Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes au terme du débat sur la loi pénitentiaire et je voudrais bien pouvoir dire : enfin, la France s’est dotée d’une loi fondamentale parce que, au terme d’un long processus, engagé voilà environ dix ans, l’ensemble des représentants de la nation sont au diapason pour affirmer que la dignité humaine doit être respectée partout, y compris dans les lieux de détention, et que la sanction pénale, quand sanction il y a, pour être efficace, doit avoir un sens, doit faire comprendre et réinsérer. Hélas ! je ne peux le dire parce que tel n’est pas le cas.
Mon constat n’enlève rien au sérieux dont ont fait preuve de nombreux sénateurs, toutes tendances confondues – au premier chef, notre rapporteur –, pour améliorer un texte gouvernemental initialement assez indigent. Mon groupe et moi-même avions d’ailleurs souligné les avancées réalisées ici même sur la dignité des personnes, en l’occurrence des détenus, l’aménagement des peines et une série d’autres points, avancées qui nous avaient d’ailleurs amenés à nous abstenir sur le texte du projet de loi résultant des travaux du Sénat.
Je rappellerai aussi que la déclaration d’urgence nous prive d’une deuxième lecture. Or, l’examen de ce texte ayant finalement pris plus de six mois – ce qui, au passage, démontre une fois de plus que l’urgence n’était pas justifiée –, l’absence de deuxième lecture nous empêche de tirer les conséquences des débats qu’il a suscités à l’Assemblée nationale et d’en évaluer les dispositions au regard du contexte.
En effet, à l’Assemblée nationale, le Gouvernement s’est beaucoup dépensé pour revenir à la rédaction initiale et donc remettre en cause les avancées votées par le Sénat : cela me conforte dans l’idée que ce gouvernement, madame le garde des sceaux, s’est seulement résigné à se mettre en conformité avec les règles européennes parce que la France avait été montrée du doigt à plusieurs reprises, mais qu’il n’est disposé ni à reconnaître fondamentalement les principes qui devaient guider une loi pénitentiaire, et donc à mener une réflexion sur le sens de la sanction pénale, ni à reconnaître explicitement les droits fondamentaux à ces sujets de droit que sont les personnes détenues. Je l’avais dit à Mme Dati, à l’époque. Malheureusement, vous n’avez en rien invalidé mon analyse lors des débats à l’Assemblée nationale.
De fait, les améliorations des conditions de la détention inscrites dans le texte sont assorties soit de renvois à des décrets ou à des règlements relevant de l’administration pénitentiaire soit, plus directement, de restrictions. C’est le cas pour les dispositions relatives aux régimes différenciés de détention, aux fouilles à corps et au quartier disciplinaire.
Permettez-moi, à ce propos, de m’interroger sur l’immixtion dans le débat, à l’Assemblée nationale, du directeur de l’administration pénitentiaire, distribuant des bons points à certains parlementaires, dont il considérait qu’ils l’encourageaient « à faire valoir le savoir-faire pénitentiaire », des mauvais points à d’autres, dont les commentaires étaient selon lui « inspirés par la vulgate foucaldienne »… On est en droit d’attendre d’un haut fonctionnaire une plus grande réserve et un plus grand respect à l’égard du législateur, qu’il appartienne à l’opposition ou même à la majorité, puisque les sénateurs, entre autres, semblaient également visés.
Certes, la commission mixte paritaire a rétabli pratiquement le texte du Sénat sur un point très important, à savoir le principe de l’encellulement individuel, que l’Assemblée nationale et le Gouvernement avaient balayé au motif qu’il ne pouvait pas être appliqué dans l’immédiat ni même dans un avenir proche.
C’est bien là que le bât blesse ! Si c’est un droit, il faut se donner les moyens de son effectivité. Or, madame le garde des sceaux, vous ne le voulez ni ne le pouvez parce que vous êtes dans une autre logique. D’une part, vous considérez que l’administration pénitentiaire doit avoir un moyen de pression vis-à-vis des détenus, et je constate que M. d’Harcourt s’est félicité de la légalisation par le Parlement du régime différencié, dont il vante les mérites. D’autre part, la logique pénale du Gouvernement et les choix budgétaires qui y correspondent ne vont pas dans le sens de la mise en œuvre de ce principe.
