Intervention de Bruno Gilles

Réunion du 30 mars 2010 à 14h30
Débat sur la protection des jeunes sur les nouveaux médias

Photo de Bruno GillesBruno Gilles :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les nouveaux médias constituent un monde dense et en pleine évolution. Ils englobent l’internet, la télévision avec l’afflux de nouvelles chaînes, et leur mode de diffusion, en direct et en différé. Ils comprennent encore la téléphonie mobile et les applications multiples qu’elle offre et, bien évidemment, tous les enregistrements de films, séries télévisées et jeux accessibles par téléchargement ou sous forme de DVD.

L’objet de notre débat nous dispense de répertorier les avantages offerts par ces nouvelles technologies. En revanche, il nous revient d’en évaluer les dangers pour les jeunes afin de mieux en imaginer la parade.

Nos jeunes sont incontestablement « branchés ». Selon une enquête du CREDOC de décembre 2009, 94 % des adolescents disposent d’un ordinateur à domicile. Seuls 9 % des jeunes âgés de 12 à 17 ans ne possèdent pas de mobile, et près de neuf adolescents sur dix sont connectés à Internet chez eux. Enfin, plus on est jeune et plus on dispose de moyens d’accéder à la télévision. Tel est le cas de 61 % des jeunes âgés de 12 à 17 ans.

Il est tout aussi indéniable que leur jeune âge prive nos enfants du sens critique qui leur permettrait d’éviter les pièges. Le bombardement d’images et d’informations, les pressions psychologiques, sociales et commerciales exercées sur eux via ces technologies nouvelles les mettent dans une situation de fragilité, encore inconnue il y a peu.

De ce fait, il semble aujourd’hui qu’à l’inverse de ce que nous observons dans d’autres domaines leur maîtrise quasiment innée de ces nouveaux outils constitue plus une faiblesse qu’une force. En effet, plus leur habileté est grande, plus ils risquent de côtoyer des dangers ou d’être confrontés à des contenus préjudiciables pour eux et bien souvent, par ricochet, pour leur entourage.

Le risque d’addiction des jeunes aux nouveaux médias est préoccupant. Ils passent sur Internet 1 500 heures par an, indique le rapport d’information de 2008 de notre collègue David Assouline. Et l’on observe, au moment de l’adolescence, le même usage excessif de la télévision et des jeux vidéo, auxquels « 51 % des garçons de 15-17 ans déclarent jouer régulièrement en cachette la nuit », selon un sondage IPSOS de mars 2009.

Le comportement à risque des jeunes rend dangereuse leur participation aux réseaux sociaux sur Internet.

Un adolescent sur deux de plus de 13 ans fait partie d’un réseau social, selon une enquête de TNS Sofres de mars-avril 2009. Ces réseaux leur permettent de partager des informations ou des passions communes...

En février 2010, l’étude commandée par Trend Micro, leader mondial en matière de sécurité de contenu internet, à l’institut Opinion Matters montre que les principales informations partagées par les jeunes sur le Web sont : leurs adresses courriel pour 68 % d’entre eux, leurs photos pour 44 %, leur adresse postale pour 24 %.

Plus les jeunes grandissent, plus la situation s’aggrave. Si 99, 2 % des enfants se connectent depuis leur domicile, les adolescents, quant à eux, privilégient de plus en plus leur téléphone mobile et le PC de leurs amis, à l’abri des regards des adultes... Il s’ensuit le risque d’une exposition de plus en plus dangereuse de la vie privée.

Ces dangers ne sont pas virtuels. L’association e-Enfance a publié une étude réalisée en avril-mai 2009 auprès d’un échantillon de 2 670 enfants âgés de 13 à 18 ans sur Facebook. Il en ressort que 53 % d’entre eux déclarent avoir été exposés à des images choquantes, qu’il s’agisse de violence ou de pornographie. Près d’un sur deux a reçu une proposition de rendez-vous d’un inconnu ; 20 % déclarent avoir accepté ce rendez-vous. Enfin, 29 % ont reçu des propositions sexuelles ; chez les filles de 13-14 ans, cette proportion est de 43 %. Au total, près de 90 % des jeunes de 13 à 18 ans ont été confrontés au moins une fois à des situations à risque.

Les jeunes n’ont bien souvent pas conscience qu’ils peuvent être observés par le monde entier sur Internet. Les risques liés à la pédophilie sont donc bien réels. Autres dangers d’Internet : les jeunes peuvent devenir la proie de publicités déguisées sous forme de divertissement et se laisser tenter par des achats en ligne non sécurisés.

Les jeunes sont aussi exposés de plus en plus souvent à des scènes de violence. Ils ont facilement accès à des jeux vidéo au contenu d’une violence « sans pitié et explicitement décrite », indique le site du réseau Éducation-Médias.

À la télévision, on assiste à une progression inquiétante, dès le début de la journée, sur les grandes chaînes et sur les nouvelles chaînes de la télévision numérique terrestre, d’émissions déconseillées aux enfants, « c’est-à-dire des séries télévisées, des émissions de télé-réalité et des documentaires pouvant perturber les mineurs par leur thématique ou par la violence de leurs images. [...] Et l’on constate malheureusement que les enfants regardent ces programmes ». Tel est le constat accablant dressé, en octobre 2009, par Michel Boyon, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA.

