Intervention de Gisèle Printz

Réunion du 28 février 2006 à 10h20
Égalité des chances — Article 3 bis suite

Photo de Gisèle PrintzGisèle Printz :

Je crois le moment venu de faire le point de la situation.

L'identité collective par le travail résulte, notamment, du développement de droits uniformément reconnus à tous les travailleurs. À partir du moment où le besoin de sécurité physique et économique des salariés s'est inscrit dans des droits, ceux-ci ont constitué l'un des objets principaux de l'activité des organisations représentatives, qui font respecter les droits existants ou cherchent à en conquérir de nouveaux.

De la reconnaissance de ces droits, de leur accumulation et de leur organisation en système a émergé le droit du travail, qui tient lieu à la fois de procès-verbal et de rempart des conquêtes d'une classe sociale déterminée, ce qui a conduit à y voir un « droit ouvrier », autant dire un « droit de classe ».

La combinaison de ces droits a donné le jour à la situation juridique du travailleur salarié, autrement dit à un système de règles s'appliquant de manière uniforme à tous les salariés, réduisant ainsi progressivement le contrat de travail à un acte, condition de l'application d'un statut commun à tous les travailleurs.

C'est le contrat de travail à temps plein et à durée indéterminée qui a joué ce rôle d'acte propre à donner aux travailleurs une véritable identité professionnelle. Tous ceux qui sont liés par un contrat de ce type se trouvent également unis entre eux par un sentiment d'appartenance à une même communauté professionnelle.

Le syndicalisme, la sécurité sociale, la mutualité ont été modelés sur leur situation juridique. Les ouvriers avaient un « état » au XIXe siècle et aujourd'hui ils sont intégrés dans un appareil de représentation et de protection de leurs intérêts.

La clé de voûte de la socialisation par le travail, c'est le contrat de travail à durée indéterminée. Il faut entendre par là que le travail ne suffit pas à assurer l'intégration sociale ; les exclus eux aussi travaillent et accomplissent même les tâches les plus dures et les plus rebutantes. Mais le travail n'est un instrument d'identification professionnelle, et donc d'intégration sociale, que dans la mesure où il s'inscrit dans une forme juridique stable, comme le statut du fonctionnaire ou le contrat à durée indéterminée du salarié. Les risques d'exclusion augmentent donc d'autant plus que l'on s'éloigne durablement de ce cadre de référence. S'en écarter provisoirement amène le salarié à relever d'un autre statut juridique, aujourd'hui bien assis, à savoir celui du chômeur temporaire, en transit entre deux emplois, et n'ayant droit qu'aux prestations de l'assurance souscrite à cet effet ou aux minima sociaux lorsque la situation se prolonge.

Avec ce projet de loi, nous sommes plus que jamais au coeur de la question. Au travers de la modification des règles juridiques relatives au contrat de travail, c'est cette identité collective que vous êtes en train de briser, mes chers collègues. Et nous avons la conviction qu'une partie d'entre vous le fait sciemment.

Certains mesurent parfaitement, avec le MEDEF, les enjeux du processus en cours. Il s'agit bien de détruire l'identité collective formée autour du travail, du statut salarial stable et des conquêtes sociales qui ont marqué son développement.

La compétitivité des entreprises, dans cette affaire-là, devient un alibi commode. En multipliant les formes juridiques sous lesquelles s'effectue le travail - CDD, intérim, contrats d'accès à l'emploi, contrats d'avenir, CPE, CNE, contrats de réinsertion-revenu minimum d'activité, les CIRMA, partage salarial, protection des services -, en précarisant toujours plus les travailleurs, en faisant toujours pression à la baisse sur les salaires, il ne s'agit pas seulement de favoriser systématiquement l'actionnaire au détriment du travailleur ; il s'agit aussi d'individualiser et d'isoler chaque travailleur et de détruire les bases du mouvement social.

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