies par les nouvelles lignes de transport. Est-ce cela l’acte III de la décentralisation ?

Non, vraiment, nous ne sommes pas surpris d’une telle méthode. Vous affaiblissez le STIF en détournant son patrimoine public, vous organisez la privatisation rampante de la RATP et, en fin de compte, vous nous apprenez à lire entre les lignes des discours du Président de la République, qui déclarait le 29 avril dernier à Chaillot : « Le Grand Paris, […] c’est l’État qui donne l’impulsion nécessaire mais qui n’impose pas d’en haut un projet qui ne peut réussir que s’il est partagé par tous. »

Non, vraiment nous ne sommes pas surpris : scandalisés par de telles méthodes, oui, mais pas surpris…

Étant donné la gravité et l’importance des questions soulevées par cet article 2 bis A pour l’organisation des transports collectifs de 11 millions de Franciliens, rien ne peut justifier l’absence de débat approfondi au Sénat sur ce point.

J’en appelle au courage de nos collègues de la majorité, car ce seul article, sur la forme et sur le fond, justifie à lui seul le rejet de l’ensemble du projet de loi.

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