Intervention de Marie-Thérèse Hermange

Réunion du 16 décembre 2004 à 9h45
Reconnaissance de la nation en faveur des français rapatriés — Discussion d'un projet de loi

Photo de Marie-Thérèse HermangeMarie-Thérèse Hermange :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de novembre 1954 à juillet 1962, d'Alger à Oran, en passant par les Aurès, Blida, Orléansville, Bougy, Philippeville, au pays de la lumière triomphante et de la perfection d'un ciel bleu semblant lavé de toute équivoque, les contrastes d'ombre et de clarté ont pourtant constitué pour tout un chacun, quel que soit le lieu où les Français vivaient, des zones de clair-obscur douloureuses et blessantes.

Les plus émouvantes, sans aucun doute, sont symbolisées par les dates hautement symboliques de la fusillade du 26 mars 1962 à Alger et de celle du 3 juillet 1962 à Oran.

Oui, mes chers collègues, l'histoire des rapatriés est indissolublement liée au jour de leur départ, tant il est vrai qu'ils auront beau oublier la guerre, les peurs, leurs biens envolés, jamais ils n'oublieront ce jour où, munis de leurs papiers d'identité et de quelques bagages, parfois des bébés dans les bras, ils prirent la route du port pour quitter leur terre natale en direction de Port-Vendres ou de Marseille.

La Méditerranée était devant eux. C'est elle qui allait les emmener loin de leur terre natale. Des hommes et des femmes pleuraient, des enfants ne comprenaient pas pourquoi leurs parents sanglotaient ; ils croyaient qu'ils partaient en vacances, comme chaque année, vers la métropole. Du bateau, l'Algérie commençait à disparaître, à s'en aller comme dans les rêves. Elle se séparait d'eux. Elle n'était plus qu'un point, mais un point fixe, un point obsessionnellement fixe.

Aujourd'hui, monsieur le ministre, vous proposez à notre Haute Assemblée un texte qui porte reconnaissance de la nation. Ce texte vise deux objectifs.

En premier lieu, il tend à offrir définitivement une compensation matérielle pour corriger les situations inéquitables nées de la succession des différentes lois d'indemnisation en faveur des rapatriés et pour prolonger l'effort de solidarité envers les soldats de la France que sont les harkis.

S'agissant d'abord des harkis, le texte prévoit la revalorisation de l'allocation de reconnaissance, une politique du logement plus solidaire, enfin l'interdiction, comme l'a suggéré l'Assemblée nationale, de porter des allégations injurieuses à leur encontre.

Concernant ensuite les rapatriés, le projet de loi prévoit la restitution des sommes prélevées sur les indemnisations versées dans les années soixante-dix au titre des remboursements des prêts de réinstallation. Mes chers collègues, l'effort financier est important, il faut le dire, puisqu'il mobilise, comme l'a rappelé M. le rapporteur, 1 milliard d'euros.

En second lieu, vous visez, monsieur le ministre, un objectif moral, puisque l'article 1er institue pour la première fois la reconnaissance de la nation envers les hommes et les femmes qui ont participé à l'oeuvre accomplie par la France outre-mer, la reconnaissance aussi des souffrances éprouvées. Et comme pour retenir mais aussi réconcilier les parois des mémoires et des coeurs encore à vif, vous nous proposez une fondation.

Monsieur le ministre, avec cette fondation, la question de la représentation de la guerre se fait essentielle. Vous le savez, la désignation même du conflit entre Paris et Alger souligne les asymétries de la mémoire, ce que chacun porte par ses représentations mêmes. Ainsi l'événement que la France tente de classer dans son histoire comme la « guerre d'Algérie » est célébrée comme la « guerre d'indépendance » de l'autre côté de la Méditerranée.

Stephan Zweig dans un merveilleux livre Conscience contre violence nous prévient : « L'Histoire n'a pas toujours le temps d'être juste. Pour elle, seuls comptent les succès. Elle ne s'intéresse qu'aux vainqueurs et laisse les vaincus dans l'ombre. Mais en réalité, même vaincus, les pionniers ont rempli leur mission. »

Pionniers, ils ont été nombreux à construire des routes, des ponts, des stations de pompage ou encore à électrifier le pays, tous équipements aujourd'hui indispensables à l'Algérie.

Pionniers, ils le furent aussi - comme le rappelait tout à l'heure Josselin de Rohan -, ces soldats français venus combattre sur le sol d'Algérie, tel André Segura, par exemple. Né pour la gloire, il mourut en soldat inconnu. Sur le champ de bataille, recevant une photo de famille, il eut ce mot aussi beau qu'un sanglot proustien : « Je me demande si je manque à ce groupe si bien fait ». La réponse est contenue dans la publication de cette correspondance établie par ce groupe, qui ne se résout pas à son absence ; c'est bouleversant !

Aussi, monsieur le ministre, il convient que cette fondation cherche un entre-deux dépassionné et exigeant, où le travail de l'histoire -celui de l'historien comme celui du simple citoyen qui apportera, je l'espère, sa contribution - s'inscrive dans une logique non de repentance, mais de connaissance.

Jacques Chirac le rappelait avec émotion en septembre 2001, à l'occasion de la première journée d'hommage national aux harkis : « Notre premier devoir, c'est la vérité. (...) La France, en quittant le sol algérien, (...) n'a pas su sauver ses enfants. » Il précisait : « Le temps a commencé son oeuvre (...) il nous permet aujourd'hui de porter un regard de vérité sur les déchirements et les horreurs qui ont accompagné ce conflit (...) Le travail de deuil, indispensable, ne doit en aucun cas être synonyme d'oubli. »

Le 5 décembre 2002, dans le même esprit, le Président de la République inaugurait un monument dédié aux soldats français morts en Algérie alors que, le 5 décembre 2003, a été instituée la première journée nationale d'hommage aux morts pour la France.

Reste à reconnaître, monsieur le ministre, le trou noir des événements d'Oran de 1962 ; c'est très important pour les Européens. Sans aucun doute, nous n'avons pas assez prêté attention, en temps voulu, à la souffrance liée à l'arrachement et à la perte de l'Algérie. Cette reconnaissance effectuée, peut-être pouvons-nous espérer, demain, décloisonner les mémoires. Ce texte y contribue, et nous devons en remercier grandement le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.

A cet égard, et même si aujourd'hui, vous l'avez compris, la politique de confrontation n'est pas d'actualité tant l'apaisement des coeurs est une nécessité, permettez-moi de rendre hommage à tous ces gouvernements de droite - aucun d'entre eux ne s'est exprimé comme Gaston Defferre qui parlait de remettre les rapatriés à la mer

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