Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 13 octobre 2009 à 14h30
Loi pénitentiaire — Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Notre feuille de route était simple.

D’abord, il nous appartenait de codifier, dans notre droit interne, les règles pénitentiaires européennes, ainsi que la jurisprudence du Conseil d’État et de la Cour européenne des droits de l’homme relative aux droits des personnes détenues et à leur protection.

Cet objectif va de pair avec un autre objectif que nous nous étions fixé : mettre un terme à une forme d’opacité des règles régissant la condition carcérale, domaine dans lequel l’administration pénitentiaire a pu jouir, à une époque pas si lointaine, d’une certaine latitude, voire d’une impunité s’agissant de quelques pratiques.

Je pense, par exemple, au recours abusif à la notion de « mesure d’ordre intérieur », qui permet à l’administration pénitentiaire de prononcer des mesures sans que celles-ci puissent être contrôlées par un juge, notamment pour ce qui concerne les régimes différenciés. Je pense également aux règles que l’administration pénitentiaire produisait elle-même, alors que celles-ci relevaient manifestement du domaine de la loi.

En élevant au rang législatif les dispositions applicables dans les établissements pénitentiaires en matière de droits des personnes détenues et, surtout, en fixant un cadre procédural à leur protection, nous leur avons donné une nouvelle dimension, ce dont nous pouvons nous féliciter.

Je vous épargnerai un inventaire à la Prévert, me contentant de vous faire part d’un regret : nous aurions pu aller plus loin, notamment pour ce qui est de l’engagement des personnes détenues dans les associations de gestion de leur quotidien ou de leurs activités. C’est dans cette optique que nous avons défendu des positions concernant plusieurs droits dont la protection ne nous semble pas suffisante.

Certaines pratiques méritaient d’être, à tout le moins, mieux encadrées, voire carrément bannies. C’est le cas des fouilles intégrales et des investigations corporelles : je suis convaincue que rien ne peut justifier, dans un État de droit, de telles atteintes à la dignité des personnes détenues, ces pratiques étant, par nature, attentatoires à la dignité humaine. Dans la mesure où elles sont condamnées par la Cour européenne des droits de l’homme, nous aurions dû les proscrire purement et simplement.

Je songe également aux restrictions imposées à la jouissance ou à l’exercice des droits reconnus, dont le contour nous paraît flou : en laissant l’administration pénitentiaire interpréter souverainement des notions aussi imprécises que le « bon fonctionnement de l’établissement », on lui donne la possibilité de disposer des droits des détenus.

Cette démarche nous semble contraire non seulement à l’esprit même des objectifs que nous nous étions fixés, à savoir l’élévation au niveau législatif des dispositions relatives à la protection des droits des personnes détenues, mais aussi à l’article 34 de la Constitution, qui définit de manière stricte le domaine de compétence du pouvoir réglementaire.

Enfin, nous regrettons le maintien des régimes différenciés, dont la consécration législative nous fait craindre qu’ils ne soient utilisés par l’administration pénitentiaire comme un outil de gestion de la détention. Il nous paraît fondamental que les décisions de placement en régime différencié puissent être contrôlées par un juge de l’excès de pouvoir, et ce contre l’avis de l’administration pénitentiaire, laquelle les considère comme des mesures d’ordre intérieur ne faisant pas grief.

Sur ce point, nous avions obtenu satisfaction, et je souhaite que M. le rapporteur nous confirme cette interprétation de l’article 51 du projet de loi.

Sous toutes ces réserves, nous pouvons admettre que le volet relatif aux droits des détenus est satisfaisant. Il a d’ailleurs été largement étoffé par l’Assemblée nationale, ce dont nous devons nous réjouir.

Ainsi, le principe du respect de la dignité du détenu, sur lequel nous avons eu un débat vif dans cet hémicycle, a été consacré et la mise en œuvre de sa protection, renforcée.

Pour ce qui concerne le volet relatif aux aménagements de peine, il faut également se réjouir du maintien, dans le code de procédure pénale, du principe de l’encellulement individuel. Il s’agissait là d’un casus belli entre le Gouvernement et le Sénat ; ce dernier l’a finalement emporté, même si l’application de ce principe est rendue théorique par la mise en œuvre d’un moratoire.

En revanche, la restriction apportée aux aménagements de peine pour les récidivistes ne laisse de nous inquiéter. Cette proposition est arrivée « comme un cheveu sur la soupe » devant l’Assemblée nationale, sans avoir jamais été évoquée devant le Sénat.

Pourquoi ce retour en arrière ? Pourquoi le thème de la récidive surgit-il de nouveau au sein d’un projet de loi pourtant consensuel ? Pourquoi l’instrumentaliser encore davantage dans le cadre d’un projet de loi pénitentiaire supposé simplifier les procédures relatives aux aménagements de peine ?

La réponse à ces questions n’est pas seulement à chercher dans l’actualité, où des faits divers ont fourni une nouvelle occasion au Gouvernement de mettre en avant son absence de laxisme en matière de politique pénale.

Il faut savoir que, depuis quelques mois, des associations ont entrepris un lobbying intense auprès tant des services de la Chancellerie que des députés de la majorité. Ces associations, en apparence mues par la volonté d’aider les victimes, sont en réalité profondément hostiles à ce projet de loi, notamment aux dispositions relatives aux aménagements de peine.

