Intervention de Hamlaoui Mékachéra

Réunion du 16 décembre 2004 à 9h45
Reconnaissance de la nation en faveur des français rapatriés — Discussion d'un projet de loi

Hamlaoui Mékachéra, ministre délégué aux anciens combattants :

Mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai tout à l'heure à vos questions. A ce stade, je souhaite tracer les grandes perspectives, afin que notre démarche soit pleinement comprise et que chacun puisse y adhérer.

Le texte qui vous est soumis a été adopté par vos collègues députés, le 11 juin dernier. Il a été largement amendé. Comme à l'Assemblée nationale, le Gouvernement sera, bien entendu, très attentif à vos propositions.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, rien ne peut être compris, dit ou fait, si l'on ne se remémore pas ces mois tragiques qui marquèrent la séparation entre la France et ses anciens territoires. Les décennies ont passé. Elles n'effacent pas pour autant le cataclysme de cette époque.

Comment oublier la terre algérienne, par exemple, ravagée par huit années de violence extrême, souvent aveugle ? Comment oublier une métropole qui, elle aussi, s'éloignait, accaparée par la reconstruction, le projet européen, la consommation de masse ?

Au coeur de cette rupture, des hommes, des femmes, des enfants, des familles entières ont vu leur destin basculer. Endeuillées, blessées, divisées, arrachées à leurs biens, à leur terre natale, ces familles, de toutes origines, confessions et conditions, n'ont pas reçu, hélas ! l'accueil qu'elles étaient en droit d'attendre de la métropole.

Pour avoir débarqué, moi aussi - pardonnez-moi de personnaliser mes propos - un matin de juillet 1962, sur un quai de Marseille, je sais que ces moments ne peuvent s'oublier, qu'ils marquent définitivement une vie.

Pourtant, aucun n'a manqué à sa patrie, à la France. Leur fidélité est intacte et indéfectible.

Ces temps de souffrances, les conditions de cette séparation ne sauraient occulter des décennies de présence française outre-mer. Au nom de la République, une oeuvre impressionnante, impérissable, a été accomplie.

L'article 1er de ce texte rend un hommage mérité aux hommes, aux femmes, souvent modestes, qui ont travaillé sans relâche pour valoriser ces terres et apporter le progrès.

Pour reconnaître l'oeuvre accomplie, en Indochine, en Afrique, au Maghreb et ailleurs, pour rééquilibrer une vision historique trop souvent déformée, le Mémorial national de l'outre-mer, à Marseille, sera également un point d'appui essentiel. Je veux saluer l'action de l'un des vôtres, M. Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille, qui a lancé ce projet et qui le suit avec vigilance. A la demande du Premier ministre, l'Etat s'implique fortement dans ce projet qui sera inauguré en 2006.

Toujours dans le domaine de la mémoire, et afin d'aider à la sérénité des débats, le Gouvernement a décidé de créer une fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie.

Annoncée par le Premier ministre, le 5 décembre 2003, cette fondation a été inscrite dans le projet de loi, par l'Assemblée nationale. De fait, elle aura un rôle central. Elle devra devenir le lieu de l'étude et de la recherche.

Je suis en mesure de vous annoncer que le Premier ministre vient de confier au préfet honoraire Benmebarek la conduite de la mission de préfiguration de cette fondation. Il devra rendre son rapport à la fin du premier semestre 2005.

La fondation offrira donc un cadre scientifique et sérieux, reconnu par tous. C'est l'une des conditions de l'apaisement des esprits et des coeurs que nous appelons tous de nos voeux.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'en arrive aux dispositions relatives à la réparation. Elles représentent un effort budgétaire pour le moins important : près d'un milliard d'euros, dont 660 millions pour les mesures en faveur des harkis.

Je n'ai pas besoin d'expliquer, ici, ce qui justifie notre attention pour les harkis. Chacun connaît la tragédie qu'ils ont vécue ; chacun connaît leur fidélité à la France ; chacun connaît leurs besoins.

L'article 2 du projet de loi améliore très fortement l'allocation de reconnaissance qui, déjà, était un progrès considérable par rapport à la rente viagère dont ont bénéficié ceux qui étaient en dessous du seuil de pauvreté. Instituée dès le 1er janvier 2003 par le Gouvernement, l'allocation de reconnaissance est en effet versée à l'ensemble des 11 200 harkis et de leurs veuves. Elle a déjà été augmentée de 30 % au 1er janvier 2004.

