Telle est d’ailleurs la position que les membres du RDSE ont constamment défendue tout au long de l’examen de la réforme territoriale.
Toujours lors des débats de 2000, notre collègue Jean-Pierre Raffarin défendait l’idée que la légitimité du Sénat, « pour être renforcée, a besoin d’une puissance législative elle-même renforcée ». C’est précisément l’idée que nous soutenons aujourd’hui : doter notre Sénat, dans le seul cadre qu’offre la Constitution, des outils lui permettant de ne pas laisser sa volonté souveraine de pouvoir constitué être annihilée par d’autres pouvoirs constitués.
Certes, le Sénat adopta finalement en 2000 une rédaction différente du texte, qui prévoyait qu’une loi organique fixerait l’organisation et les compétences des collectivités territoriales, sauf en matière de ressources, pour ne pas empiéter sur la spécificité des lois de finances. En cas de désaccord entre les deux assemblées, le dernier mot serait revenu à l’Assemblée nationale, mais à la majorité absolue de ses membres, comme pour toutes lois organiques à l’exception de celles qui sont relatives au Sénat.
C’est sur ces recommandations du rapporteur de l’époque, M. Patrice Gélard, que cette rédaction fut retenue. M. Gélard estimait alors que l’adoption en termes identiques par les deux chambres permettrait « au Sénat de jouer tout son rôle pour prévenir l’adoption de dispositions de nature à remettre en cause les principes essentiels de la décentralisation ». M. Gélard avait raison avec dix ans d’avance, puisque nous venons malheureusement de voir que le Sénat, malgré ses efforts redoublés, n’a pu effectivement empêcher l’adoption d’une loi qui porte une régression majeure de la décentralisation.
J’ai naturellement lu avec attention le rapport de M. Gélard sur notre texte. J’ai été heureux de constater qu’il partageait toujours notre volonté de défendre le rôle éminent du Sénat dans le domaine des collectivités territoriales. Son opinion a même évolué depuis 2000, puisqu’il n’estime « pas injustifiée l’exigence d’un accord des deux assemblées pour l’adoption de textes concernant, à titre principal, l’organisation des collectivités territoriales ». La suite m’a, hélas, laissé perplexe, et pour tout dire m’a un peu déçu.
Je ne peux absolument pas partager son analyse des raisons qui justifieraient le renvoi à la commission de notre proposition de loi. Il est vrai qu’une révision constitutionnelle d’origine parlementaire nécessiterait une approbation par voie référendaire. Il est sans doute tout aussi vrai que convoquer le peuple français pour qu’il se prononce sur ce sujet ne déchaînerait pas, a priori, de grandes passions. Mais ce n’est pas si sûr, car nos compatriotes comprendraient aisément les enjeux véritables de cette réforme, dont ils seraient bénéficiaires.
Permettez-moi de dire que cette argumentation est surtout très commode pour évacuer le fond de la question qui est posée à chacun de nos collègues. Pourtant, en présentant son rapport, M. Gélard a reconnu que les députés n’avaient pas suffisamment tenu compte de la position du Sénat lors de la réforme des collectivités territoriales !
Sur tous ces points de notre argumentation, le rapporteur est d’accord avec nous. Pourquoi alors évacuer ce texte par un soupirail ? Le conserver en réserve pour le rattacher à un très hypothétique futur projet de loi constitutionnelle est au mieux un manque d’audace, au pire une façon dérobée de ne pas réparer l’humiliation infligée au Sénat ! En raisonnant selon le simple utilitarisme, en termes de chances et de succès, on peut tout justifier, tout et son contraire !
Nous raisonnons, quant à nous, sur les principes. Et les principes que nous défendons aujourd’hui revêtent un caractère de particulière gravité. En allant au bout de la logique institutionnelle mise en œuvre en 2003, en ôtant le dernier mot à l’Assemblée nationale en matière de collectivités territoriales, le Sénat enverrait un message politique très clair, à la fois au Gouvernement et à nos collègues députés : celui du refus du rabaissement.
Mes chers collègues, la Constitution n’a pas fait du Sénat une chambre consultative, comme du temps du Conseil de la République. Loin de nous l’idée de déclencher une bataille institutionnelle, mais force est de constater que les autres détenteurs de l’initiative législative ne nous ont, jusqu’à présent, guère épargnés sur le sujet des collectivités territoriales. Comment expliquer demain aux élus locaux de ce pays que les sénateurs qu’ils élisent pour, entre autres missions, les représenter sont en train de perdre leur pouvoir d’influer sur le statut et les compétences de leurs collectivités ? Quelle cohérence y aurait-il à donner au Sénat une priorité d’examen des projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales, si son vote n’a guère d’importance ? À quoi bon avoir le premier mot, depuis la révision constitutionnelle de 2003, si l’Assemblée nationale peut avoir le dernier ?
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, notre proposition de loi constitutionnelle est d’abord un message fort destiné à réparer l’humiliation subie par le Sénat au regard des conditions navrantes de l’examen du projet de loi de réforme des collectivités territoriales. Mais elle n’est pas que cela, puisqu’elle répond à un véritable silence du texte constitutionnel en le comblant de façon cohérente, mais aussi mesurée. Il y va, aujourd’hui, de l’honneur du Sénat de la République, mais aussi de celui de tous ses membres, eux qui concourent à l’expression de la volonté générale.
Pour toutes ces raisons, dans l’intérêt du Sénat et des collectivités territoriales de ce pays, je vous invite, mes chers collègues, à faire preuve de responsabilité, d’une part en repoussant la motion tendant au renvoi à la commission, d’autre part en adoptant cette proposition de loi constitutionnelle du groupe du RDSE.