Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous dire combien je me réjouis de vous présenter ce projet de loi organique. Votre présence en nombre me laisse à penser que ce sujet vous mobilise, et je m'en félicite.
Je voudrais, avant d'entrer dans le vif du sujet, rendre un hommage tout particulier à ceux de mes prédécesseurs qui ont fait, sur ce sujet, un travail remarquable.
J'ai une pensée particulière pour Alain Lambert, qui a pris une large part à la préparation de la loi organique, comme pour Dominique Bussereau. Sans Alain Lambert, beaucoup de choses n'auraient pas été possibles dans ce domaine et je tiens, très amicalement, à lui rendre hommage.
Cette réforme, que nous allons mettre en oeuvre à compter de l'année prochaine, porte en elle certains éléments quelque peu révolutionnaires.
Cela est vrai sur le plan budgétaire, bien sûr, puisque, désormais, l'examen du budget de la France est totalement repensé.
C'est également une révolution sur le plan politique, parce que les droits du Parlement sortent considérablement renforcés de cette réforme.
C'est aussi une révolution culturelle, parce qu'on emploie des mots un peu nouveaux comme « l'évaluation », « la performance », « l'efficacité », « l'obligation de résultats », autant de notions qui vont certainement modifier en profondeur la manière de gérer notre pays.
Cette réforme est le produit d'un double accord : accord entre le Parlement et le Gouvernement et accord entre la majorité et l'opposition. C'est donc l'unanimité qui nous réunit, ce qui n'est pas si fréquent.
C'est pourquoi je veux également rendre hommage à quelqu'un qui, dans l'opposition, a joué un rôle important aux côtés de personnalités de la majorité, le député Didier Migaud. Je n'oublie pas que l'exécutif de chacune des commissions des finances des deux assemblées a été successivement porteur de cette réforme. Vous comprendrez donc qu'à ce stade je rende naturellement hommage à Jean Arthuis et à Philippe Marini.
L'année 2005 va être une année historique pour nos finances publiques.
Avec l'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, je mesure pleinement la chance que nous avons, avec Hervé Gaymard, de piloter les finances publiques de notre pays au moment où la France va connaître une modernisation sans précédent. Si nous héritons du travail accompli sur le papier, du point de vue de la mise en oeuvre pratique, tout reste à faire.
Cette loi organique, c'était un peu au départ « tout ce que l'on aurait toujours rêvé de faire en matière de budget sans jamais oser l'imaginer ». Ce rêve prend corps aujourd'hui, avec un objectif : passer, comme l'a souligné Jean Arthuis dans son rapport, d'une logique de moyens - un bon budget est un budget qui augmente - à une logique de résultats - un bon budget est celui qui permet d'atteindre, au meilleur coût, des objectifs préalablement définis.
C'est donc un renouveau dans la gestion publique. Le changement est grand puisque, désormais, au lieu de reconduire les dépenses à l'identique, à 5 % près, on inverse la logique : chaque dépense sera discutée dès le premier euro avec l'obsession de s'assurer de la bonne utilisation de l'argent des contribuables.
C'est aussi un renouveau du débat démocratique parce que le Parlement va bénéficier de moyens d'information et de contrôle totalement repensés. De ce point de vue, nous bâtirons ensemble, en 2005, un budget pour 2006 qui sera totalement rénové et j'entends m'appuyer largement sur le Parlement, opposition comme majorité, dans cette tâche.
Le présent projet de loi organique est un complément au gigantesque travail qui a été accompli. Il nous a en effet paru important d'ajouter quelques éléments.
Ce projet de loi répond à trois objectifs.
Le premier, c'était d'abord d'éviter de répéter les erreurs du passé.
Ce texte s'inscrit dans un contexte bien précis, celui d'un pays qui a pris depuis longtemps l'habitude de vivre au-dessus de ses moyens. Aujourd'hui, nous accumulons 1 000 milliards d'euros de dettes. En vingt ans, la part de la dette rapportée au PIB a triplé : en 1981, la dette publique s'élevait à 22 % ; en 2004, elle atteint 65 %, ce qui est proprement délirant dans une démocratie moderne.
Face à ce constat, l'impératif incontournable pour nous, c'est la gestion sérieuse et rigoureuse de nos finances publiques. Je m'adresse ici à des gens qui en sont tous convaincus, je le sais. Néanmoins, nous devons avoir à l'esprit quelques exemples, quelques ordres de grandeur.
Ainsi, s'agissant de cette fameuse « cagnotte » qui avait défrayé la chronique en 1999, je ferai remarquer que, sur plus de 7 milliards d'euros de plus-values de recettes cette année-là, moins de la moitié avait été affectée à la réduction du déficit public. Le reste avait servi à de nouvelles dépenses, le tout s'étant fait dans l'opacité la plus complète.
Sur la période 1998-2001, malgré 70 milliards d'euros de plus-values de recettes, le déficit n'a été réduit que de 10 milliards d'euros ! Autant dire que, dans une période de forte croissance économique, nous avons dilapidé une bonne partie des fruits de cette croissance.
L'objectif est désormais d'éviter que, en toute opacité, on puisse continuer à prendre de telles mesures. Désormais, sera définie, dans la loi de finances, la règle de comportement au cas où apparaîtraient des plus-values fiscales et le Gouvernement rendra compte au Parlement, au titre de l'exécution de la loi de finances, de la gestion de ces éventuelles recettes.
