Nous devons avoir le courage de tenir nos engagements. L’article 59 du projet de loi prévoit un nouveau moratoire. Ce n’est pas le premier, mais je souhaite que ce moratoire de cinq ans soit le dernier que le Parlement aura à voter. Sinon, la déception qui pourra être éprouvée face à l’action publique n’aura d’égale que l’humiliation qui sera infligée au Parlement, dont le travail n’aura pas été respecté.
Bien entendu, on m’objectera la surpopulation pénale. Mais ne traitons pas la surpopulation pénale comme s’il s’agissait d’une question immobilière ! Même si l’on bâtit encore des prisons dans les années qui viennent, nous ne résoudrons pas la question de la surpopulation.
Il existe, à mon avis, une solution plus constructive et sans doute moins onéreuse. Elle consiste à ne pas faire entrer en prison ceux qui n’ont pas grand-chose à y expier : les malades mentaux qui y séjournent faute d’unités hospitalières prêtes à les accueillir, les sans-papiers qui subissent là une double peine ou les « courtes peines » qui ne font que se désocialiser.
La commission mixte paritaire a aussi retenu quelques amendements qui, selon nous, améliorent le texte : le caractère indépendant de l’observatoire des prisons – grâce à un amendement de notre ami Jean-Pierre Sueur –, le fait que le personnel soignant ne puisse être appelé à effectuer des actes dictés par des considérations de sécurité et non de santé – M. About avait, me semble-t-il, raison de soutenir cet amendement –, le dossier médical unique du détenu, la possibilité d’une libération conditionnelle sans temps d’épreuve à soixante-dix ans, et non à soixante-quinze ans.
Permettez-moi d’ouvrir ici une parenthèse. Comment peut-on marchander la libération conditionnelle à soixante-quinze ans ? Soixante-dix ans, surtout en prison, où les années comptent double, est déjà un âge qui doit permettre la libération conditionnelle sans temps d’épreuve !
Enfin, parmi les points positifs, figure la saisine du juge d’application des peines pour le placement sous surveillance électronique.
Toutefois, nous regrettons que la commission mixte paritaire ne nous ait pas suivis sur d’autres amendements, y compris parfois sur des amendements qui avaient été votés par le Sénat.
Il s’agit tout d’abord de la question – difficile, je le concède – des régimes différenciés, qui nous inspirent la plus grande méfiance. Les débats de mars dernier ont montré que trier les arrivants selon des critères passablement imprécis – qui seront en tout cas fixés non pas par le juge, mais sans doute par l’administration pénitentiaire –, permettant de décréter que celui-ci, parce qu’il présente une dangerosité manifeste, se verra appliquer tel traitement, mais que celui-là, qui semble plus doux, bénéficiera de tel autre traitement, ne constitue pas une bonne solution. Nous sommes pour le pouvoir du juge. Une peine doit être fixée par le juge et uniquement par lui, et ne doit pas se trouver aggravée au sein de la prison par une décision administrative.
À cet égard, je tiens à rappeler l’engagement qu’avait pris Mme Dati lorsqu’elle nous avait assurés que le régime différencié ne concernerait que le régime « porte ouverte » ou le régime « porte fermée ». J’espère que cet engagement sera tenu.
Sur un sujet analogue, nous avions souhaité que le placement en régime disciplinaire ou à l’isolement puisse faire l’objet d’une procédure de référé dans laquelle la condition d’urgence serait considérée comme présumée, ce que le Sénat avait accepté. Le refus de la commission mixte paritaire de rétablir cette rédaction ne me semble pas empreint d’une grande sagesse.
Lorsqu’une personne est placée en cellule disciplinaire, à l’évidence, le caractère d’urgence ne devrait même pas être discuté, ni donc soumis à l’appréciation d’un juge, laquelle peut être différente à Pau, à Nantes, à Paris ou à Strasbourg. Une telle décision, si elle est contestée, doit forcément faire l’objet d’une procédure d’urgence ; sinon, cela ne sert à rien ! La personne concernée ne pourra plus qu’engager une procédure en indemnisation, qui n’aboutira que deux ans plus tard.
Je me félicite que les fouilles intégrales, les fouilles à corps, aient fait l’objet d’un encadrement, car c’était indispensable. N’oublions tout de même pas que nous sommes en 2009 ! Dans les aéroports, on utilise des portiques électroniques pour détecter tous les objets qu’un voyageur peut avoir sur lui. On ne le soumet plus à une fouille, qui pouvait, parfois, être intégrale. La modernité doit aussi s’imposer en prison. Pour notre part, nous sommes favorables à l’introduction des moyens de détection électronique qui existent. Il est vrai que cela a un coût, et là est toute la question, sur laquelle je reviendrai ultérieurement.
