Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec le soutien de l’ensemble des membres du groupe du RDSE, et par-delà les clivages politiques de celui-ci, j’ai l’honneur de soumettre aujourd’hui à l’examen de la Haute Assemblée une proposition de loi qui a l’ambition de combler un silence regrettable de notre Constitution, et par là même de renforcer le Sénat dans sa fonction constitutionnelle de représentation des collectivités territoriales.
Mes chers collègues, nous vous proposons, par ce texte, d’aller au bout de la logique qui sous-tend les articles 24 et 39 de la Constitution, en soustrayant les projets et propositions de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales à la procédure offrant, le cas échéant, à l’Assemblée nationale la possibilité de statuer définitivement, sans l’accord du Sénat.
En vous proposant cette modification de l’article 45 de la Constitution, nous sommes bien conscients de soulever un débat qui va au-delà d’un simple ajustement technique de la procédure parlementaire. En tout état de cause, c’est bien toute la question cruciale de la place du Sénat dans nos institutions et celle du respect qui est dû à sa fonction de représentation des collectivités territoriales qui est posée.
À l’évidence, l’actualité de ces derniers mois a malheureusement démontré qu’en dépit des prérogatives qui lui sont constitutionnellement réservées, la Haute Assemblée a fait l’objet d’un mépris souverain qui a affecté l’ensemble de ses membres, et par-delà tous les grands électeurs dont nous sommes ici l’émanation et la représentation. C’est donc bien l’actualité, et en l’espèce les conditions d’examen – et d’adoption – du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, qui m’a inspiré cette proposition de loi n’ayant d’autre objectif que de garantir constitutionnellement et formellement au Sénat toute la place qui doit être la sienne.
Car, mes chers collègues, vous n’êtes pas sans savoir que l’article 24 de la Constitution dispose que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Cela signifie que, dans notre République unitaire et indivisible, la représentation des collectivités par le Sénat est bien sûr une modalité technique de la représentation du peuple souverain qui s’exprime par le suffrage universel indirect, mais cela exprime également l’idée d’une représentation de la nation par des corps intermédiaires territoriaux, comme le concevaient d’ailleurs les rédacteurs de la Constitution. En clair, la représentativité du Sénat est politique, et aussi légitime, quoique différente, que celle de l’Assemblée nationale.
C’est à l’aune de cette idée qu’après de longs débats a été instituée en 2003, au profit du Sénat, et sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, une priorité d’examen des « projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales ». Cette heureuse modification du deuxième alinéa de l’article 39 de la Constitution a ainsi en quelque sorte institutionnalisé une pratique, presque systématique, des gouvernements successifs. Elle est également venue prolonger la logique qui sous-tendait depuis 1958 la fonction représentative du Sénat, en formalisant cette priorité découlant du rôle qui lui est dévolu de chambre reflétant la diversité de nos territoires.
Dans notre esprit, le Sénat n’est pas doté d’une supériorité irréfragable sur l’Assemblée nationale en matière de collectivités territoriales, de la même façon qu’il n’est pas le porte-voix unique des préoccupations des élus locaux. Nous ne constituons pas le réceptacle d’intérêts purement catégoriels. Nous sommes cependant en première ligne sur ce front ; avec le texte que nous présentons aujourd’hui, nous ne mettons pas le Sénat au-dessus de l’Assemblée nationale en matière de collectivités territoriales, nous plaçons simplement les deux assemblées parlementaires au même niveau.
« Une Constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique », déclarait le général de Gaulle en 1964. Précisément, la pratique de nos institutions aurait en toute logique dû conduire à assurer le respect de cette prérogative consacrée par le constituant. Lors de l’examen de la désastreuse réforme des collectivités territoriales, nous avons eu, par la pratique, la démonstration malheureuse du détournement non seulement de l’esprit, mais aussi de la lettre de la Constitution.
Sans refaire l’historique de ce texte, il est évident qu’il était dès l’origine mal conçu sur le plan de la méthode même, méthode qui était à l’opposé du consensus et de la négociation nécessaires sur un sujet qui dépasse les appartenances partisanes. Pourtant, les conclusions de la mission d’information Belot, qui associait toutes les sensibilités du Sénat, ont été superbement ignorées. De fait, une réforme aussi essentielle pour l’avenir de nos collectivités, et à travers elles celui de nos concitoyens, n’aurait jamais dû faire l’objet des passages en force auxquels nous avons assisté avec consternation.
La navette entre les deux chambres vit ainsi se mettre en œuvre un détournement de l’esprit de la Constitution. Le Gouvernement avait initialement annoncé que les dispositions relatives au mode de scrutin du conseiller territorial et aux compétences des collectivités territoriales feraient l’objet de projets de loi distincts.