Monsieur le président, madame la ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, mes chers collègues, au-delà de sa mission constitutionnelle d’assurer la représentation des collectivités territoriales de la République, le Sénat s’est toujours particulièrement investi dans la défense des libertés.
Il n’est donc pas étonnant qu’il ait marqué une attention constante à la situation des établissements pénitentiaires et aux conditions de détention dans notre pays. Comment ne pas rappeler une fois encore le rapport issu de la commission d’enquête présidée par Jean-Jacques Hyest, Prisons : une humiliation pour la République, qui, tout en reconnaissant les mutations profondes de notre administration pénitentiaire ces dernières décennies, n’en appelait pas moins à des réformes fondamentales ? Le projet de loi pénitentiaire a naturellement rejoint bon nombre de nos préoccupations et nous nous sommes efforcés, dans un travail largement consensuel, d’en améliorer le contenu.
Le volet relatif aux conditions de détention, à la différence de la partie consacrée aux aménagements de peine, avait suscité une déception largement partagée. Nous nous sommes donc employés à l’enrichir, rééquilibrant ainsi les deux aspects du projet de loi.
L’Assemblée nationale, sous l’impulsion de son rapporteur, Jean-Paul Garraud, a confirmé et conforté l’essentiel des apports du Sénat.
Ont ainsi été approuvés l’institution d’une obligation d’activité avec pour corollaire la possibilité pour les plus démunis d’obtenir en numéraire une partie de l’aide apportée par l’État, la limitation des fouilles, le renforcement des garanties reconnues aux détenus menacés de sanctions disciplinaires, avec la présence d’une personne extérieure à l’administration pénitentiaire au sein de la commission de discipline, l’obligation de garantir la sécurité des personnes détenues, avec l’instauration d’un régime de responsabilité sans faute de l’État pour les décès en détention survenus du fait d’une agression commise par un autre détenu, et l’extension à tous les détenus du bilan d’évaluation prévu au début de l’incarcération.
Alors que le Sénat prévoyait la possibilité de consultation des détenus par l’administration pénitentiaire sur les activités qui leur sont proposées, l’Assemblée nationale en a fait une obligation, reconnaissant ainsi un droit d’expression aux personnes détenues. Elle a imposé la motivation du refus d’un permis de visite. Alors que le Sénat avait consacré le droit au respect de la dignité des personnes détenues, l’Assemblée nationale, dans une rédaction plus protectrice, enjoint à l’administration pénitentiaire de garantir à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits.
De même, les députés ont très largement validé les modifications introduites dans le projet de loi sur l’initiative de M. Nicolas About, au nom de la commission des affaires sociales. Ils ont en particulier maintenu la garantie que les fouilles corporelles internes, dont le Sénat avait également prévu qu’elles ne pourraient être réalisées que par un médecin requis à cet effet par l’autorité judiciaire, ne puissent être faites par un médecin affecté à l’établissement.
Si les députés ont supprimé la référence à la permanence des soins, tout en maintenant le principe de qualité et de continuité des soins en milieu pénitentiaire, ils ont garanti aux détenus un accès aux soins d’urgence « dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l’ensemble de la population ».
Enfin, l’Assemblée nationale a ajouté un certain nombre de dispositions relatives aux femmes détenues, prévoyant par exemple la possibilité d’organisation d’activités de façon mixte et l’obligation que tout accouchement ou examen gynécologique se déroule sans entraves et hors de la présence des personnels pénitentiaires.
Le volet consacré aux aménagements de peine a fait l’objet d’un certain rééquilibrage, rééquilibrage qui a davantage joué par rapport aux dispositions proposées par le Gouvernement dans le projet de loi initial que par rapport aux modifications introduites par le Sénat en première lecture.
Le projet de loi déposé au Sénat portait de un à deux ans le quantum ou le reliquat de peine d’emprisonnement susceptible de faire l’objet, en cours d’exécution, d’un aménagement de peine par la juridiction de jugement ab initio ou par le juge de l’application des peines. L’Assemblée nationale, sans mettre en cause le principe de cette disposition, a souhaité exclure les personnes condamnées en état de récidive légale de son champ d’application.
Cette position, qui se révèle cohérente avec la législation des années récentes, ne met nullement en cause les avancées nombreuses du texte en matière d’alternatives à l’incarcération, qu’il s’agisse de l’élargissement du champ des bénéficiaires, de l’assouplissement de leurs conditions d’octroi ou encore de la simplification des procédures.
En outre, la portée de cette restriction doit être relativisée. Un aménagement de peine n’est jamais automatique et la juridiction de jugement, ou le juge de l’application des peines, apprécie notamment le passé pénal de l’intéressé avant de lui en accorder le bénéfice. Une personne condamnée en état de récidive légale serait donc, de toute façon, moins susceptible de bénéficier d’un aménagement de peine qu’un primo-délinquant.
Au total, le nombre de points de désaccord entre les deux assemblées apparaissait donc limité. Il en était deux principaux portant, d’une part, sur les conditions dans lesquelles une personne détenue peut, à quatre mois de sa libération, être placée sous surveillance électronique et, d’autre part, sur le principe de l’encellulement individuel.
