Il y a d’abord eu la mise en place du comité Balladur, dont sont issues les soixante-dix-sept propositions, qui, au fond, instauraient un régime présidentiel affiché, avec, en compensation, l’introduction d’une dose de proportionnelle, un Sénat plus démocratique, et des limites aux pouvoirs du Président de la République.
Ensuite, il y a eu le projet du Gouvernement, présenté en décembre dernier, qui organisait un présidentialisme caché par une communication savamment orchestrée au fil des mois : on expliquait qu’il s’agissait, en fait, d’une revalorisation des droits du Parlement. Étaient alors jetées aux oubliettes toute dose de proportionnelle, toute modification du scrutin sénatorial et toute limitation des pouvoirs du Président de la République.
M. Fillon avait annoncé, en décembre, que cette révision serait adoptée s’il y avait consensus. Je comprends maintenant qu’il parlait d’un consensus au sein non pas du Parlement, mais de l’UMP. De la consultation du peuple, il n’en a jamais été question ! Or, pour ma part, je pense qu’une révision constitutionnelle d’importance ne peut intervenir sans consultation populaire.
Il n’a jamais été question non plus des sujets qui pèsent lourdement sur les rapports entre les citoyens et les institutions, notamment des moyens d’assurer une meilleure représentativité du Parlement. Mes chers collègues, je pourrais vous citer bien d’autres exemples, que j’ai d’ailleurs déjà évoqués, mais je vous épargnerai ce rappel parce que vous me semblez bien fatigués ce soir.
Plus de six mois se sont écoulés depuis le mois de décembre, et force est de constater que vous n’êtes pas parvenus à un consensus. Peut-être un accord a-t-il été trouvé au sein de la majorité présidentielle ; nous le verrons lundi prochain !
Toutes les tentatives de l’opposition pour modifier le projet de loi constitutionnelle afin d’atteindre l’objectif annoncé, à savoir le renforcement des droits du Parlement, ont été rejetées.
En outre, le débat auquel nous avons assisté sur la représentativité des collectivités territoriales par le Sénat a tourné à la caricature.
Qui plus est, le renforcement des pouvoirs du Parlement a fait l’objet, au sein même des assemblées, d’une véritable propagande. Mais, il faut bien le dire, la discussion a permis de révéler la réalité du texte. Ainsi, les mesures relatives au droit d’amendement sont finalement apparues pour ce qu’elles étaient
Nous avons donc maintenant un régime tout à fait particulier, c'est-à-dire un régime d’inspiration présidentielle à l’américaine, avec des pouvoirs considérables accordés au Président de la République, lequel n’est pas responsable devant le Parlement, mais peut le dissoudre ; dans le même temps, ce régime est proche d’un parlementarisme rationnalisé à l’anglaise, sans les droits de l’opposition.
Au final, il en ressort un système hybride, en réalité assez monarchique, où règne la confusion des pouvoirs et où le fait majoritaire est exacerbé ; cela aboutit à une opposition minorée quand le pays vote à droite et à une majorité minorée quand le pays vote à gauche.
Mon groupe votera non, trois fois non, à cette évolution qui repousse un peu plus les limites de la Constitution de 1958, que nous n’approuvons pas. Avec le quinquennat et l’inversion du calendrier, que nous n’avons pas non plus soutenus, le présidentialisme est lui aussi exacerbé.
Notre refus catégorique se justifie encore plus au regard de l’attitude actuelle du Président de la République, lequel nous laisse entrevoir la façon dont il veut tirer profit de cette révision constitutionnelle. Il n’est qu’à voir sa prestation aujourd’hui dans la presse – excusez-moi d’y revenir –, pour comprendre combien il entend peser sur le débat parlementaire, alors que le texte n’est pas encore adopté. Lorsqu’il viendra s’exprimer devant le Parlement, il pourra donner toute la mesure de ce présidentialisme accru, puisqu’il annoncera en direct ce que nous apprenons aujourd’hui par voie de presse.
Nous voyons tous la « pêche aux voix » qui a lieu actuellement. Ce n’est pas le consensus que vous visez : vous cherchez simplement à convaincre jusqu’au dernier parlementaire hésitant de mordre à l’appât et de voter votre révision. Ce spectacle affligeant conforte véritablement notre groupe dans sa décision initiale, à savoir le rejet de cette réforme constitutionnelle.