Intervention de Alain Gournac

Réunion du 16 décembre 2004 à 9h45
Reconnaissance de la nation en faveur des français rapatriés — Discussion d'un projet de loi

Photo de Alain GournacAlain Gournac, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1962, l'indépendance de l'Algérie ramenait vers le territoire métropolitain, dans des conditions souvent précaires et toujours dramatiques, près d'un million de rapatriés, dont plusieurs dizaines de milliers de harkis. Quarante-deux ans plus tard, le souvenir de ces événements est resté très présent dans les mémoires et les plaies ouvertes à l'époque ne sont pas encore refermées.

Depuis 2002, le Président de la République et le Gouvernement ont beaucoup oeuvré en faveur d'une meilleure reconnaissance du drame vécu par nos compatriotes venus d'Afrique du Nord.

Je rappelle, notamment, la décision du Chef de l'Etat de faire du 5 décembre la journée annuelle d'hommage aux combattants morts pour la France pendant la guerre d'Algérie et les combats du Maroc et de Tunisie. Je pense également à la décision du Gouvernement de s'associer au projet, lancé par notre collègue Jean-Claude Gaudin, de créer, à Marseille, un Mémorial national de l'outre-mer. Ce mémorial présentera de manière vivante l'oeuvre de la France dans ses anciennes possessions coloniales et favorisera la recherche et le travail de mémoire.

Le même souci a conduit le Gouvernement à présenter au Parlement un projet de loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Ce texte, qui a été adopté par l'Assemblée nationale en juin dernier, a deux objectifs principaux : un objectif moral, celui de témoigner aux rapatriés la reconnaissance de la nation pour l'oeuvre qu'ils ont accomplie dans les anciennes possessions françaises d'outre-mer, et un objectif financier, celui de corriger certaines situations inéquitables résultant des différentes lois d'indemnisation qui se sont succédé.

Je rappelle, en effet, que trois lois d'indemnisation ont déjà été votées au bénéfice des rapatriés d'origine européenne, en 1970, 1978 et 1987. En outre, plusieurs textes ont eu spécifiquement pour objet l'indemnisation des harkis, notamment en 1987, 1994 et 2002.

Les articles 2 et 3 du présent projet de loi concernent précisément nos amis les harkis.

L'article 2 revalorise l'allocation de reconnaissance instituée à leur profit en 1999. Son montant est porté de 1 830 à 2 800 euros par an. Il permet surtout à ses bénéficiaires d'opter soit pour la poursuite du versement de l'allocation, soit pour le versement d'un capital de 30 000 euros, formule intéressante pour celui qui souhaite réaliser un investissement ou effectuer une grosse dépense, soit enfin pour une formule mixte associant rente et capital. Cette mesure intéresse environ 11 000 personnes et pourrait coûter jusqu'à 770 millions d'euros, dans l'hypothèse où tous les bénéficiaires choisiraient l'option la plus coûteuse, c'est-à-dire la poursuite du versement de l'allocation à son nouveau taux majoré.

L'article 3 est relatif aux aides au logement dont peuvent bénéficier les harkis en vertu d'une loi de 1994, qui a fixé au 31 décembre 2004 la date limite de dépôt des dossiers de demande d'aide au logement. Il vise à prolonger ce délai jusqu'au 31 décembre 2009. Ainsi, les harkis ayant négligé, par méconnaissance des textes, de demander ces aides disposeront de cinq années supplémentaires pour le faire.

L'Assemblée nationale a souhaité assouplir encore ce dispositif en permettant qu'ils perçoivent également les aides au logement s'ils acquièrent un logement en indivision avec leurs enfants et l'habitent ensemble ; il s'agit d'assurer l'accueil des parents.

L'article 4 prévoit d'autoriser le ministre en charge des rapatriés à accorder, de manière dérogatoire, le bénéfice de l'allocation de reconnaissance et des aides au logement à des harkis qui ne rempliraient pas les conditions normalement requises. Ces conditions tiennent à la date d'acquisition de la nationalité française et à la durée de résidence sur le territoire national.

En effet, il se trouve qu'un petit nombre d'entre eux n'ont pas accompli, à leur arrivée en France, les formalités de demande de reconnaissance de nationalité française, souvent par ignorance des règles applicables. Aujourd'hui, pour ce motif, ils ne sont pas éligibles aux aides auxquelles ils pourraient légitimement prétendre.

