Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat d’orientation budgétaire qui nous intéresse aujourd’hui doit être un point clé dans la vie des finances publiques et sociales de notre pays. Il intervient en effet à un moment charnière de la préparation du projet de loi de finances pour l’année 2009, lequel sera sans nul doute, et je le regrette, l’un des plus difficiles à boucler depuis de nombreuses années.
Avant toute chose, je souhaite vous remercier, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, de nous permettre de débattre des orientations budgétaires de la France à un moment si important économiquement, mais aussi si dense en matière législative, au milieu de cette session extraordinaire.
On évoque beaucoup le renforcement des pouvoirs du Parlement. Celui-ci passe par plus de contrôle, notamment budgétaire, et également par une plus grande écoute des parlementaires eux-mêmes sur les grandes orientations à prendre. Je ne doute pas que tel sera le cas pour le débat qui nous intéresse désormais.
Nous avons constaté et adopté la semaine dernière le projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l’année 2007 ; il a été l’occasion de faire le point sur l’exercice de l’année dernière et de tirer le bilan financier de nos comptes. Les résultats constatés sont loin d’être satisfaisants. Ils doivent nous alerter, nous inquiéter, sur la situation de notre économie, de nos finances publiques, et sur leur avenir.
Je vous l’avoue, je suis en effet très inquiet sur la situation financière de notre pays et, en l’état, je suis plutôt pessimiste sur la possibilité de dégager des marges de manœuvre pour prendre toutes les mesures nécessaires à leur redressement. Mais je ne suis pas résigné ; c’est pourquoi, à cette inquiétude, il faut opposer un devoir de responsabilité fort et ferme de notre part, de la part du Gouvernement et, sans doute, de la part de tous les Français.
Avant d’aborder ce point sur la responsabilité, j’aimerais revenir sur ce qui me préoccupe et justifie mon appréhension.
Dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour des comptes analyse les causes et les conséquences de leur dégradation. Un certain nombre de critiques déjà évoquées sont sans appel.
Tout d’abord, avec une remontée du déficit public français à 2, 7 % du PIB, la situation financière s’est aggravée en 2007, à contre-courant du retour à l’équilibre observé en moyenne dans les autres pays de la zone euro, notamment en Allemagne. Cette aggravation d’origine structurelle est due à une insuffisante maîtrise des dépenses pour compenser les réductions d’impôts et de cotisations sociales.
Ce résultat est très loin d’être satisfaisant. Si on le compare au solde de l’année 2006, qui était de moins 39 milliards d’euros, en prenant en compte l’incidence de la modification du calendrier de versement des pensions des agents de l’État, le résultat ne s’améliore que de 0, 6 milliard d’euros. C’est la fin d’une lente diminution du poids du déficit public dans notre économie.
Par ailleurs – c’est la deuxième critique –, le déficit de l’État augmente en 2007, quel que soit le référentiel comptable retenu. Le besoin de financement des collectivités locales reste limité, mais s’alourdit aussi sous l’effet d’une forte croissance des dépenses. Le besoin de financement de l’ensemble des régimes de base de sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse, le FSV, s’alourdit également. Rappelons que le déficit de la sécurité sociale, régimes de base et FSV, reste de l’ordre de 11 milliards d’euros, avec une « dette sociale » qui augmente de 9 milliards d’euros.
Ensuite, troisième critique, la dette publique, qui avait baissé en 2006, a de nouveau augmenté en 2007, contrairement, là encore, à la tendance observée dans les autres pays européens, pour atteindre 63, 9 % du PIB à la fin de l’année 2007 – soit 47 000 euros par actif, sans même tenir compte d’une partie des dettes de RFF, que seul l’État pourra rembourser –, ce qui entraîne une charge d’intérêt de 52 milliards d’euros, soit 2 000 euros par actif. L’augmentation de ce ratio de dette est le résultat mécanique du niveau actuel du déficit.
Enfin, l’équilibre des comptes publics en 2012, inscrit dans le programme de stabilité, suppose de ramener la croissance des dépenses en volume de 2, 2 % en moyenne sur les dix dernières années à 1, 1 % par an, alors qu’elle a encore été de 2, 5 % en 2007. Le respect du pacte implique donc une économie de 46 milliards d’euros à l’horizon de 2012 ! Nous devons équilibrer et planifier cet effort.
