Intervention de Bernard Seillier

Réunion du 16 décembre 2004 à 9h45
Reconnaissance de la nation en faveur des français rapatriés — Discussion d'un projet de loi

Photo de Bernard SeillierBernard Seillier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer un projet de loi qui, pour la première fois, s'adresse aussi bien aux rapatriés d'origine européenne qu'aux harkis. Il vise, par la correction des lois antérieures, à leur manifester notre reconnaissance et à amplifier l'effort de solidarité vis-à-vis des harkis.

La communauté nationale n'a pas reconnu à leur juste valeur tous les sacrifices endurés par les harkis, notamment après la signature des accords d'Evian. Les massacres, les actes de torture qui furent alors commis à l'encontre de ces hommes qui avaient servi la France et de leurs familles furent d'une ampleur et d'une cruauté inimaginables. Entre 50 000 et 100 000 personnes y perdirent la vie.

Ces abominations, dont le grand public a pris connaissance assez récemment, auraient sans doute pu être évitées si les pouvoirs publics de l'époque s'en étaient donné les moyens et si certains responsables politiques avaient fait preuve de plus de courage. C'est pourquoi, si la République est aujourd'hui redevable envers les harkis, quoi qu'elle fasse, rien, aucune somme d'argent, aucune aide, aucun mémorial ne sera en mesure de répondre à la douleur engendrée par de tels actes.

Et que dire de celles et de ceux qui, ayant eu la chance d'échapper à ces crimes, se retrouvèrent dans des camps de fortune, parfois pour plusieurs décennies ? Eux-mêmes et leur descendance connurent, une fois arrivés en métropole, discrimination, chômage, précarité, exclusion et eurent souvent le sentiment d'être abandonnés de tous, comme si leur calvaire n'avait pas été déjà suffisamment long. J'ai moi-même pris conscience de ce drame, il y a plus de quarante ans, lorsqu'ils ont été accueillis en Aveyron, sur le camp militaire du Larzac.

Les harkis sont très vite apparus comme des témoins gênants des deux côtés de la Méditerranée. En Algérie, reconnaître l'histoire des peuples supplétifs musulmans conduirait à briser le mythe fondateur du peuple uni contre la colonisation ; en France, le sort fait aux harkis provoque un profond malaise.

C'est leur situation que je souhaite surtout évoquer, et je saisis cette occasion pour dire à Abdelkrim Klesh et à ses amis, qui, depuis le début du mois d'octobre, se relaient nuit et jour devant le Sénat, que la France s'attache à faire en sorte que les blessures des harkis apparaissent enfin au grand jour comme une vérité s'imposant à tous, pour qu'ils retrouvent ainsi leur honneur et leur dignité.

Les gouvernements successifs ont engagé différents processus de réparation qui, encore une fois, ne sont pas à la hauteur des souffrances endurées par ces milliers d'hommes, de femmes et d'enfants.

Pour la première fois en 1987, le gouvernement français a mis en place un régime d'indemnisation pour les harkis. D'autres textes ont suivi en 1994 et en 2002.

Ainsi, la loi de 1994 a mis en place trois aides au logement destinées aux harkis : une aide à l'acquisition de la résidence principale, une aide à l'amélioration de la résidence principale et une aide à la résorption du surendettement résultant d'une opération d'accession à la propriété. Elle a enfin octroyé une aide spécifique aux veuves. La même année était instaurée une journée nationale d'hommage aux harkis, fixée au 25 septembre.

La loi de finances rectificative pour 1999 a créé une rente viagère versée aux harkis et à leurs veuves.

La loi de 2002 a transformé la rente en allocation de reconnaissance, a supprimé la condition de ressources et a indexé l'allocation sur le coût de la vie. Enfin, des mesures ont été prises en faveur des enfants de harkis, sous forme de bourses scolaires, d'aides à la formation professionnelle et d'aides à la création d'entreprise.

Le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui vise à renforcer ce dispositif en revalorisant l'allocation de reconnaissance instituée à leur profit. Il offre à ceux qui le souhaitent la possibilité d'opter pour le versement d'un capital ou de combiner les deux. Il proroge les mesures spécifiques en faveur du toit familial et étend le bénéfice de ces mesures aux harkis n'ayant pas acquis la nationalité française avant le 10 janvier 1973.

Le texte prévoit également que les aides au logement puissent être versées aux enfants des harkis qui hébergent leurs parents.

Enfin, le Gouvernement, qui entend aussi poursuivre l'effort en matière de formation et d'emploi, souhaite faire inscrire dans la loi l'existence des bourses complémentaires.

Mais la reconnaissance envers les harkis ne relève pas simplement de mesures financières : elle passe aussi par un travail de mémoire. Un mémorial de la France d'outre-mer est en cours de réalisation à Marseille : ce sera un haut lieu du souvenir, mais aussi un centre national de recherche, d'échange, de diffusion et de promotion, en liaison avec l'université. La proposition de créer une fondation publique dont l'objet sera de retracer les événements d'Afrique du Nord et de transmettre l'héritage dont sont porteurs les rapatriés me semble être une excellente idée.

Il faut souligner que de nombreux rapatriés souffrent des allégations de certains médias portant sur cette période. Un effort doit être fait concernant l'information relative à tout ce qu'ils ont apporté à ces anciennes colonies. Le temps est en effet venu de porter un regard apaisé sur cette page de l'histoire, de reconnaître la qualité des efforts de tous ceux qui, dans la sphère publique ou dans la sphère privée, ont oeuvré avec générosité et avec le sens authentique du bien commun sur la terre d'Afrique du Nord.

Enfin, la réconciliation entre la France et l'Algérie ne sera vraiment scellée que lorsque les harkis, leurs enfants et leurs petits-enfants pourront revenir librement sur la terre de leurs ancêtres pour y séjourner, y vivre ou y mourir.

L'enjeu est considérable, car il influencera de manière importante l'autre page de l'histoire commune qui commence à s'écrire dans le cadre du Bassin méditerranéen et dans laquelle la France et les pays du Maghreb ont un rôle irremplaçable à jouer.

L'année 2004, à laquelle le Premier ministre a voulu attacher la grande cause de la fraternité, doit comporter des gestes significatifs tels que celui qui est proposé dans ce projet de loi. Qui mieux que vous, monsieur le ministre, pouvait nous guider sur cette voie ? §

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