Aujourd’hui, tous les contenus visibles à la télévision le sont également, d’une manière ou d’une autre, sur Internet. Surtout, de nombreuses images très violentes, qui ne sont pas montrées sur le petit écran, y sont visibles : exécutions, automutilations en direct, films interdits à la télévision. De nombreuses études indiquent clairement, depuis plusieurs années, qu’il existe une corrélation entre la violence des jeunes et leur exposition répétée à la violence.

Les images pédopornographiques et pornographiques sont dévastatrices pour la construction de la personnalité des jeunes. Or le risque de voir sur Internet des images pédopornographiques ou pornographiques sans l’avoir souhaité est réel pour un enfant sur trois. À la télévision, en raison du nombre de chaînes et de l’absence de cryptage, l’accès des jeunes à des films ou spots à caractère pornographique, qui sont une forme de violence particulièrement ravageuse chez les jeunes, est également possible.

Il en est de même avec les cassettes ou DVD de films X. À l’heure actuelle, il semble qu’il n’existe pas de réelles contraintes permettant d’empêcher un vendeur ou un loueur de vidéos de procurer à un mineur de moins de 12 ans un film interdit en salles aux jeunes âgés de moins de 12 ou 16 ans, voire aux moins de 18 ans.

Quelles parades mettre en place pour protéger nos jeunes ?

Bien sûr, en premier lieu, la vigilance des parents et des éducateurs doit s’accroître. Mais ce contrôle devient bien difficile. Si plus de 95 % des enfants font état de consignes parentales destinées à encadrer leur utilisation d’Internet, plus d’un enfant sur deux a le sentiment de pouvoir y faire ce qu’il veut sans que ses parents le sachent. D’ailleurs, 65 % des enfants avouent ne pas respecter au moins l’une des règles édictées par leurs parents, comme le rapporte le sondage IPSOS de mars 2009.

Si une seule règle devait être absolument inculquée aux enfants par les parents et les éducateurs concernant ce média, ce serait celle de l’anonymat.

II faut que les adultes aient les moyens de contrôler ce que regardent les jeunes. Des systèmes de « contrôle parental » existent mais leur contournement est fréquent, car ces mêmes jeunes font preuve en la matière d’une ingéniosité redoutable. Ces systèmes doivent donc être perfectionnés et s’appliquer également à la téléphonie mobile et à la télévision.

Il est de la responsabilité de l’État de sauvegarder l’ordre public et donc d’édicter des règles de protection des mineurs dans le domaine des médias. L’État doit également garantir la qualité culturelle des contenus. Mais les défis qui se présentent à nous aujourd’hui avec le développement du numérique, de l’internet et de l’interactivité compliquent sérieusement la tâche des pouvoirs publics.

Le pire fléau que l’on observe est la diffusion d’images pédophiles, qui sont en progression constante sur Internet. Actuellement, les systèmes de filtrage sont encore insatisfaisants : ils ne recensent pas tous les sites « à risque », ou bien empêchent la consultation de sites ne présentant pas de danger.

Il conviendrait que notre pays, à l’instar d’un certain nombre de ses voisins européens, exige la suppression des sites pédophiles et donc implique en amont les hébergeurs sous peine de sanctions et impose a fortiori les mêmes obligations aux fournisseurs d’accès à internet, les FAI. Dès que l’on demande quelque chose à un FAI, son premier réflexe est de répondre que ce n’est techniquement pas possible, alors même que ça l’est. Pour mettre toutes les chances de notre côté, il faut renforcer parallèlement la coopération internationale en ce domaine, puisque nombre de ces sites sont hébergés à l’étranger.

En ce qui concerne la télévision, il conviendrait que les cahiers des charges des chaînes, publiques et privées, soient plus stricts sur les contenus diffusés. Mme Dominique Versini, défenseure des enfants, dénonce à juste titre le fait que de nombreuses émissions soient sous-classifiées et que les chaînes soient peu réceptives aux observations.

On n’empêchera personne de diffuser et de consulter une multitude d’images par l’intermédiaire des téléphones ou des ordinateurs... C’est justement pour cela qu’il faut renforcer les chaînes de référence, en exigeant d’elles de présenter une vision du monde moins violente et moins sordide. Nous avons besoin de chaînes qui suscitent la réflexion et favorisent l’émulation de l’intelligence par une diffusion culturelle de qualité. De plus, la promotion d’une programmation télévisuelle destinée au jeune public constitue l’un des moyens les plus adaptés de lutte contre les dangers que les nouveaux médias font peser sur nos enfants.

Des dispositions sont prises et des dispositifs utiles, heureusement, sont prévus. Mais pour qu’ils deviennent réellement efficaces, il faudrait qu’un organisme unique compétent pour tous les nouveaux médias, doté d’un vrai pouvoir et de moyens suffisants, puisse contrôler le respect des règles définies et impulser la création de nouveaux systèmes protégeant les mineurs des contenus les plus choquants et de ceux qui leur sont préjudiciables.

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