Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, le texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pénitentiaire, dont nous débattons aujourd’hui, a un grand mérite : il aborde un problème fondamental de notre société contemporaine, l’incarcération. Mais il a malheureusement un grand défaut : il ne le règle pas totalement.
Telle est, après beaucoup d’autres projets de loi, la constatation un peu désespérée que nous sommes plusieurs à formuler dans cet hémicycle, ayant relevé que les conséquences des législations successives ne reflètent pas toujours les bonnes intentions affichées au départ. Car là réside bien le paradoxe actuel ! Plus on légifère et plus la situation semble s’aggraver dans les prisons. Plus on tente d’améliorer le sort des prisonniers et plus celui-ci semble se détériorer, pour toutes sortes de raisons, structurelles et conjoncturelles, certes, qui aboutissent cependant aux mêmes résultats : surpopulation, promiscuité, maladies psychiatriques, vieillissement et répression, faisant de l’univers carcéral, d’une part, un lieu non conforme au respect de la dignité humaine et, d’autre part, un espace criminogène, ce qui montre ses limites en matière de lutte contre la délinquance.
Il est vrai que, par son caractère hétéroclite – trop de circulaires régissent la vie du prisonnier –, le droit pénitentiaire demeurera un droit de seconde catégorie, y compris au lendemain du vote de ce nouveau projet de loi. En effet, malgré de véritables avancées, ce texte n’ôte pas au droit pénitentiaire le défaut permanent que dénoncent certains, à savoir l’insécurité juridique dont il est empreint.
Si, au nom du plus grand nombre des sénateurs du groupe RDSE, je ne puis qu’émettre une appréciation réservée sur un projet de loi qui ne règle pas les problèmes que je viens d’évoquer, je me félicite que, d’une manière toute consensuelle, les sept sénateurs et sept députés composant la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 7 octobre dernier soient revenus à l’unanimité, malgré l’avis du Gouvernement, sur des positions plus proches de celles du Sénat. Cela prouve une fois de plus, s’il en était besoin, la qualité des réflexions et décisions de notre Haute Assemblée, surtout lorsqu’il s’agit de l’importante question de la liberté individuelle, à laquelle elle est toujours très attachée.
La commission mixte paritaire a en effet repris à son compte le principe de l’encellulement individuel qui, je le rappelle, existe dans la loi française depuis 1875, c’est-à-dire depuis l’instauration officielle de la IIIe République. Elle a également conservé l’idée d’une surveillance électronique des détenus condamnés à des peines égales ou inférieures à deux ans d’emprisonnement, dont l’initiative revint naguère à Guy-Pierre Cabanel, alors président du RDSE, avec la complicité de M. le président de la commission des lois, lequel, voilà tout juste dix ans, avait cosigné avec lui un remarquable rapport au sous-titre explicite : « Prisons, une humiliation pour la République ».
Je ne reviendrai pas, en effet, sur la question de la surpopulation carcérale, grandissante, inacceptable, indigne d’une démocratie moderne, surtout lorsque se retrouvent à trois, quatre ou cinq par cellule, dans une promiscuité insoutenable, des personnes en détention provisoire et d’autres purgeant de courtes peines, avec toutes les conséquences que cela implique.
J’ai parfaitement conscience que l’on ne construira pas, dans les prochains mois, ni même dans les prochaines années, les cellules individuelles désormais conformes à la loi. Mais la loi, c’est indispensable, doit être l’aiguillon d’une nouvelle politique interdisant désormais au Gouvernement de se réfugier derrière des arguties juridiques pour ne pas prendre ses responsabilités en la matière et ne pas ouvrir enfin le vaste chantier des prisons.
N’est-ce pas l’esprit même des déclarations de notre estimé collègue rapporteur, M. Jean-René Lecerf, lorsqu’il affirme : « Pour la première fois dans notre histoire, les conditions sont réunies pour que nous parvenions à l’encellulement individuel » ? Il doit s’agir non d’un vœu, mais d’un but. La représentation nationale y sera attentive.
Parallèlement, la CMP s’est montrée favorable au bracelet électronique et à ses conditions d’utilisation – heures de présence au domicile, interdiction de fréquenter tels lieux ou telles personnes… –, et a confié cette décision au procureur de la République ou, à défaut, au juge de l’application des peines.
En évitant opportunément la surpopulation carcérale et la rupture des liens sociaux, professionnels et familiaux, cette mesure constitue un réel outil de réinsertion. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, là où elle a été expérimentée, cette solution de substitution fiable a fait ses preuves et inversé de façon constructive le « tout-prison », si éminemment abusif.
En première lecture, le Sénat avait adopté d’autres mesures, dont la faculté donnée au juge de l’application des peines de prononcer des mesures alternatives à l’emprisonnement. Ces dispositions tendaient toutes à humaniser davantage le milieu carcéral – dans le respect de sa triple mission que vous avez rappelée tout à l’heure, madame la ministre d’État – et à faire bénéficier les détenus de mesures effectives de réinsertion.
Toutes n’ont pas été retenues ; c’est pourquoi le groupe RDSE, dans sa quasi-totalité, tout en relevant les améliorations sensibles qui ont été apportées, s’abstiendra sur ce texte.