Le deuxième objectif de ce projet de loi organique est le renforcement des droits du Parlement.
Cela passe à la fois par une meilleure information des parlementaires sur la question des emplois rémunérés par les organismes publics et par un renforcement des droits de l'opposition, qui était très attendu.
Je sais que vous avez, sur ce sujet des droits du Parlement, déposé un certain nombre d'amendements, que nous examinerons tout à l'heure avec une très grande attention. Je pense, par exemple, à l'heureuse proposition du président Jean Arthuis sur les partenariats public-privé, visant à éviter que les engagements financiers de l'Etat, au titre de ces contrats de long terme, n'échappent à la comptabilité publique et donc à votre contrôle. Il y a, en ce domaine, des avancées significatives à étudier.
Enfin, troisième et dernier objectif : il faut se donner les moyens de mieux maîtriser la dépense publique.
J'ai eu l'occasion de rappeler à plusieurs reprises, notamment mardi après-midi lors des explications de vote sur le projet de loi de finances, que mon obsession était de tenir la dépense publique ; le contraire vous eût d'ailleurs probablement étonné !
A cet égard, notre objectif implique un changement de méthode.
En effet, sur le plan pratique, on sait bien comment les choses se passent tous les ans. Tout le monde s'étripe au cours d'innombrables réunions d'arbitrage en faisant valoir que son secteur est beaucoup plus sensible que celui de son voisin. Quand on a un gros budget, on dit généralement qu'il est absolument prioritaire et, quand on en a un petit, on argue de cette petitesse pour dire qu'il ne gênera personne, moyennant quoi les discussions sont toujours extrêmement vives et stériles parce qu'elles ne s'appliquent qu'à des sommes tout à fait ridicules.
En réalité, tout cela se fait dans l'opacité. Car, en début d'année, la plupart du temps, tout est faussé par les annonces de mises en réserve de crédits, voire, comme c'était le cas sous les gouvernements précédents, au mois de septembre, par le gel brutal de crédits, ce qui est évidemment la pire des choses, puisque dans 90 % des cas ces gels conduisent à des annulations.
De telles procédures n'étaient vraiment pas satisfaisantes. Nous avions donc commencé, sur l'initiative de M. Alain Lambert, à faire évoluer les choses, en proposant que soient constituées des réserves de précaution et d'innovation dès le début de l'année afin de pouvoir répondre aux besoins nouveaux qui apparaîtraient en cours d'année.
Cette réserve de précaution a été, à l'époque, mise en place de manière expérimentale, un peu empirique. J'ai décidé de déposer un amendement à l'Assemblée nationale lorsque ce texte sera examiné en seconde lecture pour codifier, en quelque sorte, la méthode utilisée par Alain Lambert.
L'idée est de mettre en réserve de manière systématique, au sein de chaque programme, une part des crédits. Cette réserve constituerait une sorte de « tranche conditionnelle », qui s'ajouterait au reste des crédits qui, eux, seraient « une tranche ferme ».
Par ailleurs, cette mise en réserve s'appliquerait selon un taux fixé par la loi de finances. Le Gouvernement invitera donc chaque année le Parlement à se prononcer sur ce taux de mise en réserve.
Enfin, les crédits mis en réserve pourraient être mobilisés facilement pour faire face aux aléas et aux besoins nouveaux qui pourraient apparaître au cours de l'année.
L'idée, vous l'avez compris, est d'instaurer une procédure qui soit à la fois plus efficace, plus responsable et plus transparente.
Elle sera plus efficace puisque l'on va s'épargner toute cette phase interministérielle de concertation et d'arbitrage.
Elle sera plus responsable parce que tous les ministères disposeront, dès le premier jour de l'année, d'une totale visibilité sur les crédits disponibles. Ils pourront d'ailleurs décider eux-mêmes quels crédits ils souhaitent mettre en réserve au sein de leurs programmes.
Enfin, cette procédure sera plus transparente puisque le Parlement sera pleinement associé à cette démarche de précaution.
Il s'agit là d'une amélioration substantielle du dispositif initial, et, par là même, nous améliorons considérablement la sincérité du budget.
Je suis, comme tout le monde, très attentif au terme d'« insincérité ». C'est d'ailleurs un débat récurrent : chaque année, l'opposition, quelle qu'elle soit, reproche au Gouvernement, quel qu'il soit, de présenter un budget insincère. Il me semble donc que, de ce point de vue, la création de ce dispositif de mise en réserve automatique, avec des taux votés au préalable par le Parlement, fera incontestablement progresser le terme de « sincérité » du budget.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les remarques que je souhaitais formuler ce soir en vous présentant ce projet de loi organique.
Vous le constatez, la route est encore un peu longue jusqu'à l'adoption définitive. Ce n'est qu'à l'issue de la deuxième lecture que nous disposerons d'un texte tout à fait finalisé et prêt à l'emploi, pour que 2005 soit une année historique au regard de la modernisation de nos finances publiques, de la gestion de notre pays. Nos concitoyens pourront ainsi prendre la mesure du travail considérable qui est accompli par leurs dirigeants, dans la majorité comme dans l'opposition, afin que, désormais, chaque dépense soit évaluée à l'euro près et qu'elle trouve sa pleine efficacité au service de l'intérêt général.