L’une de ces associations dénonçait au mois d’août dernier la mise en conformité de la France avec les règles pénitentiaires européennes, qu’elle a qualifiées – tenez-vous bien, mes chers collègues ! – d’« absurdes », les considérant comme autant de « menaces » pour la « sécurité de nos prisons ». Cette même association, qui tenait voilà quelques mois une conférence au Local, haut lieu de la jeunesse d’extrême droite à Paris, a organisé un colloque à l’Assemblée nationale, à la veille de la séance publique consacrée à l’examen du projet de loi pénitentiaire, colloque pour lequel elle a même obtenu le parrainage de plusieurs personnalités de la majorité.

Si le volet relatif aux aménagements des peines a été durci dans le projet de loi, c’est à la suite des pressions exercées par ces associations, qui « surfent » de manière dangereuse sur le populisme pénal.

Comment interpréter autrement le nouvel article 47 bis, introduit à l’Assemblée nationale, qui permet à l’avocat de la partie civile de faire valoir ses observations en cas de demande de libération conditionnelle ? Est-ce son rôle ? Le juge de l’application des peines n’est-il pas maître de ses décisions ? Or cette mesure se trouve très précisément dans un document émanant de l’une de ces associations que j’ai reçu dernièrement.

Mes chers collègues, nous respectons profondément le droit des victimes d’obtenir, dans le cadre d’un procès digne, la condamnation de l’auteur d’un crime. Toutefois, nous refusons catégoriquement ce que ces associations revendiquent, à savoir des peines perpétuelles, la remise en cause systématique des décisions de non-lieu rendues par un tribunal ou l’abolition des remises de peine.

Le législateur devrait se tenir à l’écart de ces organisations, sous peine de se trouver associé à de telles revendications et de sombrer dans un populisme pénal indigne de notre pays.

J’aimerais enfin évoquer un point qui est totalement absent de ce projet de loi pénitentiaire et qui mériterait pourtant quelques mots : la place que le Gouvernement entend donner, à l’avenir, au Conseil supérieur de l’administration pénitentiaire.

Ce conseil est visé par les articles D. 234 et suivants du code de procédure pénale et a vocation à se réunir une fois par an, en séance plénière, afin de délibérer sur les questions relevant de la compétence de la direction de l’administration pénitentiaire et qui sont soumises à son examen par le ministre de la justice.

Il est censé formuler des avis et établir des rapports à destination du ministre de la justice et du directeur de l’administration pénitentiaire sur tous les sujets touchant la question pénitentiaire : le suicide en prison, la surpopulation, les conditions de travail des personnels ou la mise en œuvre des règles pénitentiaires européennes.

Au cours de ces derniers mois, les occasions de réunir cette autorité n’ont pas manqué. Le Conseil supérieur de l’administration pénitentiaire aurait ainsi pu contribuer à poser les bases d’une politique pénitentiaire digne de ce nom, afin que nous réfléchissions ensemble sur des questions sensibles comme l’augmentation démesurée et récente des suicides en prison.

En fait, ce conseil, dont M. Jean-René Lecerf, M. Roland du Luart et moi-même sommes membres, s’est réuni pour la dernière fois le 8 juillet 1999, sous la présidence, à l’époque, d’Élisabeth Guigou. Autant dire que, depuis dix ans, ce conseil sommeille, alors qu’il aurait pu jouer un rôle important, notamment dans l’élaboration de ce projet de loi pénitentiaire. Ne devrait-il pas, normalement, participer à la définition des politiques pénitentiaires et à la vérification de leur exécution ? Ne devrait-il pas, compte tenu des multiples expertises de ses membres, être reconnu comme compétent pour formuler des avis ?

Il pourrait aussi prendre toute sa place dans le processus de mise en œuvre de la future loi pénitentiaire. On pourrait lui confier la tâche d’émettre des avis sur différents rapports, notamment celui du contrôleur général des lieux de privation de liberté, ou de contribuer à l’élaboration des décrets d’application, et d’abord ceux de la loi que nous examinons aujourd’hui, afin de trouver, dans un cadre consensuel, des solutions acceptables par tous les acteurs du monde pénitentiaire.

Ma dernière remarque prendra donc la forme d’une question, que je vous adresse, madame le garde des sceaux : avez-vous l’intention de convoquer le Conseil supérieur de l’administration pénitentiaire, après dix ans d’un coma injustifié, afin qu’il puisse apporter sa pierre à la mise en œuvre de la loi pénitentiaire et participer aux décisions qui seront prises pour son exécution ?

Lors de la première lecture de ce texte devant le Sénat, les sénatrices et sénateurs Verts s’étaient abstenus, déplorant que le projet de loi, qui avait pris un excellent chemin, se soit arrêté en cours de route. Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire ne nous a pas convaincus : si la position du Sénat a été maintenue sur de nombreux points, l’Assemblée nationale a souhaité revenir au texte du Gouvernement sur d’autres aspects, ce que nous regrettons.

Pour toutes ces raisons, les sénatrices et sénateurs Verts s’abstiendront lors du vote sur le texte issu des conclusions de la commission mixte paritaire.

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