Intervention de Jack Ralite

Réunion du 7 janvier 2009 à 16h00
Communication audiovisuelle nomination des présidents de sociétés de l'audiovisuel public — Discussion d'un projet de loi et d'un projet de loi organique déclarés d'urgence

Photo de Jack RaliteJack Ralite :

Ces entreprises, jusqu’ici, ne dépendaient pas de la même régulation et n’avaient pas la même fonction : Vivendi et Canal Plus France étaient sur les contenus et Orange sur les contenants. Si la loi s’applique de manière identique à tous les acteurs, cela favorise Orange ; si elle ne s’applique pas à Orange, comme le prévoit l’amendement adopté par l’Assemblée nationale, elle favorise seulement Vivendi et Canal Plus France.

On peut certes dire que ce sont les beautés du capital, mais il faudra bien, dans le cadre d’une responsabilité publique, trouver le moyen de résoudre cette contradiction qui a quitté l’esprit des lois pour créer une concurrence non libre et très faussée. C’est la quadrature du cercle. Et pourtant, tous les acteurs doivent vivre ensemble. Il faut donc prendre en compte l’intérêt général, que nous représentons, les citoyens, et non se réduire à un arbitrage entre des lobbies. Nous ne sommes pas encore à Bruxelles, où 25 000 fonctionnaires sont face à 17 000 lobbyistes. On voit que la démarche de Nicolas Sarkozy rencontre un butoir.

La deuxième question concerne le devenir numérique et intermédia de France Télévisions. Je préfère le mot intermédia à l’anglicisme global « média » qui envahit la langue gouvernementale.

Si la modernisation technique est un prétexte pour justifier l’entreprise unique et supprimer des chaînes, nous la refusons.

La modernisation technologique est nécessaire et elle fait partie des missions de service public, mais elle nécessite des investissements, de la recherche et de la formation, donc des moyens financiers. N’est-ce pas contradictoire avec la réduction des ressources programmées par le projet de loi ? Comment plaider pour une nouvelle politique industrielle en poursuivant dans les faits une mesquine démarche comptable ?

Troisième question : les producteurs ont passé un accord avec les auteurs et les télévisions sur les moyens dont ils veulent – et c’est légitime – pouvoir disposer. Ils déclarent que l’accord leur donne satisfaction.

Or, à la lecture de l’accord, on constate qu’ils ont demandé, et obtenu, plus d’augmentations d’obligations de production au service public et qu’ils ont concédé à TF1 une diminution des mêmes obligations de production. Une telle démarche tenaille tout lecteur un peu averti. En effet, elle n’est pas garantie puisque le contrat signé ne s’accompagne pas d’un financement pérenne du service public et qu’il favorise le secteur privé.

En vérité, le pouvoir ne voulait pas arbitrer et s’est défaussé sur les intéressés qui n’ont pas pris en considération l’ensemble du problème et se sont arrêtés à leurs seuls intérêts. Une fois encore, la loi ne fait que sanctifier un contrat particulier. Cela divise les hommes : il n’y a qu’à rencontrer les personnes qui travaillent à France Télévisions ou des auteurs pour s’en convaincre. Je préfère cette pensée de Paul Nizan « homme cherche homme » et que leurs singularités, ensemble, pensent debout.

Quatrième question : les personnels, tout comme la direction de France Télévisions, réclament la possibilité de produire en interne.

Certains poussent des cris parce qu’ils ont aujourd’hui un quasi-monopole. Mais la RAI sous Berlusconi, ZDF ou ARD sous l’alliance des chrétiens-démocrates et des sociaux-démocrates, la BBC sous le thatchérisme ou le travaillisme blairiste, se sont toutes vu reconnaître leur droit de produire. Comment corriger avec sérieux cette situation en France ?

Cinquième question : il y a un différend sur la définition de l’œuvre patrimoniale. Les producteurs de documentaires veulent que soient considérés non seulement les documentaires de création, mais aussi des documentaires diffusés dans des émissions comme Thalassa, Des racines et des ailes ou Capital.