Le texte vise à corriger cette injustice : le ministre pourra, en examinant les dossiers au cas par cas, accorder le bénéfice des aides aux harkis résidant en France ou dans la Communauté européenne depuis le 10 janvier 1973 et ayant acquis la nationalité française avant le 1er janvier 1995.

L'article 5 du projet de loi concerne l'indemnisation des rapatriés d'origine européenne.

Lors de leur arrivée en métropole, les rapatriés qui ont souhaité exercer des activités non salariées ont bénéficié de prêts à la réinstallation accordés par l'Etat. Or, lorsque la loi de 1970, puis celle de 1978 leur ont octroyé une indemnisation pour compenser la perte de leurs biens abandonnés en Algérie, l'Etat a déduit d'autorité du montant de ces indemnités les remboursements dus au titre de ces emprunts.

En pratique, ces rapatriés ont donc perçu des indemnités réduites, voire pas d'indemnité du tout. Cette mesure, qui pouvait se justifier à l'époque, paraît aujourd'hui franchement inéquitable du fait des mesures d'effacement de dettes intervenues à partir de 1982.

A compter de cette date, en effet, l'Etat a accordé des allégements ou des effacements de dettes aux rapatriés en difficulté financière. Ainsi certains rapatriés ont-ils bénéficié d'un effacement intégral de leurs dettes, tandis que d'autres avaient entièrement remboursé leurs emprunts, par prélèvement automatique sur le montant de leurs indemnisations. Cette situation inéquitable a fait naître beaucoup d'amertume chez les rapatriés.

L'article 5 a pour objet de porter remède à cette situation : il prévoit que les sommes ainsi prélevées sur les indemnisations versées en 1970 et 1978 leur seront restituées. Cette mesure devrait concerner 90 000 personnes, pour un coût global estimé à 310 millions d'euros.

L'article 6, enfin, vise à indemniser, sur une base forfaitaire, les citoyens français qui se sont exilés dans les années soixante pour échapper à une condamnation en relation avec les événements d'Algérie et qui n'ont été amnistiés, pour certains, qu'en 1968. En effet, l'exil les a empêchés de cotiser à un régime de retraite et donc, d'acquérir des droits à pension pendant cette période. L'indemnisation prévue vient donc compenser le préjudice subi et devrait profiter à un nombre réduit de personnes, compris entre soixante et quatre-vingt, pour un coût évalué à 800 000 euros.

Au projet de loi initial, tel que je viens de le présenter, l'Assemblée nationale a ajouté plusieurs articles additionnels, lors de l'examen du texte en première lecture.

Dans le domaine de la mémoire, elle a souhaité associer les populations civiles victimes de la guerre d'Algérie à l'hommage rendu le 5 décembre 2002 aux combattants morts en Afrique du Nord et a décidé la création d'une fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie.

Dans le domaine de l'enseignement, l'Assemblée nationale a adopté un article tendant à reconnaître une place plus importante à l'histoire de la France d'outre-mer dans les programmes scolaires et les recherches universitaires, de manière à présenter cette histoire de manière plus équilibrée.

Pour mieux protéger l'honneur des harkis, elle a, en outre, souhaité interdire les allégations injurieuses portées à leur endroit et réprimer la négation des crimes commis à leur encontre, en violation des accords d'Evian, après le 19 mars 1962.

Concernant toujours les harkis, un amendement du Gouvernement adopté par l'Assemblée nationale a donné une base légale aux bourses spéciales accordées à leurs enfants, en complément des bourses de l'éducation nationale.

Un autre amendement, enfin, a prévu la réalisation d'un rapport, dans le délai d'un an, afin de faire le point sur la situation sociale des enfants de harkis et recenser leurs besoins en matière d'emploi, de formation et de logement.

Ces articles additionnels, même s'ils ont pour certains une portée juridique limitée et valent surtout par leur intérêt pédagogique, ont incontestablement enrichi le texte.

Etant donné l'ampleur du travail réalisé par l'Assemblée nationale, notre commission a adopté un nombre réduit d'amendements, dont plusieurs visent principalement à améliorer la qualité juridique du texte.

Mes chers collègues, même si j'ai conscience qu'aucune loi d'indemnisation ne compensera entièrement le préjudice subi par les rapatriés, je forme le voeu que l'adoption du présent projet de loi contribuera à les apaiser et à exprimer la juste reconnaissance de la nation à leur égard.

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