Les harkis pourront choisir entre l'allocation portée à 2 800 euros dès le 1er janvier 2005, un capital de 30 000 euros, et, sur l'initiative des députés, le cumul d'un capital de 20 000 euros et de l'allocation à son niveau actuel.

Toujours pour les harkis, le projet de loi prolonge, jusqu'en 2009, les effets de la loi Romani en matière de logement. Il s'agit notamment d'une prime d'accession à la propriété pour ceux qui ne sont pas propriétaires de leur résidence principale. Sont aussi prolongées l'aide à l'amélioration de l'habitat et l'aide exceptionnelle de résorption du surendettement immobilier.

Ce dispositif s'est avéré efficace. Il répond à une aspiration, légitime, de s'enraciner en France et, le moment venu, de pouvoir transmettre un patrimoine. Il est parachevé.

Par ailleurs, le projet de loi crée un système dérogatoire pour les harkis, ou leurs veuves, qui n'ont pas acquis la nationalité française avant 1973, date limite prévue par les lois de 1987 et 1994. Pour eux, la date limite sera portée au 1er janvier 1995.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que beaucoup d'entre vous se préoccupent de la situation des enfants de harkis et des rapatriés en général. Le Gouvernement est conscient de leurs attentes. C'est pourquoi il n'est pas resté inactif.

Il y a déjà plusieurs mois, nous avons lancé une démarche volontariste d'accompagnement renforcé vers l'emploi et la formation professionnelle. Nous avons sollicité aussi bien les préfectures pour le recensement des besoins que les grands employeurs publics pour trouver des débouchés.

Cette action ne relève pas de la loi. Pour autant, elle constitue une réelle priorité. Les premiers résultats sont très positifs : près de 40 % des enfants issus de familles harkies ont trouvé ou retrouvé des perspectives professionnelles.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite dire avec force que, pour les enfants de harkis, l'avenir ne passe pas par l'assistanat et chacun d'eux le refuse avec force. Il ne passe pas non plus, je pèse mes mots, par un repli communautariste. Toute tentation identitaire ne ferait que perpétuer les souffrances et qu'obérer l'avenir. Je leur fais une grande confiance pour préférer l'intégration républicaine à toute autre aventure.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'article 5 du projet de loi doit permettre de mettre fin aux iniquités issues de l'application des précédentes lois d'indemnisation des rapatriés d'Algérie, du Maroc et de Tunisie.

Aux termes de la loi de 1986, par ailleurs très positive, certains ont bénéficié des mesures d'effacement des dettes de réinstallation. D'autres ont vu leur indemnisation réduite du remboursement anticipé du montant de ces mêmes prêts, par l'effet de l'article 46 de la loi de 1970 et de la loi de 1978.

Il nous semble normal de faire droit à une demande d'équité, présentée avec constance par les associations de rapatriés depuis 1995. Ainsi, 90 000 rapatriés et ayants droit bénéficieront de cette mesure. Son application sera échelonnée sur plusieurs années, en tenant compte de l'âge des bénéficiaires, pour un coût global d'environ 311 millions d'euros.

Enfin, l'article 6 règle la situation d'une centaine de personnes, de nationalité française, ayant dû cesser leur activité professionnelle à la suite de condamnations liées aux événements d'Algérie. Amnistiées, ces personnes, désormais âgées, ne disposent souvent que de faibles moyens d'existence.

Tel est l'essentiel du contenu de ce projet de loi, sur lequel votre rapporteur reviendra plus en détail.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de conclure, je tiens à évoquer brièvement la situation de nos compatriotes qui viennent de quitter brutalement la Côte d'Ivoire. Les situations historiques sont, évidemment, bien différentes. Toutefois, pour beaucoup, les difficultés à l'arrivée en métropole relèvent de la même problématique.

Le Président de la République vient de signer le décret qui étend à nos compatriotes le bénéfice de dispositifs prévus par la loi du 26 décembre 1961. Le Gouvernement a, d'ores et déjà, prévu une enveloppe de 5 millions d'euros à ce titre. Avec l'aide des élus et d'une administration efficace, à laquelle je rends hommage devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, les Français rentrés de Côte d'Ivoire pourront s'installer le plus rapidement possible sur le territoire.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais maintenant écouter avec la plus grande attention vos interventions. Je ne doute pas qu'elles témoigneront de la considération que porte le Sénat aux rapatriés et aux harkis en particulier.

Pour le Gouvernement, pour moi, c'est un honneur, de soumettre à votre approbation des mesures qui, sur le plan symbolique, matériel, humain, sont à la hauteur de l'image qu'ils se font, que nous nous faisons de la France.

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