Intervention de Muguette Dini

Réunion du 16 décembre 2004 à 9h45
Reconnaissance de la nation en faveur des français rapatriés — Discussion d'un projet de loi

Photo de Muguette DiniMuguette Dini :

« La nation rend solennellement hommage aux combattants morts pour la France pendant la guerre d'Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie. Après le temps de la douleur, viennent celui de la réparation et de la reconnaissance, puis celui de l'apaisement et de la réconciliation. »

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ces phrases fortes témoignent d'un engagement profond et sincère dans la résolution des conséquences liées au rapatriement en France de communautés des territoires d'outre-mer. Mais elles font bien plus que la lier à la personne qui les a prononcées : elles engagent la France. Ainsi, M. le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, dans sa déclaration du 5 décembre dernier - discours tenu lors de la Journée nationale d'hommage aux morts pour la France de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie -, a-t-il tracé le chemin qui doit nous conduire vers la reconnaissance demandée, vers l'indemnisation attendue, vers la réconciliation espérée.

Le groupe de l'UC-UDF souscrit pleinement à cette prise de position, et souhaite qu'elle soit respectée.

Replaçons-nous dans le contexte historique de ces événements tragiques. Le peuple d'Algérie s'est trouvé, pendant huit ans, écartelé entre la réalité violente de ce qu'on nommait pudiquement les « événements », et la confiance qu'il accordait aux dirigeants de la France. Comment aurait-il pu, au reste, douter de la parole des responsables politiques qui affirmaient en 1954 que « l'Algérie c'est la France » et en 1958 à Alger : « La France, de Dunkerque à Tamanrasset » !

Nul n'imaginait, que, quatre ans plus tard, beaucoup de sang aurait coulé et que l'épilogue se jouerait dans la douleur et le renoncement

Des générations de femmes et d'hommes avaient choisi de construire leur avenir outre-mer, pensant ainsi contribuer au développement de ces territoires et au rayonnement de la France.

Quarante-deux ans après l'arrachement de ces communautés à leurs terres natales, les attentes, notamment dans le domaine de la mémoire et du rétablissement de la vérité historique, sont toujours d'actualité.

Les communautés rapatriées attendent, plus que jamais, un geste fort, un geste symbolique du Parlement et de l'Etat, qui ne peut trouver sa traduction que dans la réalité de la reconnaissance du drame vécu par l'ensemble des rapatriés, pieds-noirs et harkis, en particulier, de l'oeuvre que ceux-ci ont accomplie et des responsabilités qui sont à l'origine des crimes commis à leur égard.

Les accords d'Evian devaient apporter la paix ; ils apportèrent aussi la souffrance et le déchirement.

Les exactions commises au moment de l'indépendance de l'Algérie ont touché les femmes, les enfants, les vieillards, fussent-ils anciens combattants des deux grandes guerres, ainsi que les hommes qui, en Algérie, ont cru de leur devoir de porter l'uniforme et les armes de la France. Les harkis et leurs familles, plus que tout autres, ont été frappés par cette tragédie !

Le 25 septembre 2001, en parlant des massacres de 1962, le Président de la République n'a-t-il pas déclaré : « La France, en quittant le sol algérien, n'a pas su les empêcher. Elle n'a pas su sauver ses enfants. »

Ce projet de loi, dont la volonté affichée est de « parachever » les efforts de la nation envers nos compatriotes, afin d'atténuer les souffrances endurées et les sacrifices subis, n'atteindra son objectif que si les représentants du peuple vont au-delà des propositions gouvernementales.

Certes, les avancées sont importantes, mais l'on doit aller plus loin encore. Le devoir de mémoire doit être, comme l'a déclaré le Président de la République, dans le même discours du 25 septembre 2001, un « devoir de vérité et de reconnaissance » qui « est une obligation impérieuse, une dette d'honneur ».

Le Président de la République ajoute : « Notre premier devoir, c'est la vérité. Les anciens des forces supplétives, les harkis et leurs familles, ont été les victimes d'une terrible tragédie. Les massacres commis en 1962, frappant les militaires comme les civils, les femmes comme les enfants, laisseront pour toujours l'empreinte irréparable de la barbarie. Ils doivent être reconnus ».