Comme le disait notre éminent collègue Alain Lambert, en réunion de commission des finances la semaine dernière, nous connaissons l’objectif pour 2012. Il est donc nécessaire de répartir très précisément les efforts annuels à réaliser et, surtout, de s’y tenir, afin de ne pas, une nouvelle fois, reconstruire l’an prochain un nouveau plan de redressement pluriannuel qui décale encore d’une année le retour à l’équilibre.
Monsieur le ministre, vous l’avez souligné et je salue votre réalisme, les contraintes qui vont peser sur le budget de la France vont être croissantes.
Le contexte économique mondial et national est de plus en plus « tendu », avec, d’une part, un ralentissement attendu de la croissance et, d’autre part, la flambée de l’inflation. Comment ne pas évoquer le renchérissement des matières premières, au premier rang desquelles le pétrole, et le déséquilibre flagrant entre l’évaluation du dollar et celle de l’euro ?
Ces deux constats, dans un contexte de crise financière internationale, ont et auront, dans les années à venir, des conséquences dramatiques : une croissance atone, l’inflexion du marché immobilier, la faiblesse de la consommation et des investissements, l’augmentation des prix énergétiques et alimentaires, le déséquilibre de la balance commerciale, etc.
Mes chers collègues, il est de notre devoir de parlementaires de mettre des mots sur une réalité toujours plus difficile. Dans ce contexte, je vous appelle peut-être à plus de prudence, notamment sur les prévisions de croissance. Mieux vaudrait les sous-estimer, comme l’a longtemps fait le Canada, quitte à ensuite enregistrer des plus-values qui nous permettraient de diminuer le montant de notre dette publique. Ne pas surévaluer nos capacités correspondrait à une gestion « en bon père de famille », dont la France a bien besoin. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus, je crois, prendre de risques financiers.
Par ailleurs, nous avons des contraintes structurelles internes très fortes et quasiment inévitables. Vous évoquiez, monsieur le ministre, le poids croissant des pensions de retraite et de la charge de la dette. Il est dramatique de penser que la dynamique de ces deux dépenses absorbera dans les années à venir près de 70 % des augmentations, déjà faibles, de la dépense de l’État. Les marges de manœuvre seront bientôt nulles.
Ce qui m’inquiète le plus, c’est à la fois l’avenir de nos enfants et l’image que notre pays donne à ses différents partenaires aux échelons européen et mondial.
Concernant ce que nous allons laisser à nos enfants et à nos petits-enfants, des réformes structurelles sont nécessaires et requièrent une forte volonté politique. Lorsque nous acceptons les déficits et la dette publique, c’est à eux que nous devons penser. Nos décisions d’aujourd’hui créent leur dépendance de demain. Nous sommes liés aux générations futures par un pacte tacite. Ne transformons pas ce lien en une dépendance financière pour eux à cause d’un héritage qu’ils pourraient refuser !
Par ailleurs, notre attitude financière a des conséquences sur nos relations avec nos partenaires européens, principalement ceux de la zone euro. Nous sommes dépendants de tous les pays du marché commun, comme eux le sont de nous. Le respect des critères du pacte de stabilité doit sous-tendre nos réflexions sur l’évolution des finances publiques. Les signes que nous envoyons aujourd’hui à nos amis européens ne sont pas très convaincants quant à notre bonne volonté. Pour la plupart de nos partenaires, nous profitons de la zone euro pour amortir la dégradation de nos finances publiques.
Dans ce contexte extrêmement contraint, les possibilités d’évolution sont très limitées. Les marges de manœuvre économiques restent extrêmement réduites pour le pays.
L’ensemble des dépenses publiques ne peut absolument plus augmenter, pas plus en volume qu’en valeur. En outre, ces limitations devront concerner toutes les administrations, de l’État au système social, en passant par les collectivités territoriales.
Concernant les recettes, nous pourrons difficilement en créer de nouvelles ; il paraît donc nécessaire de limiter leur affaissement. Il en va de la « soutenabilité » de nos finances publiques.
Comme je le disais au début de mon propos, cette inquiétude ne traduit aucune résignation. Alors, profitons-en pour réformer en profondeur nos méthodes de travail, en particulier en matière budgétaire.
Pour cela, il me paraît indispensable de développer une véritable culture de la responsabilité.