En effet, la construction de places de prison est budgétée – le projet de loi de finances pour 2010 ne me démentira pas – pour faire face à un accroissement prévisible du nombre de personnes détenues, je dirai même un accroissement organisé puisque le Gouvernement s’apprête à déposer un nouveau projet de loi sur la récidive et un autre sur les bandes organisées.
De ce point de vue, les propos tenus par l’aiguillon du parti du Président, M. Frédéric Lefebvre, sont particulièrement explicites et en deviennent franchement préoccupants. Ils remettent sur le métier les peines automatiques, associant d’un même élan délinquants sexuels et « casseurs ». Quand on sait le danger qui existe à incriminer des personnes supposées appartenir à un groupe sans distinction, il y a de quoi s’inquiéter !
Vous continuez de répondre à l’augmentation de la délinquance – signe que l’aggravation de la loi pénale depuis dix ans n’est pas efficace – par une nouvelle aggravation de la loi pénale. Force m’est de constater que l’idée même d’une autre approche de la sanction et de la réinsertion – et donc des moyens à mettre en œuvre – n’est pas à l’ordre du jour.
La façon d’aborder les aménagements de peine est significative. Le bracelet électronique apparaît comme un moyen miracle de désencombrement des prisons, avec à la clé un instrument de contrôle ou de pression, puisque c’est le parquet, au lieu du juge de l’application des peines, qui en décidera, ce qui permet de doser cet aménagement de peine en fonction de l’opinion publique ou de tel ou tel événement.
Comment, en effet, ne pas craindre la pression « diffuse » sur les parquets quand on entend des parlementaires affirmer haut et fort que ce texte donne aux délinquants un signe de clémence, ou encore un syndicat de police énoncer qu’il existe un lien direct entre les aménagements de peine et la hausse de la délinquance ? Or l’existence d’un tel lien de causalité est à rebours de toutes les réflexions sérieuses qui ont été conduites jusqu’ici sur le sujet !
Je ne peux m’empêcher de déplorer le lobbying pesant qui s’est déployé auprès du Gouvernement et des parlementaires, notamment celui de l’Institut pour la justice – officine dont les idées sont bien connues et qui ne cesse de pourfendre les alternatives légales à la détention ainsi que le « laxisme » de la justice pénale –, pour s’opposer à toute évolution dans la conception de la sanction pénale. Ce lobbying s’est, hélas, révélé efficace puisqu’il a finalement empêché que nous ayons un réel débat de fond sur la question.
Ce débat devrait porter, entre autres, sur les moyens – c’est surtout de leur absence qu’il devrait d’ailleurs être question, en l’occurrence ! – à mettre en œuvre pendant l’incarcération, mais aussi après l’incarcération, pour assurer un véritable suivi sociojudiciaire en vue de réduire les risques de récidive : réinsertion sociale, traitement médical, psychiatrique, accompagnement, etc. Au contraire, les récidivistes, vis-à-vis desquels le texte est en retrait s’agissant de l’aménagement des peines, quel que soit le délit ou le crime, sont considérés comme une catégorie – prédéterminée, je suppose ! – pour laquelle il faut prendre des sanctions automatiques de plus en plus lourdes, tendant en quelque sorte à son élimination.
Là encore, quand aborderez-vous la question autrement ? Pourquoi y a-t-il récidive ? Dans quels domaines ? Quels sont les facteurs de non-récidive ou de moindre récidive ? Car l’objectif du législateur doit être de s’occuper des personnes et de les réinsérer, précisément pour qu’elles ne récidivent pas, non de faire croire aux Français qu’il existe un remède infaillible à la récidive, par exemple l’enfermement à vie. Au reste, quand celui-ci interviendrait-il ? Personne ne peut répondre !
Aussi, mes chers collègues, au terme de cette réflexion sur le cheminement de votre conception de la loi pénitentiaire, je constate que la contradiction profonde entre l’affichage d’une loi et la politique pénale du Gouvernement hypothèque gravement la sincérité de ce texte. Il nous paraît indispensable de souligner que cet état de fait est dangereux.
Dès lors que le Gouvernement et la majorité n’entendent donner aucun signe réel de leur volonté de s’interroger sur leur politique pénale, bien au contraire, nous ne pouvons cautionner le faux-semblant d’un consensus sur ce projet de loi. Aussi mon groupe votera-t-il contre, et je le regrette.