Nous regrettons que la majorité persiste dans sa volonté d’exclure les récidivistes de l’élévation à deux ans du seuil à partir duquel les aménagements de peine ab initio sont possibles. Ce n’est pas que nous soyons plus laxistes que d’autres ! Mais il faut bien comprendre que l’aménagement de peine n’est pas un « cadeau » fait à la personne détenue ; au contraire, c’est un moyen de permettre au détenu, y compris au récidiviste, d’avoir, demain, une vie meilleure, plus responsable, pour reprendre les termes retenus par le Sénat, afin de se réinsérer, pour pouvoir vivre tout simplement dans un autre monde que celui qui était le sien avant qu’il connaisse la prison.
Au final, quel bilan tirons-nous de ce texte ?
Tout d’abord, je le dis très nettement, je reconnais volontiers que ce texte a un grand mérite, celui d’exister. Notre pays attendait depuis très longtemps – je pèse mes mots ! – une loi précisant les droits des détenus, notamment, bien sûr, le droit d’être respecté dans son intimité comme dans sa sécurité. Aujourd’hui, les principes sont posés par la loi ; il appartiendra au Gouvernement de les faire vivre, et aussi, grâce au travail du Sénat, aux juges de les faire appliquer si nécessaire.
Nous considérons en outre que les aménagements de peine, en particulier au cours des deux dernières années, constituent des mesures indispensables pour préparer le détenu à sa sortie et à sa réinsertion.
Malheureusement, il subsiste des points sur lesquels nous jugeons le texte insuffisant. J’ai déjà évoqué tout à l’heure les régimes différenciés, je n’y reviendrai donc pas, mais je voudrais citer deux tristes records de nos prisons.
Le premier concerne le nombre de suicides. Or je crains que cette loi ne permette pas de le réduire. À cet égard, permettez-moi de vous dire, madame le garde des sceaux, que vous ne lutterez pas contre les suicides en fournissant aux détenus des draps indéchirables et des pyjamas en papier… J’ai lu que vous aviez annoncé cette mesure, mais celle-ci n’est évidemment pas de nature à lutter contre les suicides. En effet, le suicide n’est pas affaire de procédés techniques ; il résulte toujours, malheureusement, d’une volonté d’en finir par n’importe quel moyen.
Sur cette question sensible, un rapport avait été remis à Mme Dati, mais il avait été immédiatement retiré, car il avait fait l’objet d’une polémique au sujet de son contenu. Pour ma part, je souhaite que le rapport Albrand, dans sa version non corrigée, soit de nouveau mis sur la table afin d’engager une réflexion d’ensemble.
L’autre record, dont on parle moins, est tout aussi inquiétant, car il est révélateur de l’état de notre politique pénale et de notre politique pénitentiaire : je veux parler du nombre de récidivistes. Notre pays affiche le taux de récidive le plus élevé, alors même que notre politique pénale est la plus répressive ! J’en reviens donc à ma question initiale : à quoi sert la prison ? Si, sous couvert de punition, la prison doit servir d’école de la délinquance, c’est une absurdité !
Que savons-nous sur ce sujet ?
D’abord, on compte deux fois plus de récidives lorsque la sortie est sèche, c’est-à-dire lorsqu’elle n’est pas accompagnée. Il faut donc creuser l’idée de la préparation à la sortie.
Je suis obligé de vous le dire, madame le garde des sceaux, la politique du Gouvernement est fondée sur l’hypocrisie. D’un côté, sa politique pénale remplit, à grand bruit, les prisons, allant ainsi dans le sens de l’opinion publique, et, de l’autre, devant le désastre de la surpopulation pénale, sa politique pénitentiaire tente de les vider en catimini ou, à tout le moins, de « gérer les flux », comme on dit aujourd'hui.
Les aménagements de peine nécessitent de vrais moyens d’accompagnement. À défaut, le cercle vicieux que nous connaissons se poursuivra : de nouveaux faits divers s’étaleront à la une des journaux, seront suivis de déclarations toujours plus musclées, puis de l’annonce d’une législation encore plus répressive. Tout cela n’aboutira à rien de moins qu’à aggraver la récidive et, sans doute, la condition pénitentiaire. On ne réalisera ainsi aucun progrès.
Selon nous, la vraie prévention de la récidive a un nom : la réinsertion.