Il s’agit d’un problème complexe. On ne peut pas pour autant le rejeter d’un revers de main. Les documentaires de Cinq colonnes à la une sont aujourd’hui édités en DVD.

Je termine ce questionnement non exhaustif en évoquant un trou noir dans la présidence française de l’Union européenne, par ailleurs tartinée de louanges. En effet, le Président Sarkozy n’a pas pensé, ou pas voulu, favoriser l’organisation d’une rencontre de toutes les chaînes publiques européennes pour envisager la création d’un pôle public européen de l’audiovisuel et des médias afin de lutter contre la domination hollywoodienne de l’industrie des programmes.

L’esprit public en serait le cœur. Les intérêts privés y seraient associés, à partir d’un cahier des charges simple mais rigoureux dont le non-respect pourrait être sanctionné.

Une telle initiative aurait une autre stature, une autre solidité, une autre influence, une autre efficacité que cette quête éperdue, qui est menée depuis des années dans notre pays, de grands groupes champions nationaux. Lorsqu’ils ont pu aller jusqu’au bout de leurs possibilités, certains d’entre eux se sont soldés par un fiasco qui coûte encore très cher à nos concitoyens ; je pense à l’aventure de Jean-Marie Messier et au rachat de la MGM par le Crédit Lyonnais.

Il faut penser audiovisuel et médias en gardant présentes à l’esprit les références industrielles historiques et toujours ultramodernes d’Airbus et d’Ariane, qui tous deux ont damé le pion aux États-Unis. Il ne faut pas attendre l’après 2020, la prochaine présidence française de l’Union, pour y travailler.

En conclusion, je dirai que les lois Sarkozy présentent le défaut fondamental de traiter l’audiovisuel et les médias comme un monde fini alors que ce monde, comme la vie d’ailleurs, est ouvert à l’infini. Lorsque je dis « fini », c’est fini dans la situation actuelle, sous le règne provisoire de M. Sarkozy.

Déjà, le 18 mai 1857 – c’est un problème permanent – Flaubert écrivait : « Aucun grand génie n’a conclu et aucun grand livre ne conclut parce que l’humanité elle-même est toujours en marche et ne conclut pas. Homère ne conclut pas ni Shakespeare, ni Goethe, ni la Bible elle-même. »

L’histoire de la télévision n’est jamais écrite, un point c’est tout ! Il faut prendre au sérieux l’inachèvement. Or les lois Sarkozy fossilisent l’inachèvement alors que tout est processus, surtout en ces temps d’impétuosités financières et technologiques qui ne peuvent être considérées comme un fatum. Elles résultent des orientations néolibérales qui inspirent toute la politique sarkozyenne. Les lois Sarkozy se présentent comme un tout, un accomplissement définitif. Leur auteur n’aime que les « actes-puissances », les « actes-fins » et, en fait, ne rêve que de retour à l’ordre. C’est inscrit au cœur de sa loi : il veut une télévision pédagogique, culturelle, une « télé-école » s’adressant à des citoyens considérés comme des élèves, signifiant par là même que la véritable école serait la télé.

Et, en même temps, il veut une télé sans rivage, mais non sans mirage, parce que commerciale : la « télé-caddy ». On aurait ainsi une combinaison, dans la société que Sarkozy vit comme délitée, de deux lieux encore porteurs de « socialité » : le petit écran et l’hypermarché.

Le chercheur Pierre Musso écrit que « c’est couper la représentation du monde en deux en opposant l’État grand éducateur au marché libre et divertissant. Tel est le message subliminal, la dichotomie que ce projet de loi voudrait inscrire dans l’imaginaire populaire des téléspectateurs : tantôt vous êtes des citoyens que l’État éduque et surveille, tantôt vous êtes des consommateurs dont le marché se plaît à satisfaire les désirs ».

Bien évidemment, nous refusons cet État surveillant général de la consommation et de l’imaginaire populaire. Si on laissait faire, on courrait le risque de perdre un bijou de mémoire, illustré par cette vieille mais fulgurante maxime : « On noue les bœufs par les cornes et les hommes par le langage. » §

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