La commission mixte paritaire, réunie le 7 octobre dernier, a, sur le premier point, adopté une proposition de rédaction de ses deux rapporteurs attribuant la mise en œuvre du placement sous surveillance électronique à quatre mois de la libération au directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation, le SPIP, sous l’autorité du procureur de la République, auquel il reviendra de fixer les mesures de contrôle et les obligations auxquelles la personne condamnée devra se soumettre. En l’absence de décision de placement, la personne condamnée pourra saisir le juge de l’application des peines.
En ce qui concerne les modalités d’encellulement, second point de désaccord, bien que la rédaction de l’Assemblée nationale se rapprochât de celle du Sénat, la commission mixte paritaire est revenue à la rédaction du Sénat et a maintenu la règle de l’encellulement individuel assortie, d’une part, des trois dérogations déjà admises dans notre droit – lorsque les intéressés demandent l’encellulement collectif, lorsque la personnalité des détenus justifie, dans leur intérêt, qu’ils ne soient pas laissés seuls, lorsque les détenus ont été autorisés à travailler ou à suivre une formation professionnelle ou scolaire et que les nécessités d’organisation l’imposent – et, d’autre part, de la reconduction du moratoire pour une période de cinq ans pour la mettre en œuvre.
Par ailleurs, la commission mixte paritaire, à l’article 1er A relatif au sens de la peine, a complété le texte adopté par l’Assemblée nationale afin d’indiquer que le régime d’exécution de la peine privative de liberté doit être inspiré par l’objectif de permettre à la personne détenue, comme l’avait prévu le Sénat, de mener une vie responsable.
À l’article 2 quinquies, la commission mixte paritaire a précisé, sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Sueur, le caractère « indépendant » de l’observatoire chargé de collecter et d’analyser les données statistiques relatives aux infractions, à l’exécution des décisions de justice en matière pénale, à la récidive et à la réitération.
Elle a en outre repris la disposition adoptée par le Sénat selon laquelle le rapport de cet observatoire devrait comporter une estimation du taux de récidive et de réitération par établissement pour peines afin de pouvoir appréhender l’incidence des conditions de détention sur la récidive et sur la réinsertion.
La commission mixte paritaire a supprimé l’article 12 bis A, issu d’un amendement qu’avait adopté par l’Assemblée nationale et qui tendait à abroger l’article L. 7 du code électoral. Même si cet article, en prévoyant une automaticité de la peine d’inéligibilité, est susceptible de donner lieu à de profondes injustices, le projet de loi pénitentiaire ne constitue pas le cadre adapté pour trancher cette question.
À l’article 20 bis, la CMP a adopté, sur la proposition des parlementaires socialistes et des membres du groupe socialiste, radical et citoyen, une modification qui prévoit que les médecins et personnels soignants intervenant en milieu carcéral ne peuvent être requis d’office pour effectuer une expertise médicale ou un acte dénué de lien avec les soins ou la préservation de la santé du détenu.
Sur l’initiative de notre collègue Nicolas About, la commission mixte paritaire a rétabli l’article 22 quater dans le texte du Sénat, en prévoyant la constitution, dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi, d’un dossier médical électronique unique pour chaque personne détenue.
À l’article 47, la commission mixte paritaire. a fixé à soixante-dix ans, comme l’avait proposé le Sénat, contre soixante-quinze ans dans le texte de l’Assemblée nationale, l’âge dispensant de l’obligation d’avoir accompli un temps d’épreuve pour pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle.
Enfin, madame la ministre d’État, je me suis engagé, devant la commission mixte paritaire, à vous interroger sur trois points.
Le premier concerne l’article 14 bis, que le Sénat avait introduit dans le projet de loi et qui était relatif à la possibilité de donner, dans le code des marchés publics, une priorité aux productions des établissements pénitentiaires. L’Assemblée nationale a logiquement supprimé cette disposition, qui relevait du domaine du règlement, mais les membres de la commission mixte paritaire ont souhaité savoir si le Gouvernement ne jugerait pas opportun de reconnaître, lors de la passation de marchés publics, un droit de préférence au service pénitentiaire de l’emploi et aux sociétés concessionnaires des établissements pénitentiaires pour les produits ou services assurés par des personnes détenues.
Le deuxième point est lié à une proposition de modification qui, présentée par le député Philippe Goujon, visait à harmoniser la liste des produits « cantinables » ainsi que les prix de ces produits entre les différents établissements pénitentiaires.
Le troisième point a trait à une proposition de notre collègue Nicolas About tendant à reconnaître à l’administration pénitentiaire la possibilité de rémunérer des détenus faisant fonction d’aidant auprès d’autres détenus en situation de handicap.
Serait-il possible, madame le ministre d’État, de donner satisfaction à nos deux collègues par le biais de l’élaboration, en application de l’article 49 A du projet de loi, d’un règlement intérieur-type, selon les grandes catégories de structures, de manière à limiter les risques d’inégalité tout en permettant aux détenus de mieux appréhender leurs droits et leurs devoirs ?