Cette réparation doit aussi englober les conditions d'accueil des survivants et leur relégation, avec leurs familles, dans des camps pendant plusieurs années. Toujours en 2001, le Président de la République indiquait : « Les difficultés de l'accueil initial, marqué par le confinement dans des camps ou le regroupement dans des quartiers isolés, ont conduit à des situations de précarité et parfois d'extrême détresse. Les conséquences en sont encore visibles aujourd'hui. »

Le présent projet de loi, même après l'adoption d'amendements importants par l'Assemblée nationale, n'est pas de nature à satisfaire encore tout à fait les attentes essentielles des rapatriés.

Certes, des modifications positives ont été apportées au projet de loi initial.

C'est ainsi qu'il interdit et sanctionne désormais toute atteinte à l'honneur des harkis et tout révisionnisme ou négationnisme de leur histoire.

Par ailleurs, un troisième choix est possible pour l'allocation accordée aux anciens supplétifs et les indemnités en capital deviennent insaisissables.

Une fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie est créée.

Enfin, ce projet de loi nous engage dans la voie d'une meilleure prise en compte de l'histoire de la période française en Afrique du Nord, et des harkis en Algérie, dans l'enseignement et les programmes de recherche universitaire.

Toutefois, le texte qui nous a été transmis par l'Assemblée nationale se situe toujours dans la logique initiale suivie par le Gouvernement : ce n'est pas la reconnaissance complète de la responsabilité de l'Etat dans la non-protection de ses ressortissants ; ce n'est pas la totale reconnaissance du droit à réparation pour les victimes ou leurs ayants droit, ainsi que du préjudice spécifique subi par les enfants de harkis exilés et relégués, avec leurs familles, dans des camps, pendant de longues années.

Je ferai quelques remarques.

S'il est douloureux d'être coupé de ses racines, il l'est encore plus de ne pouvoir se recueillir sur la tombe de ses parents. L'Etat devrait donc aider au retour, sur le sol de France, des corps des parents des rapatriés qui le souhaitent.

Il est également difficilement concevable d'affirmer que les difficultés budgétaires actuelles de la France ne lui permettent pas de réaliser l'effort d'indemnisation de grande ampleur qui lui incombe.

En effet, malgré le contexte budgétaire, la réparation d'un préjudice ne saurait être liée aux revenus de celui qui l'a causé, sinon certaines victimes ne seraient jamais indemnisées.

En étudiant ce nouveau projet de loi sur les rapatriés, j'ai le sentiment que l'Etat français laisse au temps le soin d'effacer ses problèmes.

Est-il, en effet, concevable d'attendre que cette génération disparaisse pour enfin résoudre les questions inhérentes aux indemnisations totales des communautés rapatriées ?

Compte tenu des grandes difficultés de fonctionnement de la Commission nationale de désendettement, qui n'aura traité qu'une cinquantaine de cas en cinq ans, il apparaît indispensable de simplifier les textes existants, notamment le décret du 4 juin 1999, régissant son fonctionnement.

Je souhaite également que nous portions un regard particulier aux pupilles de la nation dont les parents ont été tués du fait de la guerre.

Ces derniers, en effet, se trouvent exclus du bénéfice des lois de réinstallation, notamment de celle du 30 décembre 1986, qui efface aux rapatriés leurs prêts de réinstallation au motif que leurs parents, décédés lors des événements, ne font pas partie de la catégorie des rapatriés. A ma connaissance, le nombre de pupilles concernés par cette mesure n'excéderait pas une trentaine de cas.

Il me semble primordial, d'un point de vue moral, de réparer cette injustice en leur accordant aujourd'hui ces mêmes droits.

Cet avis, je le sais, est partagé. Vous-même, monsieur le président, vous avez, dès 1992, reconnu le bien-fondé d'une telle mesure lors d'une intervention auprès du secrétaire d'Etat aux anciens combattants de l'époque, le 17 novembre 1992.

Enfin, je souhaite attirer votre attention sur la longue liste des personnes disparues en Algérie depuis 1962. Plus de 3 000 noms y figurent pour cette seule année, à comparer aux 1 500 personnes disparues sous le régime du général Pinochet, au Chili.

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