Intervention de Guy Fischer

Réunion du 16 décembre 2004 à 9h45
Reconnaissance de la nation en faveur des français rapatriés — Discussion d'un projet de loi

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc réunis pour examiner le projet de loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.

Au Sénat, le 17 décembre dernier, nous avions un débat sur les rapatriés. Une certaine concorde régnait alors au sein de nos assemblées. Nous étions unanimes, non sur le fait qu'il s'agissait d'une guerre coloniale, bien sûr, mais sur ce que la nation doit aux rapatriés et aux harkis et sur le fait que la France a mis beaucoup de temps à reconnaître les préjudices qu'ils ont subis.

Pour ma part, je soutenais que toutes ces victimes avaient besoin de reconnaissance, de réparation et d'une mémoire réhabilitée. J'appelais - et j'appelle toujours - de mes voeux une indemnisation matérielle et morale légitime qui soit de nature à estomper les traumatismes. C'est pourquoi nous voterons les articles améliorant les conditions d'indemnisation et d'intégration. Il faut en effet mettre fin à toutes les stigmatisations, notamment celles des harkis.

Ainsi, mon groupe et moi-même souhaitons que la France reconnaisse sa responsabilité pleine et entière dans le drame vécu par les populations algériennes, par les harkis et leur famille, entraînés dans une guerre fratricide, abandonnés, les survivants étant recueillis en France dans des conditions désolantes.

L'Assemblée nationale a été saisie, en juin dernier, de ce projet de loi dit de « reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ». Il était permis d'en attendre un progrès significatif. En effet, les précédentes lois d'indemnisation avaient parfois créé des situations d'injustice entre rapatriés et laissé certains points dans l'oubli. Mon collègue François Liberti a fondé son intervention sur les mêmes attendus que les miens aujourd'hui.

Pour nous, en effet, ce sont les petites gens qui ont eu le plus à souffrir et qui ont été le moins bien indemnisés. Il conviendrait donc de parfaire la reconnaissance à laquelle ils ont droit, de réparer, une fois pour toutes, le préjudice moral et financier qu'ils ont subi. Oui, les pieds-noirs et les harkis ont vécu le drame du déracinement, de la terreur, du rejet de ce qu'ils étaient.

Cette dramatique époque de notre histoire ne peut s'apaiser sans que notre gouvernement et le gouvernement algérien n'acceptent de faire oeuvre de mémoire collective, retrouvée et réhabilitée.

Aujourd'hui, le texte qui nous est proposé est fort décevant par de nombreux aspects. Il n'aborde la question de l'indemnisation que par le biais de dispositions en faveur des bénéficiaires des trois précédentes lois, auxquels on a retenu les annuités d'emprunts de réinstallation. Les principales revendications des associations de rapatriés, telles que l'application d'un coefficient correcteur aux sommes antérieurement liquidées, ne sont pas abordées dans ce texte, qui ne va pas aussi loin que ces associations le souhaitaient.

Il ne constitue donc pas une ultime étape d'indemnisation et nous le regrettons profondément. Ce ne sont pas les modifications marginales proposées par notre rapporteur, M. Alain Gournac, qui modifieront cette situation : sur 1 milliard d'euros, 660 millions d'euros sont consacrés aux harkis.

Les amendements adoptés par l'Assemblée nationale ont, pour le moins, transformé ce texte dans un sens auquel je ne puis souscrire. Je respecte les idées de chacun, mais ce drame, d'un point de vue politique, a été source de division. Je vous ferai part de notre point de vue.

Je veux parler, notamment, de l'article 1er bis, qui tend à associer « les populations civiles de toutes confessions (...) à l'hommage pour les combattants morts pour la France en Afrique du nord », hommage rendu le 5 décembre.

Permettez-moi de revenir sur le choix de cette date, dénuée à mon sens de toute valeur historique, que j'ai à plusieurs reprises contestée du haut de cette tribune. Je ne comprends pas que l'on ajoute l'amalgame à la fausseté, en mêlant les combattants et les populations victimes, la reconnaissance de la nation et les exactions, accentuant de ce fait le caractère « fourre-tout » de cette commémoration et en éliminant au passage la mémoire de la guerre d'Algérie.

Par ailleurs, il nous revient un article 1er quater, qui impose d'intégrer l'histoire de la présence française en outre-mer dans les programmes scolaires, ainsi que dans les programmes de recherche universitaire. J'avoue avoir été profondément choqué par l'emploi des termes néocolonialistes et révisionnistes à l'Assemblée nationale, qui a adopté cet article inacceptable. Je fais allusion au débat, légitime, qui a eu lieu entre les parlementaires de différentes tendances, chacun faisant vivre sa vérité historique, comme je fais vivre la mienne.

Le comble, enfin, réside dans l'article 6, qui permet de procéder à l'indemnisation des personnes qui ont dû cesser leur activité professionnelle à la suite de condamnations liées aux événements d'Algérie ! Il ne s'agit rien moins que de finir de réhabiliter des activistes d'extrême droite, des tortionnaires, qui avaient fui à l'étranger avant d'être amnistiés ! Voir cela après m'être battu pour la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie, je me crois revenu quarante ans en arrière. Je considère que c'est indigne de notre nation !

Ainsi, ce texte, qui aurait dû être une dernière loi d'indemnisation de victimes de guerre - c'était déjà l'objet de la loi défendue en son temps par M. Romani, mais qui n'a pas atteint son objectif final - est devenu un cheval de Troie banalisant les guerres coloniales, un hymne à la présence prétendument civilisatrice de la France en Afrique.

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