Intervention de Jean-Marc Todeschini

Réunion du 16 mars 2005 à 15h00
Avenir de l'école — Question préalable

Photo de Jean-Marc TodeschiniJean-Marc Todeschini :

« Ce n'est pas la rue qui gouverne ! » avait lancé le Premier ministre. Or la rue est dans son droit, celui d'alerter, de demander qu'on se préoccupe d'elle.

Ce gouvernement n'a pas le monopole de l'intelligence, de la détermination de ce qui est bon ou mauvais. Un gouvernement responsable présente, dans un climat de confiance et de concertation, des réformes dont l'objet est d'améliorer le quotidien des citoyens en favorisant l'égalité des chances et la solidarité.

Après avoir exclu la rue de la politique au sens premier du terme, c'est-à-dire de la gestion de la Cité, vous portez atteinte au Parlement, dont vous mésestimez le rôle, jusqu'à faire fi, j'ose le dire, de son existence. Ces propos ne sont pas gratuits ; ils sont, malheureusement, tout à fait justifiés.

Depuis le week-end dernier, en effet, dans l'ensemble de la presse quotidienne, nous voyons défiler des pages de publicité annonçant la loi et ses grandes lignes de façon subliminale, en évoquant simplement de bonnes intentions. Or il me semble que nous sommes réunis ici pour en discuter. De qui se moque-t-on, monsieur le ministre ?

Ces raisons motivent par conséquent notre question préalable, qui trouve aussi son sens au regard de la forme et du fond du projet de loi.

J'évoquerai tout d'abord sa forme.

Vous avez déclaré l'urgence sur ce texte au seul motif qu'il fallait couper court à la pression de la rue, au désaveu que suscite votre réforme et que vous témoigne toute la communauté éducative. Vous aurez beau dire le contraire, personne n'est dupe, même pas votre majorité ! C'est en tout cas ce qui ressort des débats à l'Assemblée nationale.

Bien que ce désaveu soit flagrant, vous le considérez avec un dédain certain. C'est la preuve de ce que nous dénoncions depuis longtemps : les débats sur l'avenir de notre école n'étaient qu'un trompe-l'oeil destiné à masquer la vision libérale et rétrograde du Gouvernement sur notre système éducatif. Il s'agissait d'une caution ! Autant de débats, d'énergie dépensée réduits à néant, balayés d'un revers de main ; un rapport et des avis ignorés.

Le rapport Thélot devait annoncer la loi d'orientation. Il n'est pas pris en compte dans votre projet de loi. Pourtant, il présentait les deux défis que l'école doit relever.

Le premier concerne le passage de la massification à la démocratisation de l'enseignement. Après l'égal accès à l'enseignement, il faut, en effet, offrir aux jeunes une égalité réelle des chances de réussite.

Le second défi est le renouvellement de près de la moitié des enseignants dans les dix ans qui viennent, renouvellement qui pose de manière urgente la question du recrutement et de la formation de milliers de nouveaux enseignants.

Ces deux défis sont ignorés. Et qu'on ne nous réponde pas que nous n'avons pas lu le projet de loi ! Celui-ci n'est qu'un tissu de bonnes intentions, aucun moyen n'est consacré à leur concrétisation.

De plus, ce projet de loi ignore le rapport Thélot dans la mesure où, à aucun moment, il ne lie inégalités sociales et échec scolaire. De même, il ne comporte rien s'agissant du délicat passage du second degré à l'enseignement supérieur. Comment, dès lors, faire en sorte que la moitié d'une classe d'âge accède aux diplômes de l'enseignement supérieur, alors même que le taux d'échec au DEUG est, on le sait, supérieur à 45 % ?

Des avis ignorés, les compétences de certains spécialistes et professionnels des questions éducatives remises en cause : le Conseil supérieur de l'éducation s'est majoritairement prononcé contre ce texte.

Qu'importe son avis, n'est-ce pas monsieur le ministre ? C'est vous qui décidez seul ! Pis encore, comme ce n'est pas très gentil de s'opposer à vous, il sera sanctionné ! Car sanction il y a bien, avec contrôle politique en arrière-plan.

Vous allez mettre en place une sorte d'autorité administrative indépendante qui sera compétente pour se prononcer, à votre demande, dans les domaines de la pédagogie, des programmes, de l'évaluation des connaissances des élèves, de l'organisation et des résultats du système éducatif, et de la formation des enseignants. Il s'agit du Haut conseil de l'éducation, destiné à se substituer à deux instances actuelles : le Haut conseil de l'évaluation de l'école et le Conseil national des programmes.

Ces deux instances étaient composées de personnalités qualifiées, enseignants et chercheurs, et de représentants des acteurs, partenaires et usagers de l'école que sont les syndicats, les associations de parents d'élèves et les élus.

Voilà cinquante-six personnes à la riche expérience qui vont se voir remerciées de leur travail en étant remplacées par neuf autres. Il s'agira - cela va de soi ! - d'experts, qui seront « indépendants et d'une grande neutralité » puisqu'ils seront désignés par le Président de la République, le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale...

Par cette composition contestable, vous orchestrez une véritable reprise en main politique des outils d'évaluation de notre système éducatif et de mise en oeuvre des politiques éducatives.

De surcroît, devant la dilution des missions de ce Haut conseil de l'éducation, on peut dire que ce dernier risque fort d'être poussé à l'inactivité !

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