Intervention de Philippe Nogrix

Réunion du 28 février 2006 à 10h20
Égalité des chances — Article 3 bis suite, amendement 510

Photo de Philippe NogrixPhilippe Nogrix :

L'objet de mon amendement est de prévoir un dispositif d'observation pour évaluer l'impact économique et social du CPE au plus près de sa mise en oeuvre.

La logique pragmatique qui vous conduit, monsieur le ministre, à tenter l'expérience du CPE doit être poursuivie jusqu'au bout. En l'état, l'évaluation prévue d'ici à 2008 paraît pour le moins désinvolte et, de toute façon, inutile car, comme pour le CNE, le Gouvernement n'attendra pas cette évaluation pour proposer un nouveau dispositif. L'engagement ainsi pris est bien lointain au regard du rythme auquel vit notre époque.

Par ailleurs, dans la mesure où l'on touche aux fondamentaux de notre droit du travail et au prétendu système d'exploitation de notre modèle social, le dispositif d'observation doit moins relever d'un bilan final que d'un mécanisme de veille qui étudiera l'impact du CPE en continu, sous tous ses aspects.

Il convient d'évaluer l'efficacité du CPE pour l'emploi, sur laquelle je suis personnellement prêt à vous suivre, mais également ses conséquences sociales et économiques pour la société française et les salariés, car nul ne peut prédire aujourd'hui où le CPE peut mener.

La meilleure réponse que vous puissiez apporter au procès d'intentions - ou au procès en sorcellerie - que l'on vous intente est l'élaboration d'un dispositif subtil, au plus près des réalités.

Du CPE peuvent jaillir le meilleur comme le pire. À vous vouloir magicien des chiffres du chômage, vous pourriez vous retrouver apprenti sorcier.

Vous demandez à être jugé sur les résultats : il vous appartient donc de mettre en place toutes les conditions de succès.

Tous les observateurs avisés s'accordent à dire que le CPE pose incontestablement plus de questions qu'il n'apporte de réponse.

Les experts de tous bords ont pronostiqué plusieurs effets pervers. Ils évoquent notamment les conséquences matérielles et psychologiques de la précarisation du salarié et l'introduction d'un biais dans le fonctionnement naturel du marché du travail.

Les jeunes qui auront dépassé l'âge limite pour conclure un CPE intéresseront sans doute moins les entreprises : que deviendront, à compétences égales, les jeunes de 27 ans, de 28 ans, de 29 ans et plus ? Que deviendront les jeunes de moins de 26 ans qui auront déjà effectué un CDD additionné de plus de deux ans et qui ne pourront pas bénéficier d'un CPE ?

Les experts prévoient enfin un phénomène de seuil, accru par l'exonération de charges sociales pendant deux ans pour l'embauche d'un jeune au chômage depuis six mois et un effet général de freinage à l'embauche du fait de cette énième modification de la législation du travail.

L'annonce de l'introduction d'un contrat de travail unique risque ainsi de conduire les employeurs à attendre des jours meilleurs.

Ces signaux contradictoires sont confirmés par M. Proglio, que plusieurs ont évoqué. Dans le rapport de son groupe de travail sur l'insertion professionnelle des jeunes, M. Proglio conclut que, pour favoriser l'embauche des jeunes diplômés, les solutions ne se trouvent ni dans une fuite en avant vers la professionnalisation des études ni dans la multiplication de mesures incitatives.

Pour ma part, je le répète, je ne suis pas hostile au CPE. Les risques qu'il comporte doivent toutefois inciter à une certaine modestie. Quoi qu'il en soit, une analyse au plus près du terrain est nécessaire.

Le précédent du CNE, dont vous vous inspirez, est à cet égard plus qu'éloquent. Sur quelles études s'appuyait-on, de quel recul disposait-on jusqu'à présent pour en apprécier le succès dont vous vous prévalez ?

L'enquête que l'IFOP a menée pour le compte de Fiducial auprès de 300 dirigeants ayant recruté sur la base de CNE nous a, il est vrai, révélé que 250 000 contrats ont été signés entre août et décembre. Elle a également révélé que 30 seulement d'entre eux ne seraient pas intervenus sans l'existence du CNE et que celui-ci répond essentiellement à ce qui constitue pour les employeurs une priorité : embaucher sans risque.

Cette analyse est intéressante, mais elle reste un peu sommaire sur un plan qualitatif. Elle est un peu courte en tout cas pour justifier à elle seule la nouvelle donne que représente le CPE.

Une autre étude, beaucoup plus détaillée, confirme la pertinence de l'amendement n° 510. Cette étude est le fait de deux universitaires : M. Pierre Cahuc, professeur à l'université Paris I et membre du Conseil d'analyse économique, rattaché aux services du Premier ministre, et M. Stéphane Carcillo, chercheur au Centre d'économie de la Sorbonne, à l'université Paris I.

Au terme d'une modélisation mathématique originale et rigoureuse, les deux experts montrent que le CNE stimulera les embauches à court terme mais que l'on assistera parallèlement à une augmentation des séparations. Les auteurs tablent au total sur 70 000 créations d'emplois nettes d'ici à la fin de 2008, si le CNE perdure jusqu'à cette date.

Ces emplois, certes, ne coûtent rien aux finances publiques, à la différence des emplois aidés, qui, selon le dispositif retenu, pèsent entre 5 000 euros et 50 000 euros par emploi et par an. Notons néanmoins que 70 000 emplois créés en deux ans et demi, cela reste relativement modeste, tant en valeur absolue qu'au regard d'une évolution démographique qui profitera nécessairement à l'emploi d'ici un an ou deux.

Je ne mentionnerai pas les hypothèses contentieuses, dont les récents développements laissent augurer bien des incertitudes.

Ces arguments montrent qu'il importe de mesurer précisément si, au regard de ces enjeux, le jeu du CPE en vaut la chandelle, si la fin justifie les moyens. Restons modestes !

Je le disais lors de la discussion générale, ce n'est pas la loi qui crée l'emploi, ce sont les conditions économiques, les conditions du marché, les conditions démographiques. Vous avez sur ce point politiquement raison, car l'état de notre démographie va apporter la solution : nous risquons même de manquer de main d'oeuvre d'ici à 2010.

Quant à vous, chers collègues de l'opposition, ayez quelque retenue, lorsque vous exprimez vos réflexions sur les chiffres du chômage : les conjonctures fluctuent, et leur incidence sur l'évolution de l'emploi n'a souvent rien à voir avec les politiques déployées.

Soyons attentifs à l'efficacité de notre système de formation. C'est là qu'il faut agir, monsieur le ministre. À cet égard, je n'évoquerai pas le mammouth à dégraisser, mais plutôt le caméléon, magnifique témoin du passé, qui sait s'adapter à son environnement pour s'y fondre.

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