Derrière la proposition, à la fois symbolique et régressive, de la nomination et surtout de la révocation des présidents des sociétés de l’audiovisuel public par le Président de la République, derrière la séduisante disparition de la publicité, se dissimule la mise en œuvre de la fragilisation programmée des chaînes payées par les citoyens, conçues pour les citoyens, et cela au profit des groupes privés nourris d’amitiés élyséennes, de cadeaux réguliers, tels les canaux libérés par le passage au numérique, n’ayant d’autre ambition que de s’enrichir, quitte à abêtir et à abrutir, comme le disait cyniquement Patrick Le Lay à propos de TF 1 : « Ce que nous vendons [...] c’est du temps de cerveau humain disponible. »
D’ailleurs la lecture du Livre blanc de TF 1 est édifiante ! Votre projet en est directement inspiré et sa mise en œuvre s’accompagne de coups de boutoirs contre les règles anti-concentration.
Ils sont tellement sûrs de leur affaire qu’ils ont imposé, dans l’article 7 de l’accord interprofessionnel signé entre TF 1 et les sociétés de gestion collective et les producteurs, d’ailleurs contestable, la phrase suivante : « Il est expressément convenu que TF 1 pourra dénoncer unilatéralement le présent accord; en tout état de cause, en l’absence de mise en œuvre et d’entrée en vigueur des modifications de la législation et de la réglementation en matière de publicité télévisée ... » Eux aussi semblent avoir une très haute idée du rôle des parlementaires !
Le message est clair : si vous ne votez pas la seconde coupure de publicité, nous faisons exploser les accords. Madame la ministre, on ne peut pas, hier, prétendre protéger les auteurs et les œuvres – nous nous souvenons de vos propos dans le débat sur la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, ou HADOPI – et, le lendemain, dire : « Grâce à cet article, TF 1 et M 6 vont pouvoir diffuser des Fellini ou des Visconti dès vingt heures trente. Ce sera un grand acquis. Certes, le prix à payer sera que ces films soient coupés par des interruptions publicitaires, mais cela en vaut la peine. »
Il faut appeler un chat un chat, passer du texte soumis au vote à la projection de ce que vont vivre les spectateurs : La Dolce Vita ou La Voce della Luna interrompus par la publicité sur le camembert qui ne coule pas, Les Damnés ou Les Nuits blanches par la réclame sur les couches anti-fuites et – pourquoi pas ? – Mort à Venise interrompu deux fois par le slogan pour une assurance : « Zéro tracas, zéro blabla » ! §Franchement, Thomas Mann et Luchino Visconti méritent mieux que cela ; les spectateurs aussi !
Votre titre de ministre de la culture vous invite à éviter ce séquençage vulgaire. Notre mandat parlementaire nous rend responsables non seulement du service public, mais aussi de ce qui se passe sur les chaînes privées.
Le voile étant levé sur les exigences des puissants et gâtés amis du Fouquet’s, j’en viens à trois axes qui sous-tendent votre proposition : la suppression de la publicité, la télévision publique de demain et la nomination du président.
Les Verts appellent de leurs vœux une société plus sobre, plus solidaire, moins productrice de déchets – et de gâchis –, moins consommatrice des ressources dont auront besoin les générations futures. C’est dire combien nous combattons le mécanisme d’embrigadement que nous fait subir la publicité pour vendre des produits inutiles, des fausses voitures écologiques, des lessives qui polluent et des cosmétiques douteux. Quand le Gouvernement, par votre bouche, en appelle à Bourdieu et à Derrida pour combattre la publicité dans le domaine public, nous disons : chiche !