L'enseignement, l'éducation sont vraiment des défis de notre temps. Quand les têtes s'emplissent de divertissements « décervelants », quand la culture marchande de loisirs mondialisés ne propose que de la consommation déshumanisante, le devoir impérieux du service public de l'enseignement est de renforcer sa politique en matière de formation de l'imaginaire, de la sensibilité et de l'esprit critique.
Une société qui abandonne les principes d'élévation de l'individu se condamne elle-même, tout comme une démocratie qui renonce à ce que chaque homme et chaque femme demeurent des citoyens debout.
Au-delà du système éducatif, la réforme que vous conduisez aura des répercussions profondes sur l'ensemble de la société. On ne brade pas impunément l'héritage du siècle des Lumières. L'éducation comme la culture sont porteuses d'émancipation personnelle et collective. Comme l'a si bien dit Condorcet, « il n'y a pas de liberté pour l'ignorant ».
Alors que l'on assiste à un retour en force de l'obscurantisme, les jeunes n'ont jamais eu autant besoin du pluralisme des savoirs humanistes pour apprendre à penser par eux-mêmes. Votre projet de loi revient à mettre notre éducation nationale sous le régime du service minimum : après le RMI et les minima sociaux, voici l'école minimum !
Votre projet épouse comme un gant le dogme libéral qui entraîne un nombre croissant d'hommes et de femmes à l'écart de l'échange social mais aussi de l'échange symbolique sans lesquels la vie n'est pas la vie. Or le droit et le respect ne se divisent pas. Comme vous le savez, le monde du peu se satisfait finalement de la démocratie du petit : un tout petit peu de sous, un tout petit peu de savoir, un tout petit peu de bonheur, un tout petit peu d'école, bref, un RMI de vie !
Vous voulez nous faire croire qu'il y aurait trop de matières enseignées. C'est faux, et les lycéens ne s'y trompent pas. Ils ont envie d'avoir le choix : des maths, du sport, du français, des langues vivantes, du théâtre avec des artistes, de l'histoire et de la géographie, de la philosophie, des sciences. Ils sont bien placés pour savoir ce qui ne va pas dans leur établissement. Et ce qu'ils revendiquent, à juste titre, ce n'est pas moins d'offre des savoirs, c'est plus de moyens, plus de profs - et des profs mieux formés -, plus de surveillants, des classes à petit effectif. Ils ne demandent que les conditions de la réussite pour tous et l'égalité des chances. Et parce qu'ils ne veulent pas d'une vie au rabais, ils ne veulent pas d'une éducation bas de gamme !
Comment demeurer une nation à la pointe du progrès et de l'innovation si on ne permet pas aux futures Marie Curie de devenir Marie Curie, aux futurs Mozart de devenir Mozart ? Chacun a droit à sa piste d'envol.
Puisque la France s'enorgueillit, à bon droit, de défendre la diversité culturelle, comment peut-elle être crédible si l'école ne promeut plus la jubilatoire diversité des connaissances pour tous ? Notre jeunesse souhaite se nourrir du présent et de la création d'aujourd'hui, mais aussi de l'assimilation critique de l'héritage du passé. A nous de leur donner « des racines et des ailes » afin, en quelque sorte, de se souvenir de l'avenir.
Au sein de l'école, la place de la mémoire, de l'histoire, de la culture, mais aussi de l'art et des artistes aux côtés des professeurs, est vitale. Non seulement l'approche d'une discipline artistique permet à certains élèves de surmonter de graves difficultés, mais elle permet à tous de développer sa part d'humanité. L'éducation artistique autorise chacun à devenir acteur de sa propre vie, à grandir et à se grandir.
Les arts à l'école, c'est aussi une formidable façon de diversifier les méthodes de transmission et les formes d'apprentissage. En raison de leurs spécificités, les disciplines et pratiques artistiques édifient des ponts entre les différents savoirs et éclairent ainsi toute l'intelligence des multiples enseignements dispensés. Redonner toute sa place à l'art et à la culture pendant toute la vie scolaire est fondamental. En effet, l'article et la culture agissent sur le réel, sur la relation à autrui, et renouvellent le rapport social en construisant les raisons du « vivre ensemble ». Contre la standardisation et le formatage, l'art et la culture valorisent la singularité tout en éclairant les valeurs universelles.
Le général de Gaulle, accompagné d'André Malraux, déclarait, lors de l'inauguration de la maison de la culture de Bourges : « La culture n'est pas qu'un refuge et une consolation, c'est la condition même de notre civilisation ! » C'est toujours vrai !
Au-delà de la notion de socle commun, votre projet de loi révèle votre vision utilitariste de l'école. En cela il se distingue de l'ensemble des réformes qu'a connu notre système éducatif. Il évacue toute référence au bonheur, qui demeure pourtant une idée neuve en Europe, et dont l'éducation nationale devrait être porteuse. Une fois encore, entendons les lycéens qui revendiquent le bonheur d'apprendre, le plaisir d'étudier et le droit à s'épanouir à l'école.
Monsieur le ministre, le vieux révolutionnaire que je suis rêve toujours de pain et de roses et ne peut cautionner un tel projet de loi, qui sonne le glas d'une conception de l'école fraternelle et émancipatrice pour tous.
Ce texte ne propose qu'une vision étroite de l'école. De ce point de vue, il est intéressant de constater qu'il n'intègre pas la question de l'enseignement supérieur, qui constitue pourtant l'ultime maillon de notre système éducatif. On ne peut penser l'offre éducative des lycées sans prendre en considération les débouchés offerts par les universités : BTS, IUT ou classes préparatoires.
De même, si votre projet fixe à l'école l'objectif de mener 50 % d'une classe d'âge à un diplôme de l'enseignement supérieur, aucun article ne traite des conditions de réussite dans le supérieur ou du passage du lycée à l'université, en particulier pour les enfants des milieux populaires. Il aurait été pourtant plus que souhaitable que la loi prévoie des dispositions permettant à tous les élèves d'accéder réellement aux études supérieures.
Vous ne traitez pas non plus véritablement de la formation et du déroulement de carrière des enseignants. Ainsi ne trouve-t-on dans votre projet aucune mesure significative pour améliorer l'attractivité de ce métier, alors que l'éducation nationale connaît un important mouvement de renouvellement des générations. N'y figure aucune disposition concernant le temps réel de formation des enseignants, alors que les directeurs d'IUFM recommandaient vivement l'allongement de la formation professionnelle sur deux ans, chaque enseignant devant alterner pratique sur le terrain et apprentissage théorique, acquérir des savoirs disciplinaires et des compétences pédagogiques.
Face à la diversité des élèves et des conditions d'enseignement, la formation des professeurs demeure l'une des clés pour parvenir à une école de la réussite pour tous.
Votre projet manque aussi de lisibilité sur la question de l'intégration des IUFM aux universités. On peut se demander si le caractère national de la formation des enseignants, peu compatible avec la « culture d'autonomie » des universités, sera garanti. Dès lors que chaque IUFM sera rattaché à un unique établissement universitaire, on ignore qui prendra en compte et soutiendra une formation ne s'inscrivant pas nécessairement dans le champ des spécialités de l'université d'intégration.
Par ailleurs, la question des moyens et du niveau d'autonomie dont disposeront ces instituts demeure sans réponse.
Monsieur le ministre, nous vous invitons à revoir votre projet de loi, conçu à la hâte et par trop réducteur. L'école est un enjeu bien trop important pour faire l'objet d'une querelle partisane et il n'y aura jamais trop de sentinelles sur la ligne de front de l'obscurantisme.
Plus que jamais, nous avons besoin d'un projet éducatif global, allant de la maternelle à l'université, promouvant les valeurs humanistes de la République. Il est grand temps de redonner corps aux principes de liberté, d'égalité et de fraternité inscrits au fronton de nos écoles. Pour ce faire, sachons retrouver les ambitions qui motivèrent de nombreuses réformes : favoriser l'accès de chaque enfant aux savoirs, à tous les savoirs, et élever le niveau de qualification de chaque élève.
Investir dans notre éducation, c'est assurer l'avenir de la nation et participer au progrès en Europe ; c'est aussi permettre l'émancipation de tous les individus. A contrario, vouloir limiter les objectifs de l'école et instaurer un « minimum culturel » compromet gravement les capacités de notre pays à se maintenir au rang des grandes nations de ce monde.
C'est pour toutes ces raisons, mes chers collègues, que nous soumettons à